
Huns en tirèrent de finiftres préfages. Attila , pour
lés raflùrer, eut recours aux arufpices qui, fur
rinfpe&ion des victimes, répondirent que le deftin
s e promëttoit rien de favorable à la vérité,, mais
qu’un général de l’armée ennemie refteroit fur le
champ ‘de bataille. Quelques particularités dans la
Vie à.'Attila, comme l’épée qu’il prétendoit avoir
reçue du dieu Mars , ont fait penfer à quelques
écrivains que ce prince regardoit la! religion en
politique ; mais fa confiance en ces ©racles menteurs
, prouvé qu’il avoit adopté les erreurs dés
Huns, idolâtres. Il ne révoqua point en doute l’évènement
de cette prédiélion ; perfùadé que le
fort menaçoit Aétius , il réfolut de livrer la bataille.
La mort de ce général balançant dans fon
efprit toutes les pertes qu’il pouvoit faire, les
plaines de Châlons furent Couvertes d’un nombre
infini de foldats qué l’on regardoit comme l’élite,
de toiis les pèüples d’Europe : ils n’avoient reçu
les uns des autres aucun outrage , dit Jornandès,
& cependant ils étoient prêts à s’èntfè-détruirë ,
par complaifance pour un feul homme dont l’ambition
leur ténoit lieu de la plus implacable haine.
Quel malheur, continue le même hiftôrien , que
la folié d’un barbare ait détruit dans une .heure,
ce que la nature n’avoit produit qu’avec effort'
pendant tant d’années !' L’araon commença vers
les quatre heures du foir ; & ce fut une des plus
fanglantes dont l’hiftoire fafle mention. Un rameau
qui couloit au milieu des deux camps , fortit de
les bords , grofli du fang qui fe mêloit avec fes
eaux. Théodoric périt dans la chaleur de l’aélion,
& fa mort fut regardée comme l ’accompliffement
de la prédiâion des devins. La vidoire fe déclara
pour les Romains. Attila , furieux de vcJir que la
fortune l’abandonne, fe précipite avec fes Huns
* dans les plus grands périls. Les Oflrogoths, les
Gégides ne leur cédèrent point en valeur. La nuit
ne put calmer la fureur des combattans ; ils fe
chargeoient encore dans les plus épaiffes ténèbres.
Cependant Attila donne l’ordre pour la retraite ;
& fon armée le fuit dans* un filence farouche :
rentré dans fon camp, il fe forme un rempart de
fes chariots, fuivant l’ufage des Huns, qui fut
commun à toutes les hordes du Nord. Attila ne
fortit point de fes retranchemens. On dit que craignant
d’y être forcé , il fit faire un bûcher, réfolu
de s’enfevelir dans les flammes, ne voulant pas ,
dit un hiftorien , qu’un prince qui avoit été la terreur
des nations pendant fa vie , fut en leur puif-
fance après fa mort. Cependant, pour ne mani-
fefter rien de fes craintes, & pour màfquer fa défaite
, il ordonna des chants de viéioire, & fit
retentir fon camp du bruit des trompettes & des
autres inftrumens militaires.
Aétius, au lieu de s’applaudir de fa victoire ,
tint confeil, & délibéra fur les moyens de s’en
aflùrer le fruit. Ce fage général, infenfible à une
vaine gloire, ne fohgea qu’aux intérêts de l’em-
yire. Il ne tenoft qu’à lui g achever la ruine d’Jft-
' tila ; mais il fe contenta de l’avoir affbibli : il craignit
que les Francs & les Vifigoths, auxquels il
attribuoit le fuccès de cette journée , ne devinflent
trop puiffans , & ne partageaient entr’eux les-
rGaules ; il ménagea le roi des Huns comme un
ennemi dont la terreur devoit les retenir dans î’al-
Tia-ncë des Romains. IL engagea Thorifmond , fils
de Théodoric, à aller fe faire couronner à Tou-
■ loufe, capitale de fon état, lui difant qu’il devoit
craindre que fes frères ne fe fiflènt un titre de
fon abfence pour le fupplanter. Aétius ufa des
mêmes artifices pour engager Mérouée à fe retirer
dans fes états. Il leur donna à l’un & à l’autre un
vafe d’or , préfent qui fut long-temps d’ufage dans
l’antiquité : il y avoit de ces vafes qui pefoient
jufqu’à cinq cens livres.
Attila étoit toujours en proie aux plus vives alarmes
; il ne put d’abord fe perfuadèr que les Francs
& les Vifigoths fuffent réellement partis , il rejetta
les premières nouvelles de ce départ comme
une rufe de fes ennemis pour l’attirer hors de
fe^.retranchemens ; mais lorfque fes coiiriers lui
en eurent donné la certitude, il forma des projets
pluis vaftes que ceux qui venoient d’échouer.
On dit que cette bataille lui conta dëux cenv. mille
hommes ; il eft certain que fes troupes étoient
confidérablement diminuées, puifquêj, faehant Aétius
privé d’une partie de fes alliés, il n’eut point
aflez de confiance pour l’attàquèr. Tels font les
détails que nous ont confervés les anciens hifto-
riens , de l’invafion d'Attila dans les Gaules, inva-
fