
3 *o 'A N J
Robert eut pour héritière fa^ petite - fille Jeanne,
fille du duc de Calabre, princeffe fameufe par fon
crime , fes foibleffes & tes malheurs. Elle avoit
epoufe André, fon coufin , frère de Louis, roi de
Hongrie, defcendu comme elle de mâle en mâle
de Charles le Boiteux. Ce malheureux André fut
étrangle la nuit du 18 feptembre 1345 par une
troupe de conjurés. On crut que Jeanne avoit
confond à ce meurtre , on prétend même qu’elle
avoit tiffu de fa main le cordon de foie qui fervit
a cette funefte exécution, & que fon mari qui la
voyoit travailler à cet ouvrage,lui ayant demandé
à quoi elle le deftinoit, elle lui avoit répondu en
riant : à vous étrangler. Si à vingt ans elle fut capable
de cette diflimulation perfide & de cette
plaifanterîe barbare, elle mérita tous fes malheurs;
mais fon gouvernement fut doux : elle montra de
la bonté, de la grandeur même, elle aima fes maris
& fes peuples.
A-t-on tant de vertus après un fi grand crime ?
Quoi qu’il en fbit, Louis , roi de Hongrie , la
crut ou parut la croire coupable ; il chaffa Jeanne
de;, fes états , & il n’eft pas bien fûr que, comme
, l ’ont dit quelques auteurs , il n’ait pas voulu les
* prendre pour lui ; elle y fut rétablie dans la fuite ;
mais trente-quatre ans après, Charles de Duras,
fon parent, de la maifon à!Anjou comme elle , élevé
par elle avec beaucoup de tendreffe , comblé de
les bienfaits, & défigné par elle fon héritier, arma
pour lui arracher la couronne qu’il devoir porter
après elle. Ce Charles de Duras mérite d’être le
fymbole des ingrats. Son ingratitude ne fut que
trop heureufe. Cependant la reine opprimée appelle
à fon fecours, & nomme fon héritier, Louis, duc
d’Anjou, frère de Charles V , roi de France ; il fut
la tige de la fécondé maifon d'Anjou. Ce prince ,
après bien des irréfolutions & des lenteurs, porte
enfin dans le royaume de Naples les tréfors de la
France. Il arriva trop tard pour la reine 6c pour
lui-même ; déjà l’ufurpateur, avec le fecours du
roi de Hongrie, avoit prefque achevé fa conquête;
déjà là reine afliégée dans le château de l’ÇEuf,
s’étoit rendue, & avoit été transférée au château
d’Averfe ; Duras ayant confulté l’implacable frère
du malheureux André,-fit étrangler Jeanne dans la
prifon où il la retenoit, & où , prenant des fentb-
mens conformes à fa fituation , elle pafîoit les
jours dans la prière & dans les larmes.
Le duc d’Anjou ne put ni la défendre, ni la ven-r
ger , ni recueillir fa fuccefilon. La faim & les ma.-
ladies détruifirent fon armée ; fes tréfors immenfes,
dépouilles de fa patrie, étant épuifés, il envoya
Craon, fon confident & fon ami, chercher de
nouveaux fecours en France. Craon obtint tout ce
qu’il demanda, il revenoit chargé de fommesd’argent
qui auroient pu rétablir le parti du duc d'Anjou
, fi elles n’euffent été indignement difiipées par
Craon lui-même. Ce miniftre infidèle oubliant fa
jpifiion parmi les fêtes de Venife, s’y liyroit à de
A N J
ruineufes voluptés, tandis que fon maître abandonné,
découragé, mouroit de faim , de maladie,
de douleur & de fes blefiùres au château de Bife-
glia, prés de Bari. Les François, touchés de fes
malheurs, lui avoient pardonné fes anciennes ex-
torfions ; ils donnèrent des larmes à fa mort, ils
s’attendrirent en voyant le convoi de ce prince,
jeune encore, plein de courage, avide de gloire,
digne en tout d’un fort moins trifte , traverfer le
royaupie pour fe rendre à Angers.
La France reconnut pour roi de Naples, Louis II
fon fils aîné. Ainfi les deux branches d'Anjou fu-,
rent ennemies & rivales.
Cependant Charles de Duras s’affermiffoit par
l’injuftice & par l’audace fur le trône qu’il avoit
ufurpé. Déjà il fe difpofoit à en ufurper un nouveau,
à dépouiller l’a famille d’un autre bienfaiteur.’
