
& fe retira dans le camp de Céfar. Il fe plaignit,
non'fans raifon, « de ce que les loix les plus fain'tes
s» étoient violées, difant que la capitale étoit en
s» proie à des féditieux qui ôtoient la liberté même
33 aux tribuns de dire leur# avis , & qu’il y avoit du 3) danger à nier dans Rome d’un droit dont les con-
33 feillers d'état ufoient impunément dans les gou- 3> vernemens les plus defpotiques j?. Céfar qui liaïf-
foit mortellement Pompée , auquel on pré te n doit
le fubordonner, & qui peut-être àvôit dès - lors
formé le projet d’ufurper la puiffance feuverainé,
tira avantage de l’imprudence de Caton & s’appuya
des clameurs du tribun. Antoine fut dès-lprs affocié
à la gloire de ce grand homme q u i, après s’être
afiùré de fa capacité, lui donna pour dernière marque
de fa confiance , le commandement de l’aile gauche
de fon armée à la journée de Pharfale, journée
fameufe qui devoit décider de fon fort. Céfar ,
pour récompenfer fes fervices, le nomma fön général
de la cavalerie , dès qu’il fe fut fait élire dictateur,
& l’envoya à Rome. Antoine y flétrit fa gloire par
le luxe & la débauche. Ses excès allèrent fi loin,
que Céfar ne put fe réfoudre à le prendre pour
collègue dans fon troifième confulat 8c lui préféra
Lepidus qui n’avoit pas les mêmes talens. Ce fut
pour l’arracher à cês voluptés qui rappelloient.la
honte de fes prémières années, que Céfar l’engagea
à époufèr Fulvie, femme grave & impérieufe
qui, comme dit Plutarque , ne s’amufoit ni à fes
laines, ni àfesfufeaux, ni aux foins domeftiques, I
& qui ne bornoit pas fon ambition à dominer fur un j
flrnple particulier, mais qui vouloit commander à un j
mari qui commandait aux autres, & être elle-même j
le général d’un mari qui étoit à la tête des armées : de
manière que Cléopâtre devoit à >,Fulvie le prix des bonnes
leçons ■ qu elle avoit données à Antoine pour lui
apprendre à dépendre toujours de fes femmes : car c e fl:
d ’elle qu elle le reçut fi fouple, & f l accoutumé à
leur obéir en tout. Le mariage changea Antoine ,
comme avoient fait les voyages ; d’un Célibataire
effréné dans fes plaifirs , il devint un mari fage &
fournis. Céfar fongea alors à l’élever aux plus grands
honneurs, il le prit pour fon collègue dans fon cii>
qui ème confulat, qui fut aufiî le dernier de ce grand
homme. Peu s’en fallut qu’Antoine ne fût enveloppé
dans la mine de Céfar. Les conjurés délibérèrent
fi après avoir tué Céfar, ils ne tueroient pas Antoine.
Brutus s’y bppofa de tout fon pouvoir, voulant,
dit Plutarque, qu’une aéiion qu’ils avoient de
courage d’entreprendre pour la défenfe des loix &
de la liberté, fût pure. & exempte de tout reproche
d’injuflice. Antoine , en apprenant la mort de Céfar,
fe crut d’abord en danger, & pour échapper aux
conjurés , il fe déguifa en efclave ; mais voyant
que tout étoit tranquille, 8c que Brutus, retiré
au capitole, ,proteftoit ne vouloir exercer aucune
violence fur les amis de Céfar, il reprit les marques
de fa dignité, & convoqua le fénat. Plutarque
vante fa dextérité dans ces conjonctures em-
harraffanses. Il .efi vrai qu’il fut plaire également
aux deux partis. Il empêcha les fénateiïrs de c!éK>
bérer for cette importante queftion , fi- Céfar
devoit être regardé comme tyran , il fit rendre
un décret par lequel le fénat confirmoit tout ce que
Céfar avoit fait depuis le commencement de fa dictature
, 8c accordoit aux confpirateurs un pardon
illimité. Cette conduite lui attira de grands éloges ;
mais, dit Plutarque: « l’enflure que lui caufala grande.
33 opinion que le peuple avoit de lui :, bannit de fa
33 tête tout raisonnement fage,, & lui fit croire qu’il
33 feroit le premier de l’empire s’il parvenoit à dé^
33 truirè le parti de Brutus » : c’êtoit effectivement
fon deffein. Ayant fait confirmer le téftament de
Céfiir, qui léguoit des femmes immenfes au peu»
p ie , & prononcé fon oraifon funèbre, il excita
une rumeur fi grande , que les conjurés. furent
obligés de fortir de Rome. Peu s’en fallut que
leurs maifons ne fuffent réduites en cendre. Cette
démarche lui attacha tous les partifans 8c tous les
amis de Céfar. Calpurnie fa veuve, alla le trouver,
& lui confiant fes intérêts les 'plus chers, elle lui
remit environ douze millions de notre monnoie.
