
l ’étendue de Ton talent, nous le prendrions dans
la moindre, dans la plus défeâueufe de ces orai-
lons, à laquelle fur tout s’appliquent les reproches
d inégalité, de familiarité , de bifarrerie même
qu’on fait quelquefois au génie de Bofluet ; c’eft
rpraifon funèbre de la princeffe Palatine Anne de
Gonzague , & le morceau que nous y choififfons,
eft le tableau delà cour d’Anne d’Autriche & des
troubles de la Fronde.
» Il falloitfà la princeffe Palatine) ce dernier
v malheur : Quoi ? la faveur de la cour. La cour
» veut toujours unir les plaifirs avec les affaires.
» Par un mélange étonnant il n’y a rien de plus
» férieux ni enfemble de plus enjoué. Enfoncez :
» vous trouvez par-tout des intérêts cachés, des
» jaloufies délicates qui caufent une extrême fen-
» fibilité, 8c dans une ardente ambition, des foins
» & un férieux auffi trifte qu’il eft vain. Tout eft
j> couvert d’un air gai.. . . . . Le génie de la prin-
” ceffe Palatine fe trouva également propre aux
» divertiffemens & aux affaires.- La cour ne vit
» jamais rien de plus engageant.. . . . . Tout çédoit
j> au charme fecret de fes entretiens. Que vois-je,
» durant ce temps ? Quel trouble ! quel affreux
» fpeâacle fe préfente ici à mes yeux 1 La mo-
« narchie ébranlée jufqu’aux fondemens, la guerre
» civile, la guerre étrangère, le feu au dedans &
» au dehors, les remèdes de tous côtés plus dan-
V gereux que les maux ! Les princes arrêtés avec
» grand péril, & délivré? avec un péril encore
» plus grand : ce prince que l’on regardoit comme
» le héros de fon fiècle, rendu inutile à fa patrie
» dont il avoit été le foutien ; & enfuite je ne fais
» comment, contre fa propre inclination, armé
» contre elle : un minilire perfécuté & devenu
» néceffaire, non-feulement par l’importajice de
v fes ferviçes, mais encore par les malheurs où
» l’autorité fouverajne étoit engagée. Que dirai-
» je ? étoit - ce là de ces tempêtes par où le ciel
v a befoin de fe décharge?- quelquefois, & le calme
» profond de nos jours devoit-il être précédé par
v de tels orages ? Qù bien étoit-ce les derniers
» efforts d’une liberté remuante , qui alloit céder
» la place à l’autorité légitime ? Où bien étoit-ce
V comme un travail de la France, pgête à enfanter
v le règne miraculeux de Louis ? Non, non, c’eft
?> Dieu qui vouloit montrer qu’il donne la mort
» & qu’il reffüfcite ; qu’il plonge jufqu’aux enfers
V & qu’il en retire ; oc qu’il fecoue la terre & la
» brife ; & qu’il guérit en un moment ^toutes fes
» bleffures.. . . . . . . Que fervirent (à la princeffe
» Palatine ) fes rares talens ? que. lui fervit d’avoir
« mérité là confiance intime de la cour , d’en fou-
v tenir le nfiniftre deux fois éloigné , contre fa
” mauvaife fortune, contre fes propres frayeurs,
» contre la malignité de fes ennemis, 8c enfin
91 centre fes amis, ou partagés, oit irréfblus , ou
ii infidèles ? Que ne lui promit-.on pas dans ces
ii béfoins ! Mais quel fruit lui en revint-il, finon
» de connoître par exp ériçnçe le foiblç des grands
» politiques ; leurs volontés changeantes ou leurs
» paroles trompeufes, la diverfe face des temps;
'» les amufemens des promeffes ; l’illufion des ami-
» tiés de la terre qui «s’en vont avec les années &
» les intérêts ; & la profonde obfcurité du coeur
ii de l’homme qui ne fait jamais ce qu’il voudra,
h qui fouvent ne fait pas bien ce qu’il veut, &
» qui ra’eft pas moins caché ni moins trompeur à
» lui-même qu’aux autres ? O éternel roi des fiè-
» clés, qui poffédez feul l’immortalité, voilà ce
h qu’on vous préfère ; voilà ce qui éblouit les âmes
» qu’on appelle grandes » !
