
conduite de Talbot, leur plus illufire général, &
de Fafiol, récemment vainqueur à la journée des
Harengs. On demande à la pucelle s’il faut combattre
les Anglcis. S’il faut les combattre ! s’écria-
t-elle ; oui certainement, fujfent-ils pendus aux nues J
Elle ajouta : Mais nou^ aurons befoin de bons éperons.
Quoi donc ! dit le duc d’Alençon , prendrions-
nous la fuite ? Non , répliqua Jeanne, mais les ennemis
la prendront, & il ne fera pas facile de les atteindre.
En effet, dès le commencement du combat,
Faftol /aifi de cette terreur que la pucelle étoit en
poffeffion d’infpirer aux Anglois, s’enfuit avec une
précipitation qui jetta le défordre dans l’armée an-
gloife. Talbot fe furpafTa lui-même ,' il s’épuifa en
efforts fublimes pour rétablir le-combat, pour rap-
peller la viétoire; il ne put que retarder fa défaite,
8c fur-tout que la rendre plus fanglante par l’opiniâtreté
même de la défenfe. Saintrailles le fit
prifonnier.
Il faut l’avouer, de tels exploits n’étoient point ;
honorés des regards du fouverain, ce qui les rend
plus admirables encore. Charles VII , étonné de
fon bonheur , ne pouvant le comprendre , n’ofant
s’y fier, perdoit à délibérer avec la Trémoille, fon
jeune favori, le temps qu’on empleyoit à le fervir
par des aétions fi brillantes & fi utiles; la pucelle
va le trouver : j? Sire, lui dit-elle, c’efi trop délibérer
, le temps efi venu d’agir, il faut aller à
5j Reims recevoir la couronne royale «. Gette pro-
pofition faite par toute autre_ que par la pucelle,
n’eut paru qu’une extravagance ; il s’agifioit de
traverfer quatre-vingt lieues d’un pays occupé par
les ennemis : mais la pucelle avoir acquis le droit
de faire refpeéfer fes oracles ; on a vu comment
elle favoit fe faire jour à travers les Anglois.
On pattit pour Reims : il faut avouer que cette
éntreprife étoit contraire aux loix de la prudence
ordinaire, & à toutes les fpéculations politiques.
On n’avoit ni argent pour payer les troupes, ni
vivres pour les nourrir, ni artillerie pour réduire
les places ennemies qu’on renco’ntreroit fur fa
route, ni refiource d’aucune efpèce en cas de défaite;
on marchoit fur la foi d’une villageoife de
dix-fept ans, la fortune de Charles VII & du
royaume étoit remife entre fes mains.
L’armée royale prit fa route par la Bourgogne.
Le duc, fans être encore ami dé Charles VII,n e
Tétoit déjà plus des Anglois , il vouloit être neutre ;
encore un pas, il. allôit être françois» Auxerre
ferma fes portes , mais elle fournit des vivres. La
Bourgogne traverfee , on arriva devant T roy es ,
cette ville anti-royale, trop fameufe alors par le
traité , qui neuf ans auparavant avoit proferit
Charles VIT, & livré la France aux Anglois ; on
n’avoit aucun moyen pour la réduire. Jeanne af-
fura qu’avant trois jours le roi y entreroit en
vainqueur; l’archevêque de Reims lui dit, d’un
ton un peu incrédule : » Prenez-enfept, & fi vous
»> tenez parole, nous nous efiimerons fort heu-
v lieux u, Jeannepiquée de ce doute, court à
l’afîaut,. on la fuit ; elle plante fon étendait fur fe
bord des fofi'és, & s’écrie : Qu’on m’apporte dés
fafcip.cs. À la vue de cet étendart redouté, le charme
opère, la terreur s’empare des afiiégés, la garnifon
fe retire , la ville fe loumet, les habitans abjurent
le traité de Troyes, prêtent ferment à,Charles VIL,
fournifient des vivres à l’armée royale. Châlons-
fur-Mai'ne préfente fes clefs ; il refioità foumettre
la ville de Reims ; elle en épargna la peine , elle
fe rendit ; Charles VII y efi facré & couronnée,
comme la pucelle l’avoit prédit. '
• Laon, Senlis, Cômpiegne ouvrent.leurs portes;
Beauvais chafiè fon évêque, Pierre Cauchon ,• diffamé
pour fon dévouement aux Anglois. Le duc
de Bedfort trembla pour Paris , 8c rauembla toutes
fes forces autour de Cette place.
Paris fut le premier terme des fuccès de la pucelle.
Sa mifiion , d it-o n , étoit remp lieelle fe
bornoit à délivrer Orléans, & à faire facrer le
roi ; mais c’eût été laiffet fon, ouvrage imparfait ; il
falloit afiùrer à Charles la couronne quelle lui
avoit mifefur la tête, il falloit du moins lui rendre
fa capitale.