Elle lui donna des mémoires où fon mari avoit
écrit, non - feulement tous les changemens qu’il
avoit opérés dans le gouvernement , mais encore,
le plan de ceux qu’il avoit projettés. C’étoit un
recueil important, for-tout -depuis que le fénat avoit
confirmé tous les aéles de Céfar. Antoine y infé-
roit chaque jour tout ce qu’il jugeoit à propos. Il
eréoit des offices, rappelloit les bannis , remettoit
les prifonniers en liberté , preferivoit les fénateurs
qui lui étoient fufpeéts ; oc toujours en- vertu de
ce qu’il difoit être dans les mémoires du dictateur.
C’eft ainfi que Céfar régnoit, après fa mort, plus
defpotiquement qu’il n’avoit fait pendant fa vie , ou
plutôt fous fon nom,^fo/oi/zetendoitau rangfuprême,'
Il alloit y monter fans beaucoup d’obftacles, lorfqu’il
vit paroître un concurrent, qui d’abord lui fembla
peu redoutable. G’étoit le jeune Caïus Oétavius, plus
connu fous le nom dé Augufie. Adopté par Céfar",
il venoit en ‘-revendiquer l’héritage. Antoine , dé-
pofitaire des tréfors du diêtateûr, lui dit : « Vous
33 vous trompez , fi vous croyez que Céfar
» vous ait légué l’empire romain , aufiî - bien que
53 fes richeffes & fon nom. La mort du dictateur doit
53 apprendre à fon fils adoptif que la confthution
55 d’une république libre rejette également les fou-
55 verains éleâifs 8c les fouverains héréditaires; 8c ce
55 n’efi point à un jeune homme à interroger dé fon
55 chef un conful... Sans moi on abolifloit jufqu’au
55 nom de Céfar, on flétrifioit fa mémoire comme
55 celle d’un tyran ; alors il n’y avoit ni héritage ,
55 ni teftament,ni adoption. . . . . J’ai fait pafier quel-
55 ques décrets favorables aux confpirateurs, mais
55 les raifons qui m’ont déterminé ne font pas de
55 nature à être faifies par une perfonne de votre
55 âge. L’argent que vous demandez, ne monte pas
55 à une femme aufii confidérable que vous pouvez
55 le croire ; cet argent appartient à la république,
>3 §c les magiftrats s’en font fervis pour les befoiqs.
» 3e l’état ; je vous remettrai volontiers cè qui
« m’en refte ; mais permettez-moi, jeune homme,
« de vous donner un confeil : prenez garde de vous
» répandre en libéralités inutiles ; fervez - vous de
» vos biens pour renvoyer des partifans qui s’at- 3> tachent moins à vous qu’à votre fortune. Craignez
33 le peuple qui vous carefie , 8c montrez - vous
33 avare des bienfaits qu'il attend de vous. C’efi: un
33 monftré qui né conneît d’autre guide que fa cupi- 33 dité, 8cqui efi toujours prêt à vous payer d’in-
gratitude. Vous êtes verfé dans l’hiftoire grecque, 3? ,8c vous favez que les favoris de la multitude n’ont
33 qu’un éclat paftager;, que l’amitié d’un peuple efi
33 plus inconftante que les flots de la mer. r>
Ce confeil intérefie étoit donné avec trop
de hauteur pour perfuader. Augufte n’étoit point
un jeune homme ordinaire ; la nature l’avoit,
pour ainfi dire, créé homme d’état ; à peine
ibrti de l’enfance, on admiroit déjà en lui une
maturité de raifon , rare même dans les personnes
d’un âge avancé : Antoine fe repentit de ne
l’avoir point affez ménagé; mais la fierté ne lui
permettant pas de changer dé conduite-, il chercha
par toutes fartes de moyens à le tenir dans
1 abaiffemen?, 8c ne laifi’a échapper aucune occa-
fion de lui faire efiiiyer quelque humiliation. Cette
conduite engagea Augufte à fe jetter dans le parti
du fénat. S’étant concilié l’eftime de cette compagnie,
dont Cicéron lui gagna les principaux membres
, Augufie s’apprêta à demander raifon à Antoine
les armes à la main fur fes droits 8c fes prétentions.
Antoine craignant l’événement d’une guerre
civile, confentit à une conférence.qui fe tint au
capitole. Si l’on en croit Plutarque, ce fut un fonge
dans lequel Antoine crut voir Augufie lui drefier
des embûches, qui. empêcha leur réconciliation :
Cicéron, ennemi d’Antoine, fit pafier un décret
par lequel on le déclaroit ennemi de la patrie. Cet
orateur fit tant par fes follicitations 8c par fes brigues
, que le fénat envoya à Augufte les faifeeaux
oc tous les ornemens de préteur, 8c ordonna à Bru-
tus , ainfi qu’aux confuls Hirtius & Panfa, de l’aflif-
ter des troupes de la république. Antoine ne pouvant
réfifter à leurs forces réunies, prit la fuite après
avoir été vaincu aux environs de Modène. Sa défaite
coûta bien cher à fes ennemis ; ils la payèrent de la
vie des deux confuls.
