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pjoyoit dans les occalions les plus périlleufes.afTii-
ré que l’exemple de fou courage transformât les
pluspufiilanimes .en héros. La religion qui devrait
adoucir les moeurs, lui avoit infpiré dans la guerre
une férocité brutale, dont il fe dépouilloit dans
la vie privée. Il fembloit avoir deux caractères
oppofès. Guerrier cruel & fans pitié , il étoit
dans les emplois pacifiques humain & compatif-
«ant. Ce fut fur-tout dans les combats particuliers
quil fignala fon courage & fon adrefle. Il
en fortit toujours vainqueur, 8t les trophées les
plus chers à fon coeur, étoient les têtes de fes ennemis
tombes fous fes coups. Le prophète le char-
geoit de tous les miniftères de rigueur ; il l’en-
voyoit couper des têtes, ou percer le coeur des
rebelles & des incrédules.; l’emploi de bourreau ,
loin d’être ignominieux, étoit alors chez les'Ara-
un miniftere de gloire &. de nobleffe-, parce
qii il étoit cenfé ne s’exercer que contre les ennemis
de Dieu.
A la mort de Mahomet, les droits de la naif-
fance, les talens militaires & le mérite perfonnel
appelaient A li au califat, & comme Mahomet
»’avoit point défigné de focceffeur, il femble
quon devoit fuivre l’ordre de la nature. Un fi
riche héritage fut envahi par une fadion puiffante
qui éleva Abn-Becre au califat. C’étoit un pieux
fanatique qui avoit vieilli dans une éternelle enfance
; il n’étoit recommandable que par cette aufi-
térité des moeurs qui en impofe davantage que-
I éclat & la folidité des talens , fur-tout dans la
chaleur d’une fede naiffante. A li exclu d’une dignité
fi eminente, ne put diffimuler fon reffenti-
ment. Mais il étoit trop foible pour en faire refi-
fentir les effets. Ses partifans perfiftèrent en fe-
cret à le reconnoître pour légitime calife & à
regarder Àbu-Becre comme un ufùrpateur.
La même fadion qui avoit déféré cette dignité
à Àbu-Becre, y éleva après fa mort le farouche
Omar , qui né pour là guerre la fit toujours par fes
lieutenans. Ali privé pour la fécondé fois du califat,
fiouffrit cette injuftice fans murmurer, & même il
aida de fes confèils l’ufurpateur,qui lui fut redevable
de fes profpéritésjjufqu’au moment qu’il fut affaffiné.
II ne défigna point fon fucceffeur , & lorfqu’on
lui confeilla de nommer A l i , il répondit que fes
moeurs n’étoient pas affez graves pour remplir
«ne place qui exigeoit un extérieur férieux. Oth-
man lui fut encore préféré. Le régné de- celui-ci
fut orageux, l’efprit de révolte fe répandit dans
les provinces. Othman affiégé dans fon palais par
les rebelles , implora le fecours à'Ali qui fut affez
généreux pour oublier qu’il avoit été offenfé. Ses
deux fils furent détachés pour défendre le palais,
& leur préfence en impofa aux rebelles ; mais
ces deux princes s’étant éloignés , les mutins pro-
ütèrent de leur abfence pour forcer les portes &
le calife fut affaffiné.
f Après la mort d’Othman, tous les fuffrages fe
réunirent en faveur d'A li, dont l’ambition éteinte .
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rejetta une dignité qu’il avoit autrefois follicitèe.
Il protefta qu’il aimoit mieux la qualité de vifir
que le titre de calife, dont il redoutoit les obligations.
Mais il fallut céder aux empreffemens de
l’armée & du peuple qui le proclamèrent fucceffeur
du prophète. Quoique tous les fuffrages
euffent été unanimes, il n’ignoroit pas qu’une
fadion dirigée par Ayesha ( c’étoit la veuve de
Mahomet ) 8c les Ommiades , répandoit dans
toutes les provinces les femences de la révolte.
Il I envoya chercher les chefs des mécontens qui
lui prêtèrent ferment de fidélité dans la mofquée.
Mais ce ferment ne fit que des parjures. Les partifans
d’Othman, dépouillés imprudemment de
leurs emplois, fe joignirent aux mécontens. Toute
la Syrie fe déclara pour Moavia, chef de la famille
des Ommiades. Ayesha fit foulé ver la AfMfcjue,
fous prétexte de venger le meurtre d’Othman,
dont Ali étoit reconnu innocent. Le feu de la guerre
civile s’allume dans toutes les provinces. On négocie
fans fruit, 8c chaque parti prend la réfolu-
tion de décider la querelle par les armes. Ayesha ,
à la tête d’une armée nombreufe ; s’avance vers
Bafra ; les peuples fe rangent en foule fous 'les
drapeaux d’une femme ambitieufe qu’on appelloit
la mère des fidèles, & qui prétendoit venger la
religion outragée par le meurtre d’Othman. Elle
étoit portée dans une litière, d’où elle exhortoit les
foldats à imiter l’exemple de courage qu’ell.e alloit
leur donner.Bafra fut emportée dès le premier affaut,
& les tréfors dyA li furent la proie du vainqueur.
Le calife -, fécondé des habitâns de Cufor- & de
Medine , fe préfenta devant Bafra où il trouva
fes ennemis préparés à le recevoir, Après bien
des négociations inutiles, on donna le fignal du
combat, l’armée dû Ali quoiqu’inférieure en nombre
, remporta une vidoire complette. Ayesha
oppofa une réfiftance opiniâtre : fa litière étoit
défendue par'une troupe intrépide, qui aima
mieux périr que de l’abandonner; foixante & dix
des plus braves qui. tenoient la bride de fon chameau,
eurent la main coupée. Mais leur coura-
geufie défenfe ne put l’empêcher de tomber au
pouvoir du vainqueur qui, fe bornant à lui ôter
les moyens de nuire, la relégua dans fa maifon
de Medine où elle languit fans autorité, au milieu
de l’abondance que le calife eut la générofité de
lui procurer.
Cette guerre étoit à peine éteinte, lorfqu’il
s’en éleva une plus cruelle du côté de la Syrie,
où Moavia fe fit proclamer calife & prince des
Mufulmans. A li ufa de la plus grande célérité pour
étouffer cette nouvelle rébellion. Sa modération
avoit été regardée comme l’effet de la crainte 8c de la
foibleffe. Moavia qui lui étoit inférieur en talens
& en courage, étoit fécondé par des généraux
d’une «apacité & d’une Valeur reconnue qui lui
irifpiroient une confiance préfomptueufe. Toutes
les forces des Mufulmans le réunirent pour vuider
cette importante querelle. L’armée d'Ali étoit de
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quatre-vingt dix mille hommes, & fon concurrent
en comptoit cent vingt mille fous fes drapeaux. Il
y eut un combat fanglant qui ne fut point déçi-
fif; quoique l’avantage fût pour A li, il crut avoir
acheté trop cher la, vidoire, parce qu’il avoit perdu
vingt-fix hommes qui autrefois avoient combattu
fous les enfeignes de Mahomet;.ce fut pour
venger leur mort qu’il fe jetta fur les Syriens à
la tête de v douze mille hommes » & après en
avoir fait un affreux carnage, il fe reprocha un
peu trop tard , de verfer tant de fang Muful-
man , il propofa à Moavia de terminer leur
différend par un combat fingulier qui ne fut point
.accepté ; on fit des difpofitions pour un nouveau
combat. Moavia , plus fécond en artifices que fon
riv a l, ordonna à les foldats d’attacher un alco-
ran.au. bout de leurs lance?., & de marcher à
l’ennemi en criant : voici le livre qui doit .décider
de tous nos 'différends : ce livre, défend à vous & à
moi de répandre le fang, Mufulman, C e . ftratagème
eut le plus heureux fuccès. Les foldats à Ali , faifis
id’un refped fuperfiitieux refufent de combattre ,
& menacent même de livrer leur calife, s’il ne
fait fonner la retraite. Ali conflerné de fe voir
arracher une vidoire certaine, eft obligé de céder
& de . fe retirer. • *
Moavia convaincu de la capacité deffon concurr
rent, parut adopter un fiflêine pacifique, il fie fournit
aux.décifions de deux arbitres.; A li rendoit fon *
éledion fufpede en la foumettant à un nouvel pxa-.
men. Mais comme il ne fe çroyoit plus libre au mi?
lieu de fon armée- , H répondit que . ce n’étoit
point à lui à décider, d’autant plus que fon éledion
n’ayant point été fon ouvrage, ce n’étoit point
à lui à en foutenir la légitimité, il ne fut point
confulté dans le choix des arbitres, 8c féduit par
fa candeur, il fouferivit au choix que fon rival
artificieux avoit didépar le miniftère de fes agens
fecrets. Amru aufli diffimulé que lu i, fut nommé '
par les Syriens. Les Arabes choifirent Mufa A l
Ashari,, qui avoit plus de probité que d’expérience
dans les affaires. Les deux califes confentirent
à s’éloigner pour laiffer les fuffrages plus libres.
Ce fut lur les frontières de la Syrie que ce fameux
procès fut difeuté. Amru qui avoit cette duplicité
de caradère qui fait fe plier aux inclinations des
autres pour les amener à fon but, affeda des vues
pacifiques,8c perfuada à fon collègue que] pour
rétablir le calme,il était nêCeffaire de dépofer les
deux califes 8c de procéder à une nouvelle éledion.
Mufa ne foupçonnant aucun piège, confentit à
cette propofition , & auffi-tôt il monta fur un tribunal
qu’on avoit élevé entre les deux armées;
Ce fut-là qu’il prononça la dépofition des califes:-
alors le perfide Amru montant fur le tribunal à
fon tour, dit : n Mufulmans, vous venez d’entendre
j> Mufa dépofer A l i , je fouferis à l’arrêt qu’il vient
» de,prononcer contre ce calife, 8c je défère cette
5) dignité à Moavia,qu’Othman a déclaré fon fuccefi-
» feur, 8c qui en effet en eff le plus digne ». Çet
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artifice groffier fouleva tous les partifans déAli,
qui avoient droit de fe plaindre de cette déoi-
uon. Les deux partis également aigris , fe frappèrent
l’un l’autre d’anathêmes , 8c ces excommunications
réciproques répandirent la femence
des haines qui fe font perpétuées jufqu’à ce jour
entre les Turcs & les. Perfans. Les Mufulman*
divifés fe préparèrent à foutenir leurs droits par
les armes-. Soixante mille d’entre eux renouvellè-
rentleur ferment de fidélité à A li ; mais les Khare-
gites qui jufqu’alors lui avoient été les plus affec*
tionnés, l’abandonnèrent fous prétexte qu’il avoit
fouferit à un traité honteux, & qu’il avoit laiffé
au jugement des hommes, une caufe qui ne devoit
être citée qu’au tribunal de Dieu même. Ils
fe retirèrent fur les bords du Tigre , où une foule
de mécontens fe joignit à^eux. A li informé qu’ils
avoient rafiëmblé une armée de vingt-cinq mille
hommes,•& que, devenus perfécuteurs de tous
les Mufulmans, ils égorgeoient impitoyablement
ceux qui ne penfoient pas comme eux, fit avancer
,fon armée pour les combattre. Ce prince
avare du fang de fes frères, fit planter un éten-
dart hors de fon camp, dont il fit un afyle facré
pour ceux qui j rentreroient dans le devoir. Plu-
fieurs rebelles profitèrent de cette indulgence ; mais
les plus opiniâtres , réduits à quatre mille , fondirent
f en défefpérés fur l’armee du calife qui les
punit de leur témérité ; il n’y,en eut que neuf qui
fo. dérobèrent au carnage , & d’autres ajoutent
que lOus furent paffés au fil de l’épée. Après leur défaite
toute l’Arabie fe rangea fous l’obéiffance à! Ali.
Ses troupes encouragées par cette vi&oire , le
follicitèrent de marcher contre Moavia. Le calife
céda à leur empreffement, mais les deux concur-
rens, au lieu d’engager une adion décifive , fé
bornèrent à dévafter chacun les terres de fon ennemi.
La Syrie & l’Arabie furent inondées du
fang de leurs habitans. Le fpedacle de tant de
calamités affiigeoit les véritables Mufulmans : trois
Kharegites, touchés du malheur de leur patrie,
^crurent devoir couper la racine du mal en exterminant
A U , Moavia & Amru qu’ils refùfoient
de reconnoître pour imans. Us fe confirmèrent dans
leur deflein par des fermens, & s’y préparèrent
par des jeunes. L’un fe tranfporta à Damas, &
frappa Moavia d’uii coup de poignard, mais le
coup ne fut pas mortel. Un autre fe rendit en
Egypte , 8c s’ihtreduifit dans la mofquée, où Amru
avoit coutume de fe trouver. Une maladie dont
il venoit d’être attaqué , lui fauva la vie , 8t
comme il ne put exercer ce jour-là les fondions
d’iman, il en chargea un de fes officiers qui expira
fous les coups de ce fanatique. Le troifièine
des conjurés fe rendit à Cufa pour affaffiner Alt ;
ce fanatique faifit le moment où le calife avoit
coutume de fe trouver à la mofquée pour y faire
l’office d’iman. Il j ’affocià deux fcélérats, vieillis
dans le crime, qui crurent effacer leurs iniquités
par le facriffce çl’un homme qu’ils regardoienjj
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