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gagé par ce même efprit du temps à fe faire côrde-
lier , ce qui nuifit beaucoup encore aux progrès de
fés lumières ; mais combien ce cordelier devoir
avoir & de philo fiaphie & de courage pour ofercom-
pofer un Traité de nullitate m agi ce, dans un temps
où l’on admiroit & ou l’on brùloit tant de magiciens!
On a dit de P.afeal qu’il'fembloit avoir deviné
ce que la langue françoife alloit devenir quarante
ans après lui ; on peut dire dans le même
fens que Roger Bacon avoit deviné ce que la raifon
humaine deviendrait dans trois ou quatre
fiècles fous un autre Bacon & fous Defcartes : la
vérité fage & hardie avec laquelle il diflipe les
préjugés ; la précifion avec laquelle il rapporte les
phénomènes de la nature & de l’art à leurs principes
véritables, doivent nous étonner autant quelles
durent fcandalifer fes contemporains. Ce qui n’eftpas
moins furprenant, c’eft de voir nettement expo-
fées dans fes ouvrages, des découvertes qui n’ont
illuftré que des fiècles poftérieurs, faute d’avoir
été fuivies ou crues poflibles de fon temps ; tels
font les micrcfcopes, les télefcopes, les verres &
miroirs à facettes , les effets de la poudre à canon,
& d’autres inventions qù’on a depuis annoncées
comme nouvelles» En 1267, Bacon propofa au
pape Clément IV un plan pour la réformation du
calendrier ; & ce plan eft le piême qu’on a fuivi
plus de trois cents ans après par ordre du pape
Grégoire XIII. Quel fiit le prix de ces travaux ?
Un cachot où Roger Bacon fut enfermé par fon
ignorant général, lerôme d’A fcoli, fur les plaintes
de tout fon ordre indigné de tant de vérités nouvelles.
Le favant utile languit dans les fers, le
perfécuteur ignorant monta fur le trône pontifical ;
ce fut lé pape Nicolas IV. Bacon mourut (vers
l’an 1284. ) La magie reprit tous fes droits , les
fciences rentrèrent dans le néant.
20. François B a c o n de Verulam , chancelier
d’Angleterre fous le" roi Jacques I , décrié , flétri
même comme miniflre, révéré comme fâvant
& homme de génie. Il étoit fils de Nicolas Bacon ,
aufli chancelier & garde des fceaux d’Angleterre.
Celui-ci avoit été élevé à cette dignité par la reine
Elifabeth. Avant fon élévation il avoit bâti à Hert-
fort une maifon, qui avoit paru jolie alors. Quand
il fut chancelier, Elifabeth alla l’y vo ir , & lui dit :
Voilà une maifon bien petite pour un homme tel que
vous. Ce f i votre majefié., lui répondit ‘Bacon avec
modeftie & avec reconnoiflance, qui m’a fait trop
grand pour ma maifon. Nicolas Bacon:, quoiqii’inf-
truit & habile , fut entièrement éclipfépar fon fils.
Frariçois étant encore enfant, répondit à la reine
Elifabeth qui lui demandoit fon âge : Madame, je
compte deux ans de moins que le règne glorieux de
votre majefié. La reine n’oublia pas cette réponfè ,
& depuis ce temps elle l’appelloit toujours fon
petit garde des focaux. Il ne le fut que fous le roi
Jacques. François Bacon avec tous fes talens paroît
avoir porté dans les affaires une foibleffe de caraç-
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tèré qui lui donna fouvent l’apparence de vices
que peut-être il n’avoit pas. Il parut ingrat envers
le comte d’Effex , & il ne fut que foibîe, Le comte
l’avoit aidé de fon crédit & de fa fortune, Bacon
fe rendit fon acctifateur & plaida contre lui par
ordre de la reine , ce qui fçandalifa fort le public j
mais Bacon fe propofoit de tourner à l’avantage
du comte d’Effex la commiflion rigoureufe dont
il étoit chargé contre lui ; il fit un extrait de la
procédure du confeil , qui fut entièrement favorable
à l’accule; il travailla meme à le remettre dans-
les bonnes grâces de la reine, en faifânt valoir 8ç
exagérant même le regret qu’il montrait de les
avoir perdues ; Elifabeth favoit l’amitié qui avoit
uni le comte d’Effex & Bacon, & la reconnoiffance
que le dernier devoit-au premier, elle fburit
& dit : Je reconnois la force a un ancien, attachement.