Il court enlever la Hongrie à la reine Marie, fille
! de ce Louis qui l’avoit aidé à faire la conquête du
| royaume de Naples. La fortune fécondé encore
1 cette nouvelle injuftice ; deux reines tombent entre
fes mains. C’étoient la veuve & la fille du roi Louis.
Tant d’attentats furent enfin punis. Un palatin atta^
ché au parti des reines, leur procura la liberté par
la mort du tyran,
A cette nouvelle, les efpérances de la fécondé
maifon d'Anjou renaiffent : Louis II , avec le fecours
des S. Severins , grande maifon napolitaine,
fbumet prefque tout le royaume de Naples. La
veuve de Duras fe retire à Gaëte avec Ladiflas ,
fon 'fils ; elle étendit fes troupes autour de cette
v ille, & on n’ofà entreprendre de l’y forcer. Cette
femme courageufe mérita, par fa fageffe & fa per-
févérance, un retour de fortune qu’elle avoit d’ailleurs
lieu d’attendre de la légèreté des Napolitains.
Les S. Severins, mécontens de Louis I I , fe déterminèrent
à détruire leur ouvrage ; ils rappellèrent
Ladiflas, ils chafsèrent Louis , qui, après avoir lutté
un an contre la fortune , revint en France cher-,
cher du fecours.
Ladiflas , refté poffeffeur affez paifible de la couronne
de Naples, malgré quelques, autres tentatives
de Louis I I , régna oc mourut dans le foin
des. voluptés. ( 1414. )
Jeanne, fa foe u r , lui fuccéda. Cette fécondé
Jeanne eut avec la première une conformité bizarre
de caraéïère & d’aventures. Plus , décriée encore
pour les moeurs, elle fut trahie de même par un
ingrat comblé de sfes bienfaits. Alphonfe, roi d’Ar-
ragofi, qu’elle avoit inftitué fon héritier , voulut
la dépouiller de fon vivant ; il porta la guerre dans
fes états, il l’afliégea dans un des çhâteaux de
Naples. Délivrée par Sforpe , le premier ufage
qu’elle fit de fa liberté, fut d’annuller l’adoption
dont.Alphonfe s’étoit rendu indigne, & d’appel-- 1er à fa place Louis III, duc d’Anjou, fils de
Louis IL
Quelques auteurs espagnols juflifient Alphonfe,
& difent que Jeanne le trompoit ; ce n’eft pas l’opinion
générale,
Ce tte
A N J 5 2 1
Cetté Jeanne fut le dernier rejetton de la première
branche d'Anjou 9 qui avoit duré près de deux
cens ans. (1434. )
Ainfi la maifon. d’Arragon, qui pendant les di-
vifions des deux branches d'Anjou, avoit paru fe
contenter du royaume de Sicile , renouvella fes
prétentions fur le royaume de Naples, & les deux
branches d'Anjou fe réunirent contre elle.
Louis III étoit mort avant fa bienfaitrice. René ,
frère de Louis III, hérita de fes droits ; mais ce
René ayant difputé la Lorraine à la branche de
Vaudemont , avoit été fait prifonnier dans une
bataille qu’il avoit perdue ; pendant fa captivité, il
fut aifé au roi d’Arragon d’envahir le royaume
de Naples. Quand René fut libre, il paffa en Italie,
où il eut, comme fes prédéceffeurs , quelques fuc-
cès fuivis des plus grandes difgraces.
Le roi d’Arragon Alphonfe laifla, en mourant,
le royaumlHle Naples à Ferdinand , fon fils bâtard,
qui même, félon quelques auteurs, n’étoit pas fon
fils : on ne pouvoit braver plus pleinement les
droits de la raaifbn d'Anjou. René, indigné, ne
laifla point à Ferdinand le temps, de s’affermir ; le
duc de Calabre, fon fils, qu’il envoya en Italie,
parut d’abord devoir conquérir tout le royaume
de Naples : il gagna la bataille de Sarno, il écrafa
le parti de Ferdinand, tout retentifloit de fa gloire.
Le pape, qui protégeoit Ferdinand, appelle en
Italie Scanderberg, ce roi d’Albanie fi célèbre par
fa valeur , fa force & fes conquêtes ; la fortune
change encore. L’invincible Scanderberg arrête les
progrès du duc de Calabre, & replace Ferdinand
fur le trône. Le duc de Calabre abandonné , fe
défendit long-temps dans l’ifle d’Ifchia contre fes
ennemis & contre la faim ; il fallut fuccomber,
il revint en France implorer la protection fterile
Sc peu fincère de Louis XI. L’union du duc de
Calabre avec les chefs de la ligue, dite du bien
public, acheva de rendre Louis XI très-indifférent
fur les affaires de Naples, & plutôt contraire que
favorable à la maifon d'Anjou.
