
« également ceux que les autres leur abandon-
» noient, & ceux qu’ils abandonnoient aux autres :
» mais leur injuftice étoit inconcevable à l’égard de
w leurs amis qu’ils facrifioient avec la dernière inhu-
j) manité , fans avoir coutr’eux aucun * fujet de
» haine, pas même de plainte «. Antoine perdit
dans cettejoccafion cette réputation de bonté & d humanité
qu’il s’étoit acquile. Il fit éclater une joie
barbare en voyant la tête & la main droite de Cicéron.
Après s’être raflaflié de ce fpeélacle, il les
fit porter au milieu de la place publique, infultant
encore aux mânes de cet illuftre orateur. Lorf-
qu’il eutaffouvi fesveugeances, & réglé fes affaires
dans Rome, il partit avec Augufte pour la Macédoine
qui devoir être le théâtre de la guerre contre
Brutus & Caffius, chefs des conjurés. Les écrivains
s’accordent à lui donner l’honneur de cette guerre.
Ils affurent qu’Augufte, qui devoit feul en recueillir
tout le fruit, n’en fut que le timide témoin. Antoine,
vainqueur dans deux grandes batailles livrées
dans les plaines de Philippes, ufa de fa viftoire avec
la plus grande modération. Ayant trouvé le corps
de Brutus dans la poùffière du camp, il gémit
des malheurs de ce vertueux républicain, & voyant
que la cupidité du foldat lui avoit enlevé jufquà
fes vêtemens, il détacha fa cotte d’armes, & après
l'en avoir couvert, il ordonna qu elle lervtt a orner
fon bûcher. Il fit même punir du dernier fup-
plice un de fes affranchis, pour avoir retiré des
flammes cette cotte d’armes qui étoit d’un prix
ineftimable.
(C’étoit placer l’excès jufque dans lamoderation.)
La journée de Philippes changea les deftinées du
monde ; ce ne fut plus au fénat que les peuples 8c
les rois allèrent offrir leur hommage 8c leur encens,
mais aux triumvirs qui exigèrent bientôt du fenat i
même de femblables refpeâs. Antoine, en parcourant
la Grèce, eut à fa cour tous les potentats de
l’Afie. Les uns mendioient le prix de leurs fervices ;
les autres imploroient fa clémence. Sa marche fem-
bloit un véritable triomphe. Les femmes des rois
fe difputoient l’honneur de mettre à fes pieds les
plus magnifiques préfens, 8c d’obtenir de lui quelques
regards : mais rien ne flatta plus fon amour-
propre que la réception que lui firent les Ephe-
fiens. Les rues étoient jonchées de fleurs, 6c les
murs décorés de thyrfes & de couronnes de lierre,
les dames, parées de leurs plusfomptueuxhabits,
oortoient les attributs de Bacchus; les hommes
S'éguifés en faunes & en fatyres » allèrent a fa
rencontre ; ils chantoient des vers à fa louange ;
& lui attribuoient la valeur & la bonté de Bac?
Après avoir remercié les Ephéfiens , Antoine fit
drefler un tribunal au milieu de leur v ille, oc y
cita tous les princes alliés & fujers de Rome, a
qui il parla en maître. Il prit enfuite le chemin de
la Cilicie. Ce fut dans cette.contrée qu’il donna audience
à la fameufe Cléopâtre , qui venoit s exculer
(Ravoir fourni des fcçours. aux partifaps de la re*
publique. On fait par quelle magie cette reine vo*
luptueufe parvint à mettre ce juge des rois à fes
pieds. Antoine oublia dans fes bras l’empire du
monde 8c fa propre gloire ; il laiffa à fes lieutenans
le foin de faire triompher les aigles romaines, 8c
alla s’enivrer des délices d’Alexandrie. Depuis cette
époque il ne fit plus rien de confidérable par
lui-même. Il remporta à la vérité quelques avantages
fur les Parthes ; mais il les acheta par tant
de malheurs ,~-tous occasionnés par fa paflion pour
Cléopâtre, qu’on ne peut lui en faire un mérite.
