détruit, & toute la grandeur que cette alliance
avoit promife à la France , pafla , comme Suger
favoit prévu, à une puiffance rivale. » Lcuis-le-
» Jeune ne croyoit peut-être pas, dit le père d’Orléans
, » qu’il y eût un homme affez hardi pour
33 épouferune princeffe qu’il auroit répudiée, ou un
33 prince affez peu délicat pour prendre une femme
33 décriée, 8c dont il avoit eu deux filles ». L’événement
fit voir qu’il s’étoit trompé.
Avouons cependant qui' eft du quelque eftime
à la bonne foi avec laquelle Louis rendit à Eléonore
d'Aquitaine toutes les provinces qu’elle lui
avoit apportées en mariage. Les politiques machia-
vellifies n’ont pas manqué de dire qu’il auroit dû
renvoyer la femme & garder la dot ; nous ne
connoiffons point de loi qui autorife les,rois à retenir
le bien d’autrui.
Eléonore devenue libre,, fit le choix que les
çcnjonérures lui indiquoient : elle prit d’ailleurs le
mari , qui par fon ardeur & pour les plaifirs 8c pour
•les affaires , par la hauteur impétueufe de fon ame
& par des talens déjà brillans , lui parut le plus
différent de fon premier mari ; ce fut Henri, d’Anjou
par fon père, d’Angleterre par fa mère ; ce fut
le fils de Geoffroy Plantagenet 8c de Mathilde,
qui, poffédant déjà en France la Normandie, l’Anjou
, le Maine & la Touraine, 8c allant pofféder
du chef de fa femme le Poitou, la Guyenne, &
d’autres provinces adjacentes, telles que le pays
d’Aunis, l’Angoumois, le Périgord , le Limofin,
& même une grande partie de 1 Auvergne, étoit
déjà plus riche & plus puiflant en France qué le
roi même, preffé & refferré , comme il l’étoit, de
tous côtés par des vaffaux redoutables. Henri devint
de plus l’héritier dé la couronne d’Angleterre,
8c régna long-temps & glorieufement fousie nom
de Henri IL
Qui ri’auroit regardé comme heureux le mariage
de Henri II avec Eléonore Aquitaine ? Us s’étoient
prefque choifis l’un, l’autre , avantage fi rare parmi
les princes ; 8c quant aux avantages politiques,
Eléonore avoit porté en dot, au plus puiffant roi
de l’Europe, un* tiers de la France. Cinq fils 8c
trois filles, fruits de cette union, fembloient en
attefier le bonheur ; elle fut pourtant troublée par
de violens orages. Cette Eléonore, dont la conduite
avoit forcé Louis-le-Jeune à l’éclat d’une
féparation , Eléonore , » la perfonne du monde ,
dit le père d’Crléans, » à qui il convenoitle moins
33
d’être jaloufe d'un mari, eut le malheur de l’être
» avec excès ». Elle ne put pardonner à Henri
quelques infidélités : elle le perfécuta dans fes maî-
treffes 8c par fes fils. Rofemonde de Clifford captiva
long-temps Henri, qui ne voulut jamais la
fecrifier à Eléonore, mais qui ne la déroba qu’avec
peine à fes violences. On raconte même, ( mais cette
hifioire paroît trop fabuleufe ) que pendant l’expédition
d’Irlande , Henri cacha Kofemonde dans un
labyrinthe à Wodeftocke, que la reine s’engagea
dans ce labyrinthe, s’y égara, y paffa la nuit ; mais
que le lendemain elle parvint jufqu’à fa rivale, 6c
1 empoifonna. Non moins ambitieufe que jaloufe ,
ou peut-être jaloufe uniquement parce qu’elle étoit
ambitieufe, Eléonore étoit indignée de ce que Henri
lui refufoit l ’adminiftration des états qu’elle avoit
apportés en mariage. Henri , qui ne la croyoit pas
faite pour le gouvernement, ne vouloit pas plus
livrer un peuple à fes caprices qu’une femme à fa
jalonfie. Eléonore pouffa fi loin les effets de fon
reffentiment, qu’elle força Henri à des coups d’autorité,
fource de malheur pour l’un & pour l’autre.
Elle fouleva contre lui les fils même qu’elle avoit
eus de lui, & qui tous femblèrent nés pour le haïr
8c pour le tourmenter ; ils ne refpe&èrent ni fa
gloire , ni fa vieilleffe , ni fa tendreffe. Il les combla
de bienfaits , ils attentèrent à fa vie ; les plus
modérés d’entre eux vouloient au moins lui fuccé-
der de fon vivant ; le jeune Henri, fon fils aîné
demandoit nettement qu’on lui cédât ou l’Angleterre,
ou la Normandie ; Richard vouloit être maître
en Guyenne 8c en Poitou , Geoffroy en Bretagne ;
ils s’étoient tous mis fous laproteétion de la France ,
tous les mécontens s’étoient joints à eux; toutes
les provinces angloifes du continent furent en feu.
