
particulier avec Jupiter, qui defcendoît fou vent
du ciel pour le vifiter. Un nomme aflez imbécile
pour fe croire un dieu , devoit rougir d’avoir pour
aïeul Agrippa, qui, né de parens obfcurs, avoit
été l’artifan de fa grandeur. Ce fut pour défavouer
fon origine, qu’il déshonora la mémoire d’Augufte,
en difant que fa mère étoit le fruit du commerce
inceflueux de cet empereur avec fa fille Julie. Le
même orgueil lui fit méprifer fon aïeule Livie,
fous prétexte que fon aïeul avoit été magiftrat
de Fundi. Les chagrins qu’il lui caufa , abrégèrent
fa v ie , & il fùtfoupçonné de l’avoir empoifonnée.
Ce foupçon fut autorifé par le refus qu’il fit de
rendre à fa mémoire les honneurs que le fénat lui
avoit déférés, 8c parle meurtre de fon frère Tibère
& de Sillanus fon beau-père. Il n’y eut point de
crime qui n’infe&ât fon coeur : fes inceftes avec
Tes ïoeurs furent publics, & fur-tout avec Drufille ,
qu’il .arracha du lit de fon époux pour aflouvir fa
brutalité. Etant tombé malade, il la défigna fon
héritière à l’empire. Toutes les femmes célèbres
par leur beauté , allumèrent fes feux impudiques :
il enleva Livie Horiftele le jour, même de fes noces,
8c il quitta le banquet nuptial en annonçant qu’il
alloit coucher avec elle. Il s’en dégoûta trois mois
après, & ayant "fu qu’elle revoyoit fon premier
époux, il prononça l’arrêt de leur mort. Céfonie
parut fixer fon inconfiance-; elle n’avoit ni jeu-
nefie ni beauté, & même elle étoit mère de trois
filles, mais fes défauts étoient rachetés par fes
rafinemens & fes découvertes dans l’art de réveiller
les voluptés. Après' avoir fait l’eflai de fes
cruautés fur fa famille, il en exerça de nouvelles
contre fes amis qui l’avoient élevé à l’empire, &
contre ceux qui avoient été les complices de fes
débauches : tous périrent d’une mort violente. Il
fit nourrir pendant long-temps des bêtes fauvages,
pour les faire combattre dans les jeux qu’il don- ,
noit au public. Cette dépenfe fut retranchée, &
au lieu de bêtes , il lui parut moins ruineux de
tirer des hommes des prifons pour les faire combattre
à outrance. Un jour on lui préfenta la lifte
des prifonniers accufés de crimes : il ne fe donna
pas la peine d’examiner les dépolirions, & tous
furent indiftinélement condamnés à la mort. Un
flatteur, en le voyant malade, fit voeu de combattre
à outrance, pour remercier les dieux de
l’avoir rendu aux Romains : Caligula, qui auroit
dû le difpenfer de ce voeu téméraire, en ordonna
l’accompliflement, & le flatteur y perdit la vie.
Il fit maflacrer tant de Gaulois & de Grecs, qu’il fe
glorifia d’avoir fubjugué par l’épée la Gallo-Grèce.
Il avoit pour maxime, que celui qui pouvoit tout., .
avoit droit de tout enfreindre, & qu’il importoit
peu d’être h aï, pourvu que l’on fût craint. Cruel
jufques dans l’ivrefle de l’amcur, il ne baifo.it jamais
le cou de fa femme & de fes concubines,
fans leur dire : « ce joli cou fera coupé aufli-tôt
» que je le commanderai». Çeux qui ne commettent
que des aérions criminelles, ont en averfion
les écrivains qui les tranfmetterit à la poftérité ;
c’eft pourquoi Caligula voulut faire brûler les ouvrages
d’Homère , de Virgile & de Tite-Live. Il
voulut étendre plus loin cet attentat littéraire ; &
fous prétexte que la raifon naturelle étoit fuffi-
fante pour diftinguer la vérité du menfonge, le
jufte de l’injufte, il ordonna de brûler tous les livres
de jurifprudence : fa volonté eût été la feule
des loix. L’envie, qui dévore les âmes baffes, fit
le tourment de fa vie. Les premières familles de
Rome furent privées des diftinéfions qui rappel-
loient la gloire de leurs ancêtres : les Torquatus
ne portèrent plus la chaîne d’o r , ni les Cincin-
natus, la perruque ; le nom de grand fut ôté au-x
Pompée.