Votre majefié , répondit Bacon, peut eh juger
par fon propre coeur. En effet, le comte d’Ëffex parut
rentrer en faveur, & Bacon n’avoit eu la hardiefle
de parler pour lui , que parce qu’il croyôit voir
qu’Effex n’étoit pas encore condamné dans le
coeur de la reine ; lorfque ce favori retomba dans
la difgrace & fut entièrement abandonné d’Elifa-
beth, Bacon, moins par ingratitude que par foiblefle,
voulut bien être le miniflre de la colère & de la
vengeance d’Elifabeth à l’égard de cet infortuné
lord.
Bacon parut encore être avide & vénal, & i!
n’étoit encore que foible. Son défaut d’économie
Si fon indulgence exceflive pour les déprédations
de fes domeftiques, le jettèrent fouvent dans le
befoin , & il alla jufqu’à vendre la juftiee, c’eft-
à-dire, à tirer des préfens de fes cliens, de manière
cependant que la juftiee, à ce qu’on prétend, n’en
fouffrît jamais , & que fes jugemens n’en étoient
pas moins équitables contre ceux même dont il
avoit reçu des arrhes d’iniquité. On lui fit fon
procès , il fut convaincu par fon propre aveu.
On dit que pendant le cours de fon procès, quelques
uns de fes domeftiques qu’il avoit élevés Sç
enrichis aux dépens des cliens , fe levans à fon arriv
é e , il leur dit : Refieç affis, mes maîtresvotre
élévation fera ma chiite. Il fut privé de tout emploi
& condamné à une amende de quarante mille livres
fterling. Le roi qui l’aimoit, ne voulut pa's qu’il la
payât, il lui donna même une penfion confidéràhle y
& ne]négligea rien pour adoucir fon fort. Ce grand
philofophe reconnut enfin, dit M. Hume, qu’il
avoit trop long-temps négligé la véritable ambition
d’un homme de génie, en fe livrant aux affaires ,
qui, félon lu i, demandent moins de capacité , mais
plus de fermeté d’ame que les objets du favoir.. I l
furvécut cinq ans à fa lentence, il paffa ce temps
dans la retraite & dans l’étude, & ce fut alors qu’il
s’immortalifa par fes ouvrages, heureux d’avoir
çonfervé l’énergie de fon ame au fein de l’humiliation
; fes productions littéraires , dit encore
M. Hume, lui ont fait obtenir le pardon ou l’indulgence
de la poftérité, pour fes fautes ou fes
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foibleffes : il mourut le 9 avril 1626, âgé- de €6 ans.
Voici le portrait qu’a fait de Bacon & le jugement
qu’en, à porté M. de Voltaire.
u II a été, comme ç’eft l’ufage parniUçs.hoipmes
» plus eftimé après fa mort que de fon vivant. Ses
j» ennemis étoient à la cour de Londres ; les admir
» rateurs étoient les étrangers.
P Lorfque le marquis d’Effiat amena en Angle-
j> terre la princeffe Henriette-Marie, fille de Henri-
»> le-Grand, qui devoit époufer le roi Charles, ce
M miniflre alla vifiter. Bacon, qui alprs étant ma-
lade au lit, le reçut les rideaux fermés. » Vous
v reflèmblez aux anges, lui dit d’Effiar, on entend
» toujours parler d’eux, on les croit bien fupérieurs
» aux hommes , & on n’a jamais la confolation de
w les voir. n
Ajoutons aue Bacon lui répondit : Mes infirmités
me font ffhtir que je fuis à peine un homme.
«Vous favez, continue M. de Voltaire, com-
nient Bacon fut accufé d’unqrime qui n’eft guères
« d’un philbfophe, de s’être laiffé corromprè par
« argent ; vous favez comment il fut condamné....
« Aujourd’hui les Anglois révèrent fa mémoire au
« point qu’à peine avouent-ils qu’il ait été çou-
« pable. Si vous demandez ce que j ’en penfe, je
» me fervirai pour vous répondre d’un mot que
» j’ai oui-dire à mylord Bolingbroke. On parloit
31 en fa préfènee de l’avarice dont le duc de Marl-
» boroug avoit été accufé,. & on en citpit des
31 traits fuK leïquels on appelloit au témoignage de
91 mylord Bolingbroke, qui ayant été d’un parti
s> contraire, pouvoit peut-être avec bieiiféance
9i dire ce qui en étoit. C’étoit un f i grand homme ,
31 répondit-il, que j ’ai oublié fes vices.
» Le plus fingulier & le meilleur des ouvrages
91 de Bacon, eft celui qui eft aujourd’hui le moins
11 lu & le plusinutile, je veux parler de fon Novum
91 feientiarum organum. C’eft Féchafaut avec lequel .
