pied} l’importance & la néceftité des piques contre
l’avis de fon maître qui ne les pouvoit fôuffrir.
Dans cette même expédition , faifant ligner une
Capitulation aux catholiques , il les obligea d’ajouter
cette claufè : Renonçant pour cet effet ■ au dite
fiable article du concile de Confiance : QU’ON n’est
«»AS OBLIGÉ DE TENIR PAROLE AUX HÉRÉTIQUES.
Une nuit, CYAubigné étant couché dans la garde-
robe de fon maître avec monfieur de laForce, qui
mourut maréchal de France en 1652.-, âgé de 93
ans, il lui dit à plusieurs repriles : » La Force, notre
t> maître eft un ladre v e r t, & le plus ingrat mortel
*> qu’il y ait fur la face de la terre ; à quoi l’autre
qui fommeilloït, répondant: Que'dis-tu, d’Au-
bigné ? Le roi qui avoir entendu ce dialogue:
» Il dit que je fuis un ladre vert, & le plus ingrat
» mortel qu’il y a it fur la face de la terre, de quoi
j> l’écuyer refta un peu confus, mais fon maître ne
lui en fit .pas pour cela plus mauvais vifage
le lendemain, aufli ne lui en donna-t-il pas un
» quart d’écu d’avantage'».
D ’Aubigné , en accufant toujours fon maître,
donne toujours une haute idée de la bonté de ce
prince. L’abjuration de Henri I V , déplaifoit fort
à ceux des proteftans qui n’avoient pas été mis,
comme le marquis d eRofny, dans la confidence,
& déplaifoit fur-tout à C’Aubigné}, mais ils fe flat-
toient au moins que cette abjuration n’étoit pas
fincère. Quelque temps après, Henri ayant été
affaffiné par Jean Chatel, montroit à d’Aubigné fa
lettre percée d’un coup de couteau, en lui racontant
cette avariture : D’Aubigné fui dit à ce fujet, un
bien bon mot de proteftant : Sire, vous ri!ave£ encore
renoncé Dieu que des l'evres, & il se f i contenté de
les percer, mais f i vous le renonce^ un jour du coeur ,
alors il percera le coeur. Gabrielle d’Eftrées, quiétoit
préfente, sécria: Oh! les belles paroles, mais mal
employées ! — Oui, madame^répliqua d’Aubigné, parce
qu’ elles ne ferviront de rien. Le - zèle exceflif de
C’Aubigné pour fa religion , le rendit quelquefois
fufpeél au r o i , & lui attira plus d’une difgrace ;
on propofa même de le mettre à la bafïille, & de
lui faire fon procès, & il ne trouva peut-être alors
de défènfe- que dans le coeur du roi ; en effet il avoit
porté le zèle jufqu’à la révolté ouverte. Le roi ayant
lait avancer quelques troupes pour inveftir la Tré-
moille dans Thouars; ce feigneur écrivit à d'Aubigné
ce billet : » Mon ami, je vous convie, fuivant
» vos juremens , à venir mourir avec votre affectionné,
x> &c. D ’Aubigné répondit : Monfieur, votre lettre fera
v> bien ebéie, je la blâme pourtant d’une chofie, c’efi
y» d’avoir allégué mes fermens qui doivent être crus
» trop inviolables pour me tes ramentevoir ».
n S’étant rendus à Thouars, eux deux fe mirent
•n à courir le pays pour affembler leurs amis, &
» dans cette courfè iis paffèrent par une bourgade
a* où deux jours auparavant on avoit coiipé quelques
» têtes & expofé fur la roue quelques affamns.
» D ’Aubigné s appercevant que le duc de la Tré-
» jnoille ayoit changé de couleur , à la vue de
ce fpe&acle , lui prit la main , & lui dit r » ’Con-
» templez de bonne grâce ces objets tragiques r
» en raifant ce que nous faifons, il eft bon de
» s’apprivoifer avec là mort ».
D’Aubigné eut dans la fuite fur ce fujet, avec, le
roi un éclairciffement qu’il follicita lui-même.-» Sire*
lui dit-il, » défaites trois boutons de votre efto-
» mach, * & faites-moi la grâce de me dire pour-
» quoi vous avez pu me haïr »., Ce prince ayant
pâli à ces mots , comme il faifoit ordinairement
quand il parloit d’affeclion, lui répliqua: » Vous
» avez trop aimé la Trémoille, je le haïffois *
» vous le faviez , & cependant vous n’avez pas
J» cefie de l’aimer: Sire, répondit CYAubigné : J’ait
33 été nourri aux pieds de votre majefté, & j’y ai
33 appris de bonne heure à ne pas abandonner les
33 perfonnes affligées, & accablées par une puif-
33 fance fupérieure ». Belle réponfe fans doute*
mais qui fuppofe toujours beaucoup de bonté dans
le maître qui l’entend fans colère , 8c qui finit cet
entretien par émbraffer fon fujet.