Caligula, dont toutes les paflionsfurent extrêmes,
n’emprunta pas le voile de la décence pour couvrir
Tes infamies. Ses amours monfirueux avec
Lepidus & Neftor- le -pantomime ne modérèrent
point fon goût pour les courtifanes, & fur-tout pour
Pyzallides, quidonnoit depuis long-temps dans Rome
dés leçons de lubricité. Les dames les plus refpeâa-
bles furent également expofées à fes outrages. Il les
invitoit à des feftins avec leurs maris, & après avoir
lancé fur chacune fes regards impudiques, il quittait
la falle dufefiin, 8c envoyoit chercher celles qui
l’avoient le plus frappé. Dès qu’il avoit affouvi fa
brutalité, il fe remettoit à table, 8c fe félicitant
de fon triomphe, il infultoit’ à la vi&ime en pré-
fence de tous les convives. Il forçoit quelquefois
ces femmes , qu’il venoit de déshonorer , à envoyer
à leurs maris des lettres de divorce qü’il avoit
foin de faire inférer fur les regiftrés publics. Ce
fut fur-tout par fes profufions qu’il furpafîa tout ce
qu’on avoit vu dans les fiècles précédens. Il ne pre-
noit le bain que dans des eaux de fenteur. On ne
fervoit fur fa table que des mets recherchés.. Il fe
plaifoit à avaler des pierres précieufes qu’il rédui-
' foit en poudre avec du vinaigre. Il faifoit fervir à
chaque convive des pains & des viandes qui en effet
étoient des mafles d’or façonnées, en difant, il
faut être économe à moins qu’on ne foit Céfar. Bi-
farre dans tous fes goûts, il n’aimoit à exécuter
que ce qui avoit paru jufqu’alors impoflible. Il fit
' conftruire des galères de bois de cèdre qu’il enrichit
de pierreries, & de voiles de pourpre & de
foie. On y trouvoit toutes les commodités , & tout
le luxe qu’on admire dans les plus fomptueux
palais , & même il y fit planter pifqu’à des vignes
& des arbres fruitiers, dont l’ombrage garantnfoit
des ardeurs du foleil. Caligula y donnoit des feftins &
des concerts qui attiroient la multitude fur le rivage ,
lorfqu’ilfe rendoitàfes maifonsde campagne. Il ai-
moit à réprimer la mer par des digues, à bâtir dans fon
fein des palais , à percer des montagnes 8c à les ap-
planir fans aucun motif d’utilité. Ce fut par fes folles
dépenfes qu’il épuifa fes tréfors, qui, à la mort de
Tibère, eontenoient foixante-fept millions d’argent
mon noyé. Son avarice, égale à fa prodigalité,
eut bientôt rempli le vuide caufé par fes difliparions..
Il eontefta le droit de bourgeoifie à plufieurs
citoyens qu'il força de le racheter. Il fuppofa des
crimes pour s’enrichir par des confifcations. Il an-
nulla les teftamens pour fe fubftituer aux légitimes
héritiers. Il enlevoit aux particuliers leurs plus
riches meubles, alléguant que ce luxe ne devoit fe
tolérer que dans Céfar ; 8c lorfqu’il les mettoit en
vente, c’étoit lui-même qui nommoit les acheteurs,
8c qui fixoit le prix. Il faifoit payer jufqu’à l’honneur
de manger à fa table. Il mit des impôts fur tout
ce qui avoit été refpeâé jufqu’alors. Le comef-
tible lui dut des droits. Les porte-faix furent taxés
à lui rendre la huitième partie du produit de leur
travail. Il établit des lieux de proftitution où des
courtifanes privilégiées lui payoient un impôt
Îournalier pour exercer librement leur commerce,
-es jeux de hafard furent permis, parce qu’il pouvoit
y friponner avec impunité.
(L ’empereur étant à jouer aux dez dans la ville
de L y o n , fe fit, dit-on, apporter le dénombrement
des .Gaules, contenant l’état de toutes les
perfonnes libres 8c de leurs biens, il donna ordre
d’en aller égorger fur le champ lin grand nombre
pour avoir leur confifcation ; puis fe tournant vers
les joueurs : Vous perdeç, dit-il, le temps à jouer
un petit jeu qlii ne peut jamais vous enrichir, tandis
que d’un trait de plume je gagne des millions. )
, Trop afloupi dans les débauches pour être fen-
fible à la gloire, il fe vit dans la néceflité de porter
la guerre en Allemagne. Il fit aflembler les légions
8c les auxiliaires : il* marcha plutôt avec la pompe
triomphale qu’avec un appareil militaire. Il ufoit
quelquefois d’une fi grande précipitation, que les
prétoriens s’épuifoient pour le fuivre, & quelquefois
fe faifant porter dans une litière par huit nommes, il
alloit avec la plus grande lenteur. Toutes les routes '
étoient balayées & arrofées pour éviter l’incommodité
de là pouflièçe. Arrivé au camp, il ne trouva
point d’ennemis a combattre, & il écrivit à Rome
des lettres faftueufes fur fes exploits, avec ordre de
ne les remettre au fénat que dans le temple de Mars.