Oâavie , foeur d’Augufte, qu’il avoit époufée
depuis la mort de Fulvie, pour fceller fon alliance
avec Augufte, fit d’inutiles efforts pour le tirer de
cette langueur fatale. Elle partit de Rome, réfolue
de l’accompagner dans une nouvelle expédition
qu’il méditoit contre les Parthes. Arrivée à Athènes,
| elle lui écrivit pour le prier de fe reffouvenir de
| leur union, 8c lui annoncer fon voyage 8c les
fecours qu’elle lui amenoit elle-même. Antoine fe
difpofoit à recevoir cette tendre 8c vertueufe
époufe, lorfque Cléopâtre, craignant une rivale
dont les attraits étoient releves pat" la modeftie 8c
les moeurs, employa tous les artifices d’une galanterie
rafinée pour conferver fa conquête ; elle
pleuroit 8c rougiffoit d’avoir pleuré ; elle cachoit
8c montroit fes larmes, elle vouloir mourir. Antoine
3 trompé ou fubjugué, défendit a Oâavie de
venir le joindre fous prétexte qu’il alloit paffer
l’Euphrate. Oâavie n’oppofa à ces mépris que la
douleur d’avoir perdu le coeur de fon epoux. Cette
vertueufe Romaine, auffi occupée de fes devoirs ,
que fa rivale l’étoit de fes plaifirs , menoit une
vie privée 8c obfçure, n’ayant d’autre plaifir que
d’élever fes enfans , 8c de leur infpirer une refpec-
tueufe tendreffe pour un père qui les facrifioit à
l’amour d’une étrangère,
Cet affront fait aux fang des Cefars, mdifpofa
les Romains contre Antoine. L’affeâation qu il eut
de triompher dans Alexandrie, honneur que Rome
pré tendoit avoir feule le droit de déférer, 8c lin-
diferétion qu’il èùt' de s’affeoir fur le trône d E-
gypte, porta l’indignation publique a fon comble«,
C’étoit pour la première fois qu’on voyoit un
Romain revêtu des ornemens de la royauté. Son
front étoit ceint d’un diadème, il portoit un feeptre
d’or à la main, la robe de pourpre etinceloit de
de diamans. Cléopâtre alïife à fa droite, parée des
attributs de la déeffe Ifis , dont elle le donna le
nom , fut reconnue pour la femme, 8c proclame©
reine d’Egypte, de Chypre, de la Lybie, de la
Célé-Syrie, 8c Céfarion qu’elle avoit eu de Cefar „
lui fut donné pour collègue. Les enfans quelle
avoit donnés à Antoine eurent auffi. leur partage ,
'& le fuperbe titre de rois des rois. L’aîné , nommé
Alexandre, devoit avoir l’Arménie , la Médie Sc
la Parthie, après qu’il en auroit fait la conquête.
Ptolémée , le plus jeune , eut la Syrie , la Phénicie
8c la Cilicie. Ces jeunes princes prirent
auffi-tôt les habits dçs peuples fur lefquels ils
deyoient
dévoient bientôt régner, 8c choifirent leurs officiers
8c leurs gardes parmi les principales familles.
. Oâave tenoit à Rome une conduite bien différent
; jaloux du rang fuprême , il ménageoit l’ef-
time des peuples, 8c ne négligeoit rien pour perdre
Antoine. Politique habile, il cacha fon ambition
fousÿjes apparences du bien public ; il fe plaignait
•fans'ceffe de ce que fon collègue dépouilloit l’état
par fes profufions, 8c en refîerroit les limites au
lieu de les étendre. Il fit fes préparatifs , fous prétexte
de tirer vengeance du mépris q u A n to in e
avoit fait de la majefté romaine. Antoine inftruit de
l’abîme qui fe creufoit fous fes "pas, envoya des
députés à Rome , 8c quitta les bords de l’Araxe. Il
rejoignit Canidius qui campoit aux environs d’E-
phèfe avec feize légions. Cléopâtre ne tarda pas à
le fuivre dans cette ville, pour prévenir toute
réconciliation avec Céfar 8c Oâavie.' Les plus
fages murmuroient de voir une femme dominer
dans le camp, 8c introduire fous la tente le luxe
d’une cour efféminée. Antoine fentoit lui-même
combien ce fcandale révoltoit les efprits ; mais entraîné
par la force de fon penchant, il n’écou-
toit que les confeils de fes flatteurs, qui lui repré-
fentoient que la préfence de cette reine étoit né«
ceffaire pour entretenir le' courage des Egyptiens ;
que d’ailleurs Cléopâtre, inftruite dans l’art de gouverner
, pouvoit aller de pair avec les plus grands
hommes. Ce confeil flattoit trop la paflion Antoine
, pour être rejetté. Il fe rendit à Sam os où fe
trouvèrent tous les rois fes'alliés , qui ne fem-
bloient que les premiers fujets d’une reine enivrée
de fa grandeur. Tous les jours furent marqués par
des fêtes 8c des feftins où l’on étaloit tout le luxe
afiatique. Dans un voyage qu’il fit à Athènes, il
voulut que l’on rendît a fon amante les mêmes
honneurs qui avoient été déférés à Oâavie quelque
temps auparavant. Il exigea qu’ils lui fiffent
une députation dont lui-même étoit le chef. Ce
fut-la qu’il tint un confeil, où l’on opina qu’il fal-
loit déclarer la guerre à Augufte, 8c répudier
Oâavie. S’il eût profité du moment, il accabloit
fon'ennemi qui n’avoit point encore raffemblé
toutes fes forces : mais aveuglé 8c ralenti par la
moleffe , il remit à l’année foivanfe une guerrè
qu’il eût terminée fans péril en ufant de diligence.
