
les uns dans leurs terres, les autres en Sibérie.
On les rappeïla huit ans après, & bientôt fous
prétexte de correfpondànces entretenues par eux
en pays étranger , on leur fit leur procès. Les
princes Bafileï & ïwan Dolgoroukis , dont l’un
avoit été un des députés envoyés à Mittau, l’autre
avoit été le favori de Pierre II , furent roués,
deux autres furent écartelés , quelqùes autres périrent
encore pour la même caille. Biron, qui avoit
pris fon nom de la maifon de Biron en France
dont il n’étoit pas, régna en Rufïie fous l’impératrice,
Anv.è, comme Menzikoff. & les Dolgoroukis
avoient régné fous Pierre IL C’étoit Biron
qui difoit que les affaires font les hommes , & il en
étoit la preuve ; cependant il fe connoiffoit en
chevaux plus qu’en hommes , & on difoit de lui
qu’i/ parlait des chevaux en homme, & des hommes
en cheval. Il fut dans la fuite élu duc ,de Cur-
lande, par le crédit de la Czarine 8c à la faveur
des troupes Ru fies , difpofées autour du lieu de
l’éleéHon. -
Cette même princefle n’étant encore que du-
cheffe douairière de Curlande, avoit de même
fait élire duc de Curlande le*comte de Saxe fon
amant, qu’elle fe propofoit-d’époufer, & que par
l’évènement elle eût peut-être fait czar de Mof-
co v ie , s’il n’eût mis lui-même obftacle à (a fortune
par fes infidélités perpétuelles, qui lafierent
les bontés de la duchefie. Une avantnre avec une
des femmes de la duchefie, que fes autres'femmes
s’empréflerent de lui raconter , croyant bien la
divertir , fut, dit-on, la dernière faute de ce genre
qui acheva de révolter la duchefie & de la déta- :
cher d’un amant fi difficile à fixer. Cette avanture, !
qui eft rapportée dans une vie du maréchal de ;
Saxe, en deux volumes, imprimés en 1754,
reflemble beaucoup à celle qu’on raconte d’Egi-
nard & d’Emma, fille de Charlemagne , excepté
qu’au lieu qu’Emma portoit Eginard , e’étoit le
comte de Saxe qui portoit fa maîtrefle, pour qu’elle
n‘imprimâtpas les pieds dans la neige; une vieille
femme pafie avec une lanterne , lé comte pour
n’être pas v u , veut donner un coup de pied dans :
la lanterne, il tombe avec fa charge fur la vieille j
femme', qui remplit de fes cris le château de
Mittau, on accourt de toutes parts fur le lieu de
la fcène , & le myftère efi découvert. Revenons
ail duc de Curlande Biron.
La noblefie Curlandoife avoit été jufques-là très-
remuante , & fur-tout très-libre dans les difeours.
Le nouveau duc trouva , dit le comte de Manftein,
un moyen tout particulier pour arrêter les difeours.
Ceux qui étoient convaincus , ou feulement foup-
çoimés d’en avoir tenu, étoient arrêtés par des
gens mafqués, jettés dans une voiture couverte, &
tranfportés en Sibérie. Le comte de Manftein raconte
à ce fujet un fait fingulier.
Un gentilhomme, nommé M. de Sacken , étant
un foir à la porte de fa maifon de campagne , fut
enlevé par des inconnus & jetté dans une de ces
voitures couvertes. On le promène pendant prés
de deux ans de province en province, laits lui. lai fier
voir perfonne , fes conduéleiirs même, rëftant toujours^
mafqués. Une nuit on dételle les phevaux,
& on le laifle couché dans la voiture ; il y refte
tranquillement jufqu’au jour , s’attendant à continuer
fa route à l’ordinaire. Le jour venu, les con-
duôeurs ne paroiflent point : M. de Sacken prête
l’oreille, il entend parler autour de lui la langue
curlandoife, il fort de fa voiture, il fe trouve à
la porte de fa maifon. Il porte fes plaintes au duc :
le duc parut les appuyer à la cour de Pétersbourg,
mais les défaites ne pouvoient manquer, La réponfe
fut que s’il parvenoit à faire connoître les coupa-,
blés, on les puniroit très-févèrement.
•En 1738, le fils cTun pay fan de l’Ukraine voulut
fe faire pafîer pour le Czarewits , fils de
Pierre I , mort par fes ordres vingt ans auparavant,
(en 1718. )'Un village entier & trois foldats qui
y étoient de garde , le reconnurent pour Pétrowitz ;
le prêtre fit former les cloches, oc dit une méfié
pour lui. Un capitaine de cofaques avertit le général
Roumantzoff, qui étoit en quartier dans le.
voifinage. L’avanturier & fes adhérens furent
promptement arrêtés ; on leur fit leur procès.
L’impcfteur fut empalé v if, le prêtre & les trois
foldats périrent aufli de divers fupplices. L’impératrice
fit grâce aux payfans, mais non pas au
.village ; il fut démoli,. & les habitans tranfportés
dans d’autres endroits.
Le duc de Curlande gouvernoit toujours la
Ruffie fous l'impératrice Anne, & malgré la douceur
naturelle de cette princefle, il fbuilloit fon
règne par des violences & des cruautés révoltantes.
Quelques momens de froideur entre l’impératrice
& le favori, avoient enhardi M. de Walinsky ,
miniftre du cabinet, à préfenter contre le duc un
mémoire que l’impératrice eut, la foiblefie de lui
communiquer ; cette foiblefie en entraîna une autre
plus grande ; elle facrifia Walinsky à la vengeance
du duc, qui lui fit trancher la tête, & çette dif-
graCe, fuivant l ’ufage de la Ruffie;., s’étendit à tous
les amis de Walinsky. La place- de miniftre du
cabinet fut donnée au comte de Beftuchef, ami du
duc de Curlande.
Du mariagè de la foenr aînée de l’impératrice
avec le duc de Mecklembourg , étoit née la,,princefie
Anne, que rimpératrice fa tante maria; le 14
juillet 1739 au prince de Bruns wick, Antoine Ulric.
De ce mariage naquit, le 24 août 1740, le prince
Iwan. Vers la fin du mois de feptembre de la même
année , l’impératrice étant tombée malade, le duc
de Curlande, qui l’avoit gouvernée pendant fa vie,
la gouverna encore à fa mort : il ientoit qu’il al-
loit perdre tout fon crédit, fi la princefle de Brunf-
wick fuccédoit à fa tante : il commença par la faire
exclure de la fucceffion, & fit; nommer le prince
Iwan, grand-duc 8c fuccèfleur : mais fi le prince
de Brunfwick & la princefie Annezvoient la régence
, c’étoit avoir toute l’autorité, le duc de
Curlande n’étoit plus rien ; ce fut donc à lui-même ’
qu’il fit donner,la régence; la famille -8c les créatures
du duc obfédèrent tellement l’impératrice,
que la princefie Ame ne .put trouver le moment
de lui parler. L’impératrice.mourut le 28 oéïobre .;
174Ô , après dix ans d’un règne 'âflez heureux. Le
duc de Curlande exerça, toutes lés violences qu’il
jugea néceffaires pour affermir fa puiflance ; les amis
du prince & de la princefie de Brunfwick furent
perféçutés ; le prince de Brunfwick, qui étoit lieutenant
général de l’armée, lieutenant-colonel des
grirdes 9 8c chef d’un régiment des cuiraffierseut
ordre d’écrire au régent, pour lui demander la
permiffioii de quitter fes. places, 8c le régent lui
fit confeiller de ne. pas fe montrer en public. Le
régent menaçoit de renvoyer le mari & la femme
en Allemagne , 8c de placer fur le trône, ou le duc
de Holftein, fils de la fille aînée de Pierre I , ou
Elifabeth, fa fille cadette. Il paroît qu’il fe tour-
noit entièrement du côté de la poftérité de Pierre I.
Il vouloit marier fon fils aîné avec Elifabeth , &
faire époufer fa fille au duc de Holftein. C’eft un
fémblable projet qui avoit déjà caufé la perte dtr
prince Menzikoff', 8c des princes Dolgoroukis.