Il fuppléa aux dangers, des dangers imaginaires. Il
fit paner le Rhin à quelques avant - coureurs, qur
rapportèrent que l’ennemi alloit fondre fur les romains
; aufli-tôt, fans en avertir farinée, il fe jetta
dans une forêt voifine avec quelques prétoriens. Il
y fit couper des arbres pour en faire des trophées à
les compagnons, comme s’il eût réellement remporté
une viétoire. A fon retour au camp, il taxa
de lâcheté tous ceux qui ne l’avoient pas fuivi. Il
rendit un édit fort rigoureux contre les fénateursqui,
pendant fa laborieufè^^pédition, fe livroient aux
plaifirs de la table & du cirque. Cet infenfé , qui
n’avoit point d’ennemis , fit marcher fon armée en
bataille rangée jufqu à l’océan, où il ordonna aux
foldats de raflembler. des coquilles qu’il qualifia de
dépouillés de l’océan, pour les confacrer aux dieux
du capitole. Alors il annonça fon départ aux foldats
, en leur difant : Partons chargés de richefles
& de gloire. Quoiqu’il n’eût vaincu ni peuples ni
rois, il voulut jouir des honneurs du triomphe. Au
lieu de rois captifs, il fe fit fuivre d’un grand
nombre de Gaulois , qui, à prix d’argent, prirent
le nom 8c le langage des barbares qu’il prétendoit
avoir fubjugués. Avant de quitter la Germanie, il
forma le deftein de pafler au fil de l’épée les légions
qui s’étoient autrefois révoltées, pour élever
à l’empire fon père Germanicus. Il les fit reflerrer
dans une enceinte, où après leur avoir parlé avec
aigreur, il alloit donner le fignal du carnage , lorfqu’il
s’éleva un murmure général qui lui fit craindre
une révolte. Il quitta avec précipitation fon armée ,
& prit le chemin de Rome avec une fimple efcorte.
Les députés du fénat vinrent le féliciter fur fa route,
8c l’exhortèrent à prefler fon retour. Oui, leur dit-
il , je vais m’y rendre avec cette épée pour le bien
du peuple & des chevaliers. Le poids de fes vengeances
tomba fur le fénat qu’il dépouilla de toutes
les prérogatives. Plufieurs conjurations fe formèrent
contre ce monftre couronné. Chereas, tribun
d’une cohorte prétorienne,, brigua l’honneur de lui
porteries premiers coups. C ’étoit un vieux guerrier,
qui, dans fa jeuneflfe,^s’étoit livré à toutes les voluptés.
Il fe trouva offenfé de ce qu’allant prendre
l’ordre, l’empereur lui donnoit toujours le mot de
Vénus ou de Priape. Ce fut le 24 de janvier qu’il
choifit pour exécuter fon deftein. L’empereur fut
long-temps incertain, s’il paroîtroit en public; mais
enfin il ne put réfifter à la:ciiriofité d’aflifter aux
danfes 8c aux chants des jeunes gens qualifiés qu’il
avoit fait vènir d’Afie pour fes plaifirs. Tandis
qu’il leur parloit, Chereas le faifit, & lui enfonça
fon épée dans la gorge. Un autre tribun nommé
Sabinus le frappa d'un autre coup dans l’eftomac.
D’autres conjurés lui coupèrent les parties hon-
teufes : il expira en implorant vainemerit du fe-
cours. Son corps fut emporté dans les jardins La-
miens où il fut enfoui à demi brûlé. Il étoit âgé de
vingt-neuf ans , dont il en avoit régné trois & trois
mois & huit jours. Sa femme Cefonie fut tuée à fes
côtés par un centenier, 6c fa fille fut écrafée contre
un mur. Dès qu’on eut répandu le bruit de fa mort,
les .plus circonfpeâs n’osèrent fe livrer à la joie,
craignant que par un de fes artifices ordinaires, il
m’eût femé lui-même ce bruit pourdifeerner fes amis!
d’avec les mal-intentionnés. Le fénat réfolut de s’affranchir
de la tyrannie, 8c de rentrer dans fes droits.
L’aflêmblée ne fut plus convoquée dans le palais Ju*
lia, monument de la fervitude ; on l’indiqua au Capitole
où la mémoire des Céfars fut abolie, 6c leurs
temples démolis. Caligula étoit grand 8c chargé d’embonpoint
, le front large, les yeux 6c les tempes enfoncés.
Son corps étoit couvert d’un poil épais 6c
rude. Tout en lui manifeftoit fes inclinations fan-
guinaires. Il étoit aufli foible de corps que d’efprit.
On prétend que Cefonie, pour s’en faire aimer, lui
donna un breuvage qui troubla fa raifon. Quoiqu’il
fut d’un naturel timide, il n’avoit aucune crainte des
dieux. De tous les arts, il rie cultiva que l’éloquence
où il réuflit aflez bien. Enorgueilli de ce talent, ri
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