Eléonore voulut aller trouver fes fils en France
elle s’étoit déguifée en homme pour s’échapper plus.
aifément : elle fut reconnue, 8c le roi, fon mari
crut devoir s’affurer d’elle. Il la retint plufieurs années
en prifon. Cette févérité, peut-être néceffaire,.
parut une ingratitude criminelle 8c fcandaleufe
envers une reine à laquelle Henri avoit dû fa
grandeur en France.
On accufa Henri II d’aimer trop A lix, fille de
Louis-le-Jeune, qui, félon les traités, devoit épou-
fer Richard, fécond fils de HenriII. Ce fut Eléonore
elle-même qui l’en accufa. On prétend qu’il
eut un enfant d’A lix , foit qu’il l’eût féduite, foit
qu’il lui eût fait violence. On répandit même le
bruit qu’il vouloit répudier Eléonore, époufer Alix,
8c s’il en avoit des fils , les déclarer les héritiers»
Les chagrins que lui caufoient fa femme 8c fes fils
pouvoient lui avoir donné cette idée, ou l’avoir
donnée au public. Quelques hiftoriéns croient que.
tous ces bruits étoient autant de calomnies de la
jaloufe Eléonore.
Elle refia enfermée pendant toute la vie de-
Henri I I , qui mourut l’an 1189, en maudiffant des
fils qui le faifbient mourir de douleur : Richard, à
la vue de fon cadavre 8c du fang qui en fortoit,
parce qu’il étoit mort d’apoplexie, ne put retenir-
ce cri au remords : Ah ! cejl_ moi qui ai tué mon
père éll mit fa mère en liberté , 8c elle le lui rendit.,
car lorfque Richard, à fon retour de la . Terre-
Sainte, eut été retenu prifonnier par le duc d’Autriche
8c par l’empereur Henri V I , Eléonore-, après
avoir rempli l’Europe de fes cris 8c de fes plaintes .,
après avoir écrit au pape des lettres où éclatent
toute la douleur d’une mère affligée, 8c toute
l’indignation qu’excite l’injuftice, paffa. elle-même
en Allemagne l’an 1194* pour délivrer fon fils.
Jean-fans-Terre, pendant la captivité dû roi Richard,
fon frère, avoit excité en Angleterre des
troubles dont Eléonore s’étoit-plainte avec amertume
; cependant à la mort de Richard, arrivée
en 1199, elle voulut procurer la couronne à ce
vd 8c lâche Jean-fans-Terre, fon dernier fils,au pré.
judicé de fon petit-fils Artus ou Arthur, fils de Geoffroy
, frère aîné de Jean-fans-Terre , 8c fon petit-
fils fut obligé de lui faire la guerre. Elle mourut
lan 1202 , félon les uns ; l’an 1204, félon les autres
, le 3.1 mars.
ARABES. (Hifioire des ) Les Arabes , enivrés;
de leur antiquité 8c de l’honneur qu’ils ontdedef-
cendre des patriarches , réfervent toute leur efiime
pour eux-mêmes,8c n’ont que du mépris pour le refte
des nations. Il efi bien difficile de déchirer le voile
qui couvre leur origine, tous les monumens hif-
toriques font mutiles ou détruits, 8c l’on ne peut
s appuyer que fur des traditions qui ont çonfervé
quelques vérités 8c beaucoup de menfonges. On
allure fans preuve que l’Arabie , dès les temps les
plus voifins du déluge, fut peuplée par trois familles
différentes; la poftérité de Cham s’établit.
j|.r , . bords de l’Euphrate 8c du golfe arabique,
j ■otorieur de la partie méridionale fut occupé par
les fils de Jochtan, dont l’aîné donna fon nom à
toute la prefqu’ile : fes defcendans furent regardés
comme Arabes naturels, au lieu que la poftérité
am 5 ^ tp Ifmaëlites qui formèrent des éta-
bliflemens, dans l ’Arabie Rétrée, quelque temps
apres , furent toujours défignés par le nom de
Mo fl-Arabes ou de Mac-Arabes, ce qui marquoit
leur origine étrangère.