Après la mort d’Henri IV, CYAubigné fut prefque.
confiamment en difgrace. Lorfque les députés des
Eglifes proteftantes vinrent faluer le nouveau roi *
CYAubigné,étoit à leur tête, le confeil du roi fe,
33 fcandalifa de ce que pas un d’eux ne s’étoit
33 agenouillé, ni en entrant-, ni en fortant, de nia-
», nière que M. de Villeroy , àTiffue dé l’audience
3> attaquant” CYAubigné, lui demanda pourquoi il
33 n’avoit pas fléchi le genouil, fur quoi il répon-
33 dit audacieufement : qifil n’y avoit dans leur
» troupe que des gentilshommes & des eccléfiaf-
» tiques qui ne doivent au roi que la révérence
33 & non pas la génuflexion 33.
La reine-mère, Marie de Medicis, pour rendre
CYAubigné fufpeâ à fon parti, affeéla d’avoir avec
lui une converfation fecrète pendant deux heures j,
elle lui fit faire de grandes promelfespar un homme
de confiance auquel CYAubigné répondit : J’aurai de
la reine tout ce que je defire , c’efi. qu elle me
tiendra pour bon chrétien, & pour bon français,. On
ne fie rebuta point, & on lui envoyoit continuellement,;
avec des apparences de myftère qu’on
vouloit qui' fufîent apperçues, la Varenne, homme
fufpeâ aux Proteftans.- Un de ceux que la cour
avoit corrompus, & q u i, de concert avec elle,,
feignoit toujours un grand zèle pour le parti, lui
dit un jour en préfence du duc de Bouillon : « Que f i
33 donc allé faire la Varenne en votre logis , ou il a
» été douge fois depuis hier ? D’Aubigné répondit r. 73 Ce quila fait che% vous la première fois ,. & ce qu’i l
73 n’a pu faire cheç moi la douzième
Le due de Bouillon, gagné vraifemblablement
lüi-même par la cour > propofoit à Saumur, dans
l’affemblée des Proteftans de remettre les places
de fureté, 8c de fe livrer entièrement à la difcrér
tion de la- reine & de fon confeil,. il. n’appùyoit
cette étrange proportion que du mérite qu’il y
auroit pour des chrétiens à aller volontairement
au martyre, fi la reine n’étoit pas défàrmée par
•Cette conduite. « Oui, s’écria CYAubigné, aller au
' »3 martyre efi d’un chrétien, mais y conduire fes frères
vt efi d’un traître 6» d’un bourreau ».
Aux premiers mouvemens que firent contre la
cour le prince de Condé, les ducs de Rohan &
de Bouillon, ils envoyèrent fommer CYAubigné de
leur déclarer fes fentiméns. Voici la réponfe de
d! Aubigné , elle étoit d’un homme qui prévoyoit
les évènemens. Nous voulons bien mettre fur nos
épaules le fardeau de votre guerre, délïvre^-nous de
celui de votre paix. En effet les princes ne tardèrent
pas à faire leur paix, d’abord par le traité de Sainte-
Menehoud,du 15 mai 16 14, enfuite par le traité
de Loudun en 1016, qui fut, félon l ’expreflion
de CYAubigné, une foire publique de perfidies particulières
& de lâchetés générales. Le prince de Condé,
qui dans les confeils appelloit C’Aubigné fon père,
lui dit après ce traité : Aile1 à Doignon, ( c’étoit
le nom d’un château affez fort , appartenant à
CYAubigné, & où il fe croyoit en fureté, ) C’Aubigné
lui répondit : & vous à la bafiille. En effet ,
le prince fut arrêté le 1 feptembre 1 6 1 6 ,8c ne
fortit de prifon que le 2.0 oélobre 1619. D’Aubigné
prétend que ce prince , pour réccmpenfe des
fervices qu’il lui avoit rendus, le peignit à la eour
comme un factieux, ennemi de la! royauté, & capable
lui feul tant qu’il vivroit d’empêcher le roi de régner
abfoluThent.
D’Aubigné étoit ennemi déclaré du duc d’Eper-
non ; deux gentilshommes lui ayant rapporté que
33 ce duc avoit déclaré hautement devant cinq
33 cens gentilshommes, que s’il ne trouvoit le
77 moyen de le faire tuer, il fe rédtiiroit à le
37-faire., appeller dans un pré pour venir mefurer
33 avec lui une des bonnes épées de France : 37
CYAubigné fit une réponfe affez remarquable : « Je
n ne fuis pas, dit-il, fi ignorant que^je ne fâche
77 les prérogatives des ducs & pairs de France, &
37 le privilège annexé à leur dignité de ne fe point
37. battre contre leurs inférieurs : je fais de plus le
?3 refpeâ que je dois au colonel - général de l’in-
37 fanterie Françoife , mais fi un excès de colère,
S3 ou de valeur, avoit pouffé M. d’Epernon à me
37 commander abfolument d’aller mefurer cette
33 bonne épée dans un pré ; certes il feroit obéi....