Les foldats françors étaient enivrés des fuccès de
la pucelle.;.mais les chefs en-étoient jaloux.& lés
courtifàns alarmés : des difpofitions perfides fe
formoient contre elle q la cour ; on redoutoit l’af-
cendant que lui donnoient fes exploits & fes fer-
vices. Jeanne, née parmi le peuple, en avoit çon-
fervé la fimplicité vertueufe ; intrépide à la cour
comme aux combats , la même horreur de l’injuf*
tice, qui l’avoit armée pour Charles VII contre
les Anglois , lui faifoit toujours prendre la défenfe
du pauvre , du • foible & de l’opprimé. Chère àu
peuple , & dès-lors odieufe aux courtifàns , elfe
faifoit profeflion d’aimer & de refpeéfer ce peuple
qu’on ne méprife que quand on n’a pas de quoi lui
plaire. En voyant l’empreffement. avec lequel les
François venoient fe ranger auprès du roi dès qu’ils
pouvoient échapper à la tyrannie angloife , en
contemplant fon ouvrage dans cette heureufie;:révolution,
fes yeux fe rempliffcient de larmes .de
joie, & tout l’orgueil qu’elle auroitpu concevoir
fe tournoit en tendreffe. v Peuple aimable ! s’é-
crioit-elle ; » peuple excellent ! unifient tes maîtres
n rendre ce qu’ils doivent à , tfen amour.,! tu fais
” i:ton bonheur de rnburir gjQur eux, je.ferois le
>» mien de mourir pour to»i ! Quoiqu’elle ignorât
le manège des cours , quoiqu’elle ne comprît point
ces petits ’ i ntérêts, ces grandes- haines, ces noirceurs
puériles, ces fineffes imbécilles, & lespro-
fondes combinaifons de l’art ibfurde de nuire, elle
vit bien que les courtifàns n’aimoient pas le roi ,
qu’ils la haïffofent & qu’ils étoient las de fa gloire;
on veilloit avec moins d’attention fur elle dàfls les
périls où elle s’expofoit ; on la fuivoit de moins
près aux afiàuts ; en Fab-ndonnoit davantage au
hazard des évènemens ; on paroiffoit moins perfiia-
dé que le fort de l’état fût attaché à la confervation
de la perfonne, Dans une attaque qu’on livroit à
Paris, Jeanne s’étant avancée la première > félon 1
fon ufage, fur le bord du foffé , crioit qu’on apportât
des fafeines, & l’on n’obéifibit point ; elle
reçut dans ce: moment une fi forte blefiùre, que
perdant tout fon. fang, elle refia couchée fur le
revers d’une pétifé éminence, qui la garantiffoit
des traits des a fiié g é s o n la laifîa dans cet état
prefque toute la journée, fans que perfonne fon-
geât à la fecourir ; enfin fur le foir , le duc d’Alençon
vint lui-même lui annoncer le mauvais fuccès
de l’attaque, & la nécèlfité de lever lé fiège. Jeanne
humiliée de ce premier échec, allarmée de la mau-
Vaife volonté qu’on lui avoit montrée , & peut-
être choquée de l’abandon où elle étoit refiée en
cette occafion, demanda là permiflîon de quitter
la cour & la guerre ; le roi'là retint, mais fon vceu
étoit toujours pour la retraite. » Plût à Dieu, di-
foit-elle à l’archevêque de Reims., » que j’euffe la
v liberté de renoncer aux armes-, & de me retirer
» auprès de mes parens pour les fervir & garder
» leurs troupeaux avec ma feeur & mes frères «.
Au fiège de Saint-Pierre-le-Moutier en Niver-
nojs, les François furent repouffés ; Jeanne d'"Arc
étoit à leur tête ; on vint lui proppfer de fe retirer.
ii J’étois mourante, dit-elle, quand on m’en-
3? traîna de devant les murs de Paris ; je périrai 3> ic i, ou j’emporterai là place «. Cinq ou fxx hom- i
mes d’armes qui l’accompagnoient, parurent prêts
à fè dévouer avec elle. Une telle réfolütion rend
le ! courage aux troupes. On .retourne à l’àfFaut, la
place efi prife. - ,
La guerre fe faifoit à la fois dans plufieurs provinces
; Jeanne les parcourut toutes, 8c fe fignàla
par-tout ; elle avoit toujours la même valeur , plus
de conduite peut-être , mais moins d’enthoufiafme ;
le carà&ère de prophétefie & d’infpirée s’affeiblif-
foit en elle ; c’étoit le fruit heureux ou malheureux ■
des‘lumières qu’elle acquéroit, & de l’expérience
anticipéè qui naiffoit de tant d’évènemens & de
révolutions.