Nous ne connoifîons rien d’égal à ce morceau,
ni dans les anciens, ni dans les modernes. Il nous
femble qu’on n’a jamais réuni dans un pareil degré
toutes les profondeurs de la politique, toutes les
lumières de la philofophie, toute la rapidité du
mouvement oratoire, toüt l’intérêt d’un ftyle plein,
énergique, ferré, nourri d’idées, d’images & de
fentimens. Ce langage plus qu’humain, ces mots
fi fupérieurs à leur valeur ordinaire , ce travail de
la France prête à enfanter le règne miraculeux de
Louis X IV i la diverfe face des temps ; les amufemens
des promeffes • Villufion des amitiés de la terre qui s'en
vont avec les années & les intérêts ; ce cceur de l'homme
qui n’efl pas moins trompeur à lui-même qu'aux autres
,• & cette tirade : Non , non, c'efl Dieu qui
vouloit montrer, & c. & cette image : & qu'il fecoue
la terre & la brife ; & cette exclamation : O étemel
roi des fiècles ,*.. Voilà ce qu’on vous préféré ! Quelles
vérités I quel ton prophétique oc divin 1 quel
empire du génie de l’orateur fur la langue î comme
il la plie & la fubjugue & l’affranchit de fes liens
pour l’élever jufqu’à lui !
L’affaire du livre des maximes des faints 8c l’ac-
cufation de Quiétifme intentée contre M. de Féne-
lpn, ont été regardées comme des effets de la
jaloufie de M. Bojfuet. J’ignore fi M. Bojfuet étoit
jaloux, mais s’il pouvoit l’être de quelqu’un dans
le monde c’étoit fans doute de M. de Fénelon.
Qu'auriez-vous fa it, lui dit Louis XIV f i j ’avois
été Pour Fénelon contre vous ? — Sire, répondit
Bojfuet y faurois crié vingt fois plus haut. Cette
ferme & fière réponfe honore Bojfuet, mais fans
démentir l’idée de la jaloufie.
M. d’Alembert, dans l’éloge de M. Bojfuet, fe
plaint qu’on ait voulu rendre le zèle de ce prélat
fufpeét de fa?iffeté, » On a dit qu’il avoit des fenti-
ii mens philofophiques différens de fa théologie,
ii femblable à ces avocats qui dans leurs déclama-
I tipns au barreau s’appuyent fur une loi dont ils
» connoiffent le foible ; ainfi la haine a voulu le
» rendre tout-à-la-fois criminel & ridicule en l’aç-
» eufant d’avoir confumé fa vie $c fes talens à
h des difputes dont il fentoit la futilité.
Nous pe favons pas tout çe que les ennemis de
Bojfuet ont pu dire contre lui ; mais yoici ce qu’a
dit de lui M. de Voltaire.
» On prétend que ce grand homme avoit des
» fentimens philofophiques différens de fa théolo-i
» gîe, à-peu-près comme un favant magiftrat, qui
» jugeant félon la lettre de la lo i, s’éleveroit
» quelquefois en fecret au - deffus d’elle par la
ii force de fon génie.
M. d’Alembert, qui dans fes éloges raffemble
avec foin toutes les anecdotes, n’a pas eu foi apparemment
à celle de mademoifelle Desvieux,
rapportée par M. de Voltaire.
ii On a imprimé plufieurs fois que cet évêque a
» vécu marié ; & faint Hyacinthe, connu par la
»> part qu’il eut à la plaifanterie de Matanafzus, a
« paffé pour fon fils ; mais il n’y en a jamais eu
« la moindre preuve. Une famille confidérée dans
m Paris, & qui produit des perfonnes de mérite ,
» affure qu’il y eut un contrat de mariage fecret
» entre Bojfuet encore très-jeune , & mademoifelle
» Desvieux ; que cette demoifelle fit le facrifice
» de fa paflion & de fon état à la fortune que
» l’éloquence de fon amant devoit lui procurer
ii dans l’églife ; qu’elle confentit à ne jamais fe
» prévaloir de ce contrat, qui ne fut point fuivi
» delà célébration ; quq Bojfuet ceffantainfi d’être
» fon mari, entra dans les ordres ; & qu’aprés la
» mort du prélat, ce fut cette même famille qui
» régla les reprifes & les conventions matrimo-
» niales. Jamais cette demoifelle n’abufa, dit cette
» famille , du fecret dangereux qu’elle avoit entre
» les mains. Elle vécut toujours l’amie de l’évêque
» de Meaux dans une union févère & refpe&ée.
w II lui donna de quoi acheter la petite terre de
» Mauléon à cinq lieues de Paris. Elle prit alors
» le nom de Mauléon, & a vécu près de cent
» années ».