33 Un des deux gentilshommes ayant répliqué que
>7 M. d’Epernon avoit des qualités dont il ne pou-
37 voit fe dépouiller pour venir à une pareille
37 épreuve de fon courage ; C'AubignélxYi dit : Mon-
37 fieur , nous fommes tous en France où les prin-
.33 ces qui font nés dans la peau de leur grandeur,'
33 ne fauroient la dépouiller fans s’écorcher, mais
37 fâchez qu’on peut fe dépouiller fans fe bleffer ,
37 de cette grandeur, quand on ne la poffède que
37 par acquêt. Le duc d’Epernon peut donc s’en
. 37 dépouiller, puifqu’il n’eft né que funple géntil-
33 homme ainfi que moi 37. On objeâa encore à C’Au-
higné la foule de feigneurs & de gentilshommes
*1?* 5 ntollroîeiît M. le duc d’Epernon, & qui, lui
fiifbxt-on, « l’empêcheroient de vous faire un apn
pel, quand il s’y réfoudroit 8c de vous affurer
77 le lieu du combat 37. D’Aubigné prenant feu à
ces paroles ; « je le tirerai, dit-il, de cette peine,
» je me fais fort d’afiùrer un lieu de combat dans
» le gouvernement même' de M. d'Epernon , &
37 d’en garantir la fûreté contre tous fes amis 37.
D’Aubigné ajoute que le duc d’Epérnon, ou l’archevêque
de Bordeaux, le cardinal de Sourdis, ou
peut-être tous les deux enfemble, payèrent des Ycè-
lérats pour l’affafîiner, & qu’il écrivit à M. de
tandale , qu’il confeillât à fon père de choifir de
meilleurs ouvriers» -
Il y eut jufqu’à quatre arrêts de mort rendus
contre CYAubigné, pour des crimes, dit-il, qui lui
avoient fait honneur & platfir ,• par exemple pour
avoir rétabli des temples cle Proteftans , ruinés par
les Catholiques. La France le faifoit perfécuter par
fes agens, à Genève, où il s’étoit retiré il croit;
même qu’ori rendit exprès le quatrième arrêt de
mort pour traverfer le mariage qu’il étoit prêt de*
contraâer à Genève, avec une veuve fort refpeâtée
dans cette v ille, & qui étoit de la maifon de Bur-
lamachi de Luques ; CYAubigné prit fon parti, il
porta lui-même fon arrêt à cette veuve, qui lui dit :
J e fuis 'trop heureufe de partager avec vous la querelle
de Dieu. Un proteftant, nommé Fojfiat, fit fur ce
mariage ces quatre vers. .
Paris te drelTe un vain tombeau,
Genève un certain hymenée •
A Paris tu meurs en tableau ,
Ici, vis au fein de Renée.
D ’Aubigné lui-même fit ces quatre autres i
Quand d'Atib ign é fe vit un corps fans tête ,
Il maria fon tronc pâle & hideux ,
Très-afiÜré qu’une femme bien faite
Auroit affez de tête pour tous deux.
P 'Aubignê termine fon hiftoire par une déclaration
qui tient lieu de malédiffion contre fon fils
aîné, Confiant, père de madame de Maintenon,
dont la conduite fut en effet très - manvaife, &
qui fut obligé de s’expatrier, ayant été accufé d’avoir
fait de la fauffe monnoie. Ce fils dénaturé
s’étant fait catholique par intérêt, voulut furpren-
dre fon père dans le château du Doignon, & le
livrer aux Catholiques. D ’Aubigné prétend que
« les pères Arnoux & Diimay, jéfuites, lui ob-
” tinrent un bref du pape pour pouvoir affifter au
n prêche & participer à la cène des Réformés fans
» que cela pût nuire à fa catholicité, de laquelle
« il ne faifoit pas encore profeffion ouverte ».
Théodore Agrippa S Aubigne mourut à Genève
le 29 avril 1630. On lit fur fa tombe dans le
cloître de Saint-Pierre de Geneve, fon épitaphe eu
mauvais latin qu il avoir faîte lui—même.
Ses ouvrages, font t°. fon Hijïoire univerfellcg
depuis iffo jdfqu’eu tdtu avec une hijïoire abrégée