Biron le renouvelloit, tant les miniftres & les favoris
l’empereur & fes parens ; ils entrent dans l’appartement
profitent peu des diferaces de leurs fembla- j
blés 1
Le maréchal de Munich, l’un des généraux les
plus brillans & les plus heureux de l ’impératrice
Anne, n’avoit pas moins d’ambition que le duc de
Curlande. Il avoit demandé le titre de Hofpodar
de Moldavie, avant même d’avoir fait la conquête
de cette province ; il avoit demandé depuis le titre
de duc d’Ukraine ; que ne demande - 1 - il celui de
grand duc de Ruffie ? Ce fut la feulé réponfe de
l’impératrice Anne. Le maréchal de Munich avoit ;
toujours été l’ami du duc de Curlande, & l’avoit
fervi dans fes projets ambitieux, efpérant gouverner
fous lui", 8c ne lui laifier que.le titre de régent;
il voulut être à'la fois premier miniftre. & géné-
ralifiime. Ayant efliiyé un refus, le reflèntiraent
le jetta dans le parti de Brunfwick, qu’il réfolut
de .relever ; il prépara tout pour une révolution,
pendant , qu’il prodiguoit au duc les marques d’at-
iachèment, 8c qu’il parpiftoit en avoir toute la
confiance. On convint d’arrêter le duc pendant la
huit ; le duc 8c le maréchal pafierent enfemble la
journée qui la précédoit le duc parut inquiet &
rêveur : Monffeur le maréchal, dit-il tout-à-coup ,
dans vos expéditions militaires , n ave^-yoïis jamais
rien exécuté pendant la nuit? Çette queftiori imprévue
déconcerta d’abord le. maréchal, mais il fe
remit promptement : Je ne me rappelle , dit i l , aucune
grande expédition noElurhe que f aie entreprïfe ;
mais fa i toujours eu pour principe de faiffr toutes
les occaffons favorables. Ils fe féparèrent à onze
heures du foir : à deux- heures après minuit, le
maréchal fit appellér fon premier. aide - de - camp ;
c’étôit le, général Manftein , auteur des mémoires ;
ils fç. rendent enfemble au palais pii logeoiept §(,
de la princefle de Brunfwick par la garde-
robe : la princefie vient feule parler au maréchal;
après un moment d’entretien , le maréchal dit à
Manftein d’àppeller tous les officiers qui étoient de
garde au palais ; la princefie leur fait part de fon
projet, ils l’approuvent, on fait mettre la garde
fous les armes ; le maréchal communique auffi le
projet aux foldats. Le duc - régent étoit haï ; tous
montrèrent beaucoup de zèle pour le parti de
Brunfwick ; les officiers mêmes 'de la garde' du
régent offrirent d’aider à l’arrêter, fi on avoit be-
forn d’eux. Manffein, chargé de l’exécution, laiffe
fa troupe à quelque diftance ,»s’engage feul dans
les appartemens; mais ne connoiflantpasla chambre à coucher du duc, & ne voulant pas la demander
aux domeftiques , pour ne pas donner l’alarme ,
il reftoit afiez embarraffè. Le hazard le fer vit bien ;
il trouva une porte à deux battans , fermée à clef,
mais dont on avoir oublié de fermer les verro.ux
; en haut & en bas : il n’eut pas de peine à l’enfoncer
: c’étoit la chambre à coucher du duc 8c de la
duchefie, & ils dormoient tous deux d’un fommeil
fi profond, que le bruit qu’il avoit'fait en forçant
la porte ne les avoit pas réveillés. A la voix de
Manftein , qui demande,it à parler au régent, en
ouvrant les rideaux aflez fortement, tous deux fe
réveillèrent* & fe mirent à crier pour appeller la
garde. Manftein fe trouvant du côte de la duchefife ,
vit le régent qui fe jettoit à terre pour fe cacher
fous le lit : il fè jetta fur lui & le tint étroitement
ferré jufqu’à l’arrivée des foldats qui le fuivoient;
le duc ayant voulu fe défendre, les foldats , à
grands coups de crofie, le renversèrent de nouveau,
lui mirent un mouchoir dans la bouche, lui
. lièrent les .mains avec l’écharpe d’un officier, & le
portèrent tout nud devant le corps de garde, où
on jetta fur lui le manteau d’un foldat, puis on le
mit dans le carrofîe du maréchal de Munich. La
duchefle etoit ferrie de fon “palais en chemife, &
coûroit apres fon mari au milieu des rues, rem-
plifiant la ville de fes cris. Un foldat la faifit par le
bras , la traîna jufqu’auprès du,comte dé Manftein,
en demandant ce qu’il en falloit faire. Manftein
ordonna au foldat de la -remener dans fon palais j
le foldat ne voulant pas en prendre la peine , la
jetta au‘milieu de la .neige, & s’en alla. Le capitaine
de la fgarde l’ayant trouvée dans cet état, la releva ,
lui fit donner des habits , & la reînena- dans fon
appartement. Manftein alla enfiiite arrêter;Guftave
Biron, frère puîné du duc; le comte de Beftuchef
fut auffi arrêté. Le duc fut mis d'abord dans la for*
terefte de Schliifielbourg ; les autres parens 8c amis,
du duc furent pareillement arrêtés.
La prinçeiTe Anne fe déclara grande-ducheftè de
Ruffie & régente pendant la minorité de fon fils,
Le maréchal jugea le moment favorable ])our fe
faire nommer généraliffiine : la grande - duchefie
répondit que ce titre ne convenoit qu’au père de 1 empereur ; le maîféçhai. de Munich fut premiçg