Antoine, traînant les débris de fa défaite, fe retira
vers les Gaules. Son deffein étoit de fe joindre à
Lepidus qui commandoit plufieurs légions dans'
cette contrée, 8c qui lui étoit en partie redevable
de fon ‘élévation. Ce fut pendant cette - retraite
(Ju’il eut à foutenir toutes les incommodités de la
guerre : mais cet homme qui venoit de feandalifer.
les Romains par fa vie voluptueufe 8c efféminée ,
montra dans fa difgrace une ame au-defiùs des revers.
C’étoit dans l’adverfité qu Antoine paroiffoit
vraiment grand. On le voyoit confondu avec les
foldats dont il relevoit le courage abbatu par la
misère 8c les fatigues. Il fut réduit à une extrémité ,
fi trifté l efi pafiant les Alpes, que les troupes 8c
lui-même ne vécurent que de racines 8c d’écorces
d’arbres ; on le voyoit boire l’eau la plus corrompue
fans témoîgnerje moindre dégoût. Arrivé fur
les frontières des Gaules, il écrivit à Lépidus qui
lui fit une réponfo peu fatisfaifante. Ce faux arni
lui mandoit que le fénat l’ayant déclaré ennemi de
la patrie, il ne pouvoir unir fa bannière à la fienne,
fans s’expoferau même décret ; il l’afiiiroit cependant
que jamais il ne le traiteroit en ennemi. Antoine
ne s’en tint point à ce refus; il continua h
route, 8c alla camper près d’une rivière qui bo?..
doit le camp de Lepidus. Le lendemain, ayant pris
des habits de deuil, il s’approcha clés retraii-
chemens. Les foldats, émus par le récit de fos in-
fortunes, n’en purent foutenir le fpeétacie. Antoine
avoit la barbe longue-, 8c les cheveux Étêgligés ■
touchés jufqu’aux larmes, ils envoyèrent leux
officiers déguifés en courtifanes , lui dire d’at 's -
quer le camp avec confiance , qu’ils etoient prêts
a le recevoir, 8c même à tuer Lepidus, s’il eti
donnoit l’ordre. -Antoine les.remercia de leur zèle
mais il leur recommanda de ne faire aucune in-
. fuite: a; leur général. Quel fut l’étonnement de
Lepidus , lorfqu’a fon réveil il apperçut Antoine
, ?ans ta tente entouré de fes propres gardes ! Il fe
jetm a^ Ces pieds en lui demandant la vie. Antoine
aufti-tot lm tend la main, l’embraffe, en l’appel-
iant fon pere II le dépouilla du commandement,
mais il lui lama le titre de général avec tous les
honneurs attaches à cette dignité. Un Romain
nomme Invendus Laterenfis ne voulant pas être
le témoin- des maux qu’il voyoit prêts à fondre fur
la patrie, fe donna la mort dans, le temps que ces
deux generaux s’embraffoient. Antoine fe difnofa
a rentrer en vainqueur en Italie. Il fe mit en marche
avec, dix-fept légions, & dix mille chevaux ■ il
avoit déplus fix légions qu’il laiffa dans les Gaules
pour faite refpeaer fon autorité. L’armée qu’il con-
Ciuiioit èn Italie, n etoit pas capable de le raffurer
lT i r f tn a t aPr& t dU f0rt:.U toujours contre
f H | & les conjures dont Brutus étoit le
chef. Il etoit en proie aux plus vives inquiétudes
lorfque des députés d’Augufte lui propoiêrert un
accommodement de la part de ce prince. Cette r«
conciliation, funefte à la république, 8c infuirée
par la politique , fe fit par la médiation de Lepidus
qui entra pour un tiers dans le partage de l’empire
romam. Cet empire, élevé par 500 ans de venus
& de victoires , devint la proie de trois ambitieux
qm 1 achetèrent par des crimes. Chacun
d ™x fe fit ûenfier fes ennemis : la haine , dit
” Plutarqüe, & la vengeance l’emportèrent fur
” I amitié & fur la parenté. Augufie facrifia Cicé-
” 30 ï effenTtiment d'Antoine ; Antoine facrifia
” ï . Céfar ; & tous deux fo i!
» forent que Lepidus mît fon propre frère a ,
” noT re ,des PIofcrits- janiais ne fut p lïï
” -V eV pl S affreux,tiuecet échange. En payant
l » ainfi le meurtre par le meurtre, ü tuoient chacun