91 on a bâti la nouvelle philofophie ; & quand cet
v édifice a été élevé, au moins en partie, l’échafaut
» n’a plus été d’aucun h fage.
11 Le chancelier Bacon ne connoiffoit pas encore
.9» la nature, mais il favoit & indiqueit tous les
91 chemins qui mènent à elle. Il avoit méprifé de
11 bonne heure ce que des fous en bonnet quarté ’
j) enfeignoient fous le nom de philofophie dans
m les petites-maifons de ce temps, appellées col-
3i lèges , & i l faifoit tout ce qui dépendoit de lui ,
31 afin que ces compagnies inftituées pour la perfec-
31 tion de la raifon humaine , ne continuaffent pas
j> de la gâter , par leurs quiddités , leurs horreurs
» du vuide , leurs formes fubftantielles, & tous
9i ces mots que non-feulement l’ignorance rendoit
« refpeélables, mais qu’un mélange ridicule avec
31 la religion avoit rendu facrées.. . . . .
« Il eft le père de la philofophie expérimentale ;
11 perfonne avant lui ne Favoit connue , & de
91 toutes les épreuves phyfiques qu’on a faites de-
» puis lui, il n’y en a prefque pas une qui ne foit
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11 indiquée dans fon livre ; il en avoit fait lui-même
” plufieurs. Il fit des efpèces de machines pneuma-
” tiques, par lefquelles il devina l’élafticité de
” l’a%• Il a tourne tout autour de la découverte
” fa pefanteur. Il y touchoit ; cette vérité fut
11 faifie par, Toricelli. Peu de temps après , la phy -
11 ftque expérimentale commença tout d’un coup
» à. être cultivée à la fois dans prefque toutes les
11 parties de l’Europe. C ’étoit un tréfor ca ché, dont
” Bacon s’étoit d ou té, & que tous les philofophes„
” encouragés par fa promeffe, s’efforcèrent de
11 deterrer.
>1 On voit dans fon l iv r e , en termes exprès c,
11 cette attradion nouvelle dont M. N ewton paffe
11 pour l’inventeur.
” C e précurfeur de la philofophie a été aufli un
” écrivain élégant, un hiftorien, un bel efprit.
11 Ses effais de: morale font très-eftimés , mais
», ils. font faits pour inftruire plutôt que pour plaire ;
11 & n étant ni la fatyre de la nature humaine ,
». comme les maximes, de la Rochefoucauld, ni
” l’école du fçepticifme comme Montagne , ils
» font moins lus que ces deux livres ingénieux.
” , Sa v ie de Henri V I I a paffé pour un chef-
» d’oe u v r e , mais comment fe peut-H faire que
” quelques perfonnes ofent comparer un fi petit
» ouvrage avec l’hilloire de notre illuftre M. de
11 T h o u r
M. Hume compare Bacon avec Galilée , &
il_ accorde généreufement la fupériorité à ’ -l’é-
tranger.
» L ’honneur dé la littérature angloife, fous le
» régne de Jacques I , fu t mylord Bacon. La plu -
» part de fes ouvrages furent compofés en latin,
» mais il rie pofiedoit ni l’élégance de cette langue
» ni celle de fa langue naturelle. Si l’on confidèré
« la variété des talens qui fe trouvoient réunis
” ™;1S fon caraftère, o rateur, homme d’é ta t ,
» bel efprit, courtifan, homme de Ibciété, auteur»
». philofophe, il mérite la plus haute admiration s’il
» eft confidéré Amplement comme auteur & philo-
» fophe, [quoique très-eftimable fous ce jo u r , il eft
” inférieur à Galilée fon contemporain, & peut-
» être même à Kepler. Bacon a montré de loin la
» route de la vraie philofophie: Galilée ne s’eft pas
» cpntenté de la montrer , il y a marché lui-même
» a grands pas. L ’Anglois n’avoit aucune connoif-
» fance de la géomé trie, le Florentin a reflufeité
» cette fcience, y e x c e llo it , & a paffé pour le pre-
» nuer qui l’ait appliquée avec les expériences à la
» philofophie naturelle. Le premier a reietté fort
» dédaigneufement le fyftême de Copernic ; l’au-
» tre l’a fortifié de nouvelles preuves , èmprun-
» tées de la raifon & des fens. L e ftyle de Bacon
» eft dur, empefé:fon efprit, quoique brillant par
» intervalles, eft peu naturel, amené de lo in , &
n lemble ayoir ouvert le chemin à ces comparai-
» fo n s ... . . . . . à ces longues allégories qui diffinn
guent les auteurs Anglois. G alilé e , au contraire ,
» elt Vif, agréable', quoiqu’un peu prolixe. Mais