Elle battit, près de Lagny , un de ces chefs de
bandes, que le malheur des temps avoit multipliés |
à l’excès; celui-ci qu’on nommoit Franquet d’A rras
, étoit difiingué par fa valeur & par fes brigandages
, parmi tous ces brigands valeureux. Jeanne
le fit prifonnier , & prétendoit qu’il fût traité !
comme un prifonnier de' guerre ordinairè. Malgré '
les efforts qu’elle fit en fa faveur , il fut exécuté'
à Lagny : il l’avoit mérité; mais Jeanne à’Arc mé- :
ritoit qu’on eût plus d’égard pour fes follicitàtions, v
8c qu’on ne jettât point fur fa conduite les apparences
d’un manque de fo i, dont les Anglois la ■
punirent dans la fuite, malgré fon innocence.
Les Anglois & les Bourguignons réunis voulurent
reprendre Compiegne; Jeanne vint s’y en
fermer ; mais moins heureufe dans la défenfe des
places que dans l’attaque, elle fit une fortie qui ne
réuffit pas, & fut prife en couvrant la retraite.
Un archer Anglois , plus hardi que les autres,
ofa là faifir par le bras & la renverfer de dieyal.v
Le bâtard de Vendôme la fit prifonniére, & la
remît à Jean de Luxembourg-Ligny, général des
troupes bourguignones. Les François la virent
prendre , & ne retournèrent point à la charge pour
la délivrer !
S’il étoit prouvé que F la v y , gouverneur de
Compiegne, lui eût fait fermer la barrière, lorf-
qu’elle voulut rentrer dans la v ille, le nom de ce
gouverneur feroit à jamais exécrable, comme celui
de ce Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui
n’eut pas honte d’employer les plus indignes manoeuvres
pour faire brûler vive une fille de dix-
neuf ans irréprochable , vertueufe., comblée de
gloire , & qui avoit tant de droit à l’admiration de
fes ennemis. Cet évêque, le plus furieux perfécu-
teur de fa patrie, le plus vil efclavé des Anglois ,
chaffé de fon fiège comme ennemi public de. la
France, folücita, comme une grâce, cette occafion
d’affouvir fa haine ; il difputa cette proie à frère
Martin, vicaire général de , L’ïnquïfiiion en France ;
il réclama la pucelle j comme ayant été prife dans
fon dioçèfe, ce qui étoit faux, car c’étoit dans le
diocèfe deNoyon. C ’efi une grande tache à la mé-
moire du bâtard de Vendôme, '8c de Jean de
Luxembourg-Ligny, d’avoir vendu cette fille aux
Anglois ; c’en efi une pour le duc de Bourgogne
qui eut la curiôfité de la voir dans fa prifon, de
ne l’avoir pas protégée ; c’en efi une pour l’univer-
fité , alors foumife au joug-anglois, d’avoir présenté
requête pour la faire ■ périr ; mais c’efi fur-
tout une tache que les Anglois voudroient pouvoir
effacer de leur niftoire , que d’avoir livré cette il-
luftre ennemie au fupplice le plus cruefr
Jean de Luxembourg la leur vendit dix mille
francs. C ’étoit le prix qu’Edouard III avoit payé
pour avoir en fa puiflance le roi Jean. La joie
barbare que lés Anglois firent' éclater lorfqu’ils fe
virent maîtres du fort de la pucelle , étoit l’aveu
de la crainte qu’elle leur avoit infpirée. Pour leur
échapper, elle fauta par une fenêtre de la tour où
elle étoit gardée ; la violence de fa chûte lui ôta
les moyens de fe relever, elle refla fur la place,
fes gardes accoururent, elle fut étroitement renfermée.
Charles VII ne fit point affez d’efforts pour la
tirer de leurs mains, & jamais fon indolence ne
fut plus coupable. Il femble qu’il atiroit pu aifé-
ment la racheter comme un prifonnier de guerre
ordinaire, du moins lorfqu’elle étoit encore en la
puifiànce du bâtard de Vendôme ou de Jean de
Luxembourg. Des auteurs ont ditqu’Agnès Sorel
redoutoit l’afeendant que la pucelle avoit pris ou
pou voit prendre fur Charles V I I , & qu’elle arrêta
ou ralentit lès démarches que ce prince vouloît
faire en faveur de Jeanne. Si le fait efi vrai, Agnès
Sorel a déshonoré fon amant, & ce crime efface
le mérite qu’elle avoit eu autrefois d’engager Charles
à régner.
Ce fi.it à Rouen qu’on inftruifit le procès de la
pucellé ; l’archevêché étoit alors vacant ; le cha