L’expédition du duc de Calabre fut la dernière
tentative de cette maifon fur le royaume de Naples.
Le duc de Càlabre , & Nicolas d'Anjou , fon fils,
moururent avant lè roi René, qui par fon tefta-
nient , tranfmit fes droits à fon neveu , Charles
d'Anjou , comte du Maine , au préjudice de René de
Lorraine, fon petit-fils, par Ioland d!Anjou farnère.
Le comte du Maine inftitua Louis XI fon héritier
; de-là les droits de la couronne de France au
royaume de Naples, droits que Charles VIII 6c
fes fuccèffeurs firent valoir.
Les droits de la maifon d’Arragon légitime ont
paffé à la maifon d’Autriche. CharleS-Quint 6c fes
îùcceffeurs les ont fait valoir.
Les droits de la maifon d’Arragon bâtarde ont
paffé à la maifon de la Trémoille, qui les fait valoir
en toute occafion par des proteftations.
On vient de voir quels font les droits de la maifon
de Lorraine.
Hijloire. Tome I.
A N J
A njou (M arguerite d’) , fille de René d’Anjou,
roi titulaire de Naples & de Sicile, époufa &
gouverna defpotiquement le foible roi d’Angleterre
Henri V I. Son courage & fon orgueil la deffinoient
à de grandes fautes, de grands malheurs & de
grandes reffources. Ce fut fous fon règne, vers le
milieu du quinzième fiècle qu’éclata la fameufe
querelle des deux rofes. Elle eut à défendre du
chef de fon mari 6c de fon fils la caufe de Lan-
caftre contre celle d’Yorck ; les Angloîs difent
que ce fut fon defpotifme qui donna naiffance
à tous ces troubles , peut-être en faut-il plutôt
accufer la foibleffe de Henri VI. Deux factions
partageoient le confeil de ce prince. Le duc
de Gloceftre , fon oncle , ne refpiroit que la guerre
6c ce qu’il appelloit la gloire du nom Anglois ; le
cardinal de Winceftre, fon. grand-oncle, étoit pour
la France & pour la paix. Le duc avoit voulu
marier Henri VI avec une fille du comte d’Ar-
magnac; le cardinal avoit fait conclure le mariage
du roi avec Marguerite d'Anjou , 6c en faveur de
ce mariage , l’Angleterre , au lieu d’exiger une
dot , avoit cédé la province du Maine à Charles
d'Anjou , oncle de la princeffe. L’implacable Marguerite
d Anjou ne pardonna jamais au duc de
Gloceftre l’oppofition qu’il avoit rnife à fon mariage.
Elle arriva en Angleterre,ennemie du parti de
Gloceftre & proteârice de celui de "Winceftre. Le
jeune Suffolck de qui le cardinal s’étoit fervi pour
négocier le mariage,devint le favori de la reine ; elle
le combla de bienfaits avec une profufion, qui porta
quelque atteinte à la réputation de cette princeffe.
N’ayant pu rendre le duc de Gloceftre coupable
, on voulut vie perdre innocent ; on le fit
arrêter fur un'de ces prétextes qui ne manquent
jamais à la haine, & quelques jours après on le
trouva mort dans la prifon.
La haine publique pourfuivit dans Marguerite
& dans Suffolck , les bourreaux du duc de Gloceftre.
Leur parti s’appelloit en Angleterre le
parti François. Marguerite en effet parut toujours
attachée aux intérêts de la France, fa patrie, &
le duc de Suffolck pour lui plaire , alla quelquefois
jufqu’à trahir la fienne ; la nation fe foulevà
contre ce favori, les communes l’accusèrent, la
reine fut obligée de l’abandonner. Suffolck eut la tête
tranchée fans aucune forme de procès, crime contre
la liberté, trop fouvent commis dans ce pays libre.
Le duc de Sommerfet, qui remplaça Suffolck
dans la faveur de Marguerite, le remplaça aufli
dans la haine de la nation, il fut mis pour un temps
à*la tour de Londres fiir l’accufàtion des communes,
il avoit fuccédé au duc d’Yorck dans la régence
de France, qui avoit été injuftement enlevée
à ce prince. L’Angleterre reprochoit à Sommerfet
la perte de la Normandie, arrivée pendant
fa régence & qu’on attribuoit à fes intrigues,
ou du moins à fa négligence. C ’étoit une raifon
pour que la reine fût ta proteârice. Le duc d’Yorck
fe mit à la tête du parti Anglois avec fes deux
Ss