On dit que Bojfuet condamna les Dragonades,
& qu’il difoit : des bayonnettes ne font pas des inf-
trumens de converfion. Cette idée eft conforme aux
principes de modération qu’il établit par-tout. On
connoît fa réponfe à Louis XIV fur les fpeâacles :
I l y a de grands exemples pour & de fortes raifons
contre. Bourdaloue répondit encore mieux à une
femme de la cour q ui lui demandoit fi elle faifoit donc
un fi grand mal d’aller aux fpettacles ? Madame,
c’ejl à vous à me le dire.
Quelle que fût l’opinion de Bojfuet fur la grande
affaire de la Régale , il arrêta Louis XTV prêt à
éclater contre ces refpeélables & infléxibles évêques i
d’Alet & de Pamiers, Pavillon & Caulet. Le roi 1
vouloit les mander à la cour pour les accabler du
poids de fa colère. Ne craignez-vous pas, Sire , ofa
lui dire Boffuet, que toute la route des deux évêques ,
du fond du Languedoc jufqu’à Verfailles , ne foit
bordée d’un peuple immenje qui demandera leur béné-
diEtion à genoux ? Il n’y avoit qu’un prophète , tel
«pie Bojfuet, qui osât parler de ce ton à Louis X IV
irrité. Ce trait & plufieurs autres font voir le
rapport du caraélère avec le talent, & montrent
que le courage & la liberté font les vrais principes
de l’éloquence.
B0 STANGIS , f. m. pl. ( Hifl. mod. ) claffe des
azamoglans ou valets du ferrail, occupés aux jardins
du grand feigneur. Quelques-uns cependant
font élevés à un degré plus haut, & eccupés aux
meffages ou commimons du fultan ; c’eft pourquoi
on les nomme haffakis ou chajfakis , c’eft-à-dire
meffagers du roi. \A . R.)
Bostangi Ba ch i , chef des jardiniers ou fur-
intendant des jardins du grand feigneur. De fimple
bojlangi ou jardinier, il parvient à cette dignité,
qui eft une des premières de la Porte, & qu’il
ne quitte que pour être bacha à trois queues. Quoiqu’il
foit infpeâeur né des jardins du ferrail &
des maifons du fultan, fon autorité ne fe borne
pas à cette fonétion ; elle s’étend depuis le fond du
port Kaffumpacha , Galata, Top-Hana , & le détroit
de Conftantinople, jufqu’à la ville de Varne
fur la mer Noire. Jour & nuit il fait la ronde dans
tous ces lieux avec une gondole montée de trente
bojlangis pour veiller au feu, furprendre les ivrognes,
& les femmes de mauvaife vie, qu’il coule
quelquefois à fond, quand il les rencontre avec
des hommes dans des bateaux. Il eft encore grand-
maître des eaux & forêts , & capitaine des chaffes
des plaifirs du grand feigneur. Qn ne peut faire
entrer une feule pièce de vin dans Conftantinople
fans fa permiflion ; ce qui lui donne une jurifdic-
tion de police fur les cabarets. Il contrôle les vins
des ambaffadeurs , & frit arrêter leurs dômeftiques
à la chaffe, s’ils n’ont pas fon agrément. Mais1 fr
fonâion la plus honorable eft de foutenir fr hau-
teffe , lorfqu’elle fe promène dans fes jardins, de
lui donner la main quand elle entre dans fa gondole,
d’être alors affis derrière elle, de lui parler
à l’oreille en tenant le timon, & de lui fervir de
marche-pied le jour de fon couronnement.
Quelquefois le boftangi bachi prend les devans
avec fon bateau , pour écarter tous ceux qui fe
rencontrent fur la route de l’empereur. Il doit
connoître non feulement toutes les variations que
la mer caufe fur fon rivage , mais encore tous les
différens édifices qui ornent fes bords , & les noms
de leurs propriétaires, afin de répondre exactement
aux queftions que le grand feigneur peut lui frire ;
de forte qu’il faut avoir couru long-temps les bords
de cette mer, en qualité de fimple bojlangi, pour
parvenir a celle de bojlangi bachi : cet accès facile'
auprès du grand feigneur, donne à cet officier un
très-grand crédit, & le fait quelquefois devenir'
favori de fon maître , place dangereufe , & qui
dans les révolutions^ fréquentes à "Conftantinople,
a plus d’une fois coûté la tête à ceux qui y étoient
parvenus.
Comme les empereurs ottomans vont quelquefois
à Andrinople, ancienne capitale de la monarchie
turque, il y a auffi dans cette ville, un boftangi
bachi y comme à Conftantinople. Leur rang
eft égal, mais leur jurifdi&ion & leur revenu font
fort différens. Celui d’Andrinople n’eft chargé que
du palais impérial, quand le fultan y fait fa refi-
dence , & de la garde de fes fils ; au lieu que le
bojlangi bachi a une furintendance générale fur