La poftérité d'Ifmaël, devenue la plus nombreufe,
8c par confequent la plus puiffànte, réunit, dit-
on, fes forces pour envahir tout le domaine de
l’Arabie, 8c les deux autres peuples furent exterminés
par elle : ce maffacre fut accompagné de
beaucoup de prodiges fans preuves. Quoiqu’on ne
puiffe fe diffimuler les atrocités énormes de ces
fiecles, dont on n’exalte ordinairement l’innocence
que pour mieux faire la cenfùre du préfent, quel
intérêt auroit eu cette génération, aufli féroce
«ailleurs quon. voudra la fuppofer, pour exterminer
ces deux peuples qui partageoient avec elle
l’Arabie ? Etoit-ce celui d’envahir leurs poffeffions
dans un temps ou la terre manquoit de cultivateurs
8c d’habitans , où l’on pouvoir étendre fes domaines
autant que fes defirs , où le fuperflu dans ce
genre abondoit de toutes parts ? Il eft donc plus
naturel de croire que les trois nations fe
confondirent 8c qu’affujetties par la nature du fol
8c du climat à un même genre de v ie , 8c aux
mêmes ufages, elles formèrent entre elles des al-
liances qui, par la fucceffion des temps, firent
difparoître les diftin&ions qui défignoient la différence
de leur origine. Mais cette façon de concevoir
eft trop fimple , 8c les Arabes flattés de def-
cendre tous d Abraham , aiment mieux calomnier
leurs ancêtres 8c les repréfenter comme des con-
; qüérans barbares , que d’avouer que le fang ifmaë-
! lite a été altéré par le mélange impur du fang
etranger; 8c en effet toutes les tribus fe glorifient
d’avoir également Abraham pour auteur.
Ce peuple, comme tous ceux de l’orient, étoit
partage en différentes tribus, dont chacune avoit
fon chef, fes ufages 8c fes rites facrés qui lui étoient
particuliers : chaque famille formoit une efpèce
d empire domeftiqife abfolument indépendant ; éloignées
les unes des -autres , fans relation d’intérêts
8c d amitié, elles avoient feulement çonfervé certains
traits qui faifoient reconnoître que c’étoient
autant de rameaux fortis de la même tige; toutes
avoient le même amour de l’indépendance, 8c
libres dans leurs déferts, elles plaignoient les nations
affervies à des maîtres : cet amour de la liberté
, paillon des âmes nobles 8c généreufes, étoit
chez les Arabes un fanatifme national, d’où naif-
foit leur mépris pour le refte des hommes.
Les ^/vz£e.s-,ordinairement grands 8c bien faits,entretiennent
leur vigueur par des exercices pénibles,
par une vie aâive qui lés endurcit au travail 8c aux
fatigues. La frugalité qui leur eft infpirée parla fté-
rilite du climat, femble en eux une vertu naturelle
: l’eau eft un breuvage qu’ils préfèrent à toutes
les liqueurs qui énervent les forces , 8c qui fufpen-
dent 1 exercice de la raifon ; uniquement occupés
des moyens de fubfifter 8c du plaifir de fe reproduire,
ils n’eprouvent jamais les inquiétudes de
1 ambition, ni les tourinens de l’ennm -'ils ne con-
noiflênt point cet eflaiin de maladies qui afflige les .
peuples abrutis par l’intempérance ; ils n’ont d’autre
lit que la moleffe 8c le gazon , ni d’autre oreiller
qu une pierre , 8c jamais leur fommeil n’eft
trouble par le tumulte des paflions. - Ce genre- de
vie les conduit fans infirmité à une longue vieilleffe
; 8c quand il faut payer le dernier tribut à la
; nyture, iis femblent plutôt ceffer d’être que mou-
; rir : ils ont, comme tous les peuples, des vertus
; 8c des vices qu’ils tiennent de l’influence du climat.
Mais on leur fait un reproche très-grave dont il
eft difficile de les juftifier, c’eft cette cruauté qui
'jeur fait répandre fans fruit 8c fans remords le fang
humain. Leurs propres hiftoriens nous ont tranfmis
des atrocités qui dépofent que ce peuple féroce fe
propofoit moins de conquérir le monde, que de
le détruire, ( 8c qui rendent vraifemblable cette
première définition fans intérêt 8c fans objet que
1 auteur de Cet articl_v n’avoit pas d’abord voulu
croire.) Mais comme ils oHt des vertus qui femblent
incompatibles avec leurs vices, développons
les caufes qui produifent des effets fi oppofés. Pour
juger une nation, il faut partir d’après le principe
qui la fait agir. Un feul préjugé d'éducation fuffit
pour la rendre vertueufe ou féroce. I,es Arabes
defcendus d’Ifmaël regardoient le domaine de la
terre comme leur héritage ; leur patriarche chaffé
de la maifon paternêlle eut pour partage les plaines
8c les défêrts ; fes defcendans qui le repréfentent
s arrogent le même privilège : ainfi l’enlèvement
B b b 2