Des députés admis au fénat y déclarèrent fon
divorce avec Oâavie. Les efprits, déjà révoltés par
tant d’outrages, furent faifis de la plus vive indignation'
à la leâure d’u$ teftament qu’Augufte
préfentoit comme celui d'A n t o in e , mais qu’on croit
avoir été fuppofé par fo'n rival ; A n t o in e y infti-
tuoit pour fes héritiers, les enfans qu’il avoit eus
de la reine d’Egypte, 8c ordonnoit que fon corps
fût transféré à Alexandrie , en quelque lieu du
monde qu’il mourût. Autorifé par un décret du
peuple , Augufte déclara la guerre à Cléopâtre.
Ce prince artificieux auroit bleffé la politique ,
en y faifant comprendre nommément A n t o in e , il
folio; t lui laiffer le foin 8c le tort de fe déclarer
t f i j lo i r e . T om , 1„
lui-même ennemi de la patrie en combattant pour.
Cléopâtre. C’étoit d’ailleurs un ménagement pour
les chefs du parti contraire qui avoient un refte
de crédit dans Rome. La guerre devint inévitable.
Ces deux rivaux intéreffèrent à leur querelle presque
tous les peuples connus. Antoine eut fous fes
enfeignes toutes les nations Afriquaines , depuis
l’Ethiopie jufqu’à la Cyrénaïque, 8c les Afiatiques,
alliées ou tributaires de Rome. Il comptoit parmi
fes lieutenants Bocchus, Tarcondème, Ârchélaiis ,
Philadelphe, Mithridate 8c Adallas , tous ornés
du diadème. Oâave commandoit à tous les peuples
Africains, placés à l’occident de la Cyrénaïque,
8c à tous ceux de l’Europe ; il en faut cependant
excepter les Sarmates, les Germains 8c les Bretons
dont il n’avoit que quelques effaims. Vainqueur
du fils du grand Pompée, fes flottes lui
affiiroient l’empiré des mers. Ses troupes fe rendirent
par mer 8c parterre aux environs d’Aâium.
Canidius , lieutenant général d’Antoine , lui con-
feilla d’éviter le combat de mer qu’Augufte défi-
roit, 8c fur-tout de renvoyer Cléopâtre en Egypte ;
mais la volonté de cette reine impérieufe l’emporta
fur la fageffe de'ce confeil. Antoine difpofa fa flotte
compofée de deux cens gros vaifleaux bien garnis
de foldats, mais dépourvus de matelots. Un vieil
officier, qui fer voit ’ fous lui depuis un grand
nombre d’années, gémit de ce qu’il s’expofoit à
être vaincu, lorfqüe fès troupes de terre lui pro-
mettoient la viâoire la plus complette. » Mon gé-
» néral, lui dit-il, que ne vous fiez-vous à ces
» cicatrices, à cette épée , plutôt qu’à ce bois
» pourri ? Laiffez la mer aux Egyptiens 8c aux
v Phéniciens, gens nourris fur cet élément 'mais
» à nous autres Romains , donnez-nous la terre où
» nous femmes accoutumés à braver la mort, 8c
» à chaffer devant nous nos ennemis. v Antoine lui
tendit la main 8c prit le confeil en bonne part, mais
ne le fuivit pas. Cinq jours après que les deux
flottes eurent été en préfence, Antoine leva l’ancre,
8c s’avança à la hauteur qu’il avoit réfolu de tenir
pendant l ’aâion. Elle commença vers les fix heures
du matin. Cette bataille fembloit un combat de
terre, ou plutôt un fiège de ville. Les galères
& Antoine s’élevoiênt au-deffus de celles d'Oâave,
comme autant de citadelles; elles étoient garnies
de tours, <foù Ies^ foldats lançoient les mêmes
armes dont on ufe 'dans la défenfe des places.
Celles de Céfar, plus légères, mais plus nombreufes
8c mieux équipées, attaquèrent ces lourdes maffes,
8c ne pouvant les endommager avec leurs éperons,
elles jettèrent dans les tours des matières enflammées;
le combat continuoit avec une ardeur égale
des deux côtés, lorfque Cléopâtre, déployant fes
voiles, paffe à travers les deux armées, 8c dirige
fa route vers le Péloponèfe avec fon efeadre ,
compofée de foixante galères. Antoine oubliant fa
flotte, 8c s’oubliant foi-même , vole à fa fuite.
Ayant atteint fon vaiffeau, il quitte le fien 8c s’afc
fied for le tijlac la tête d&ns fes mains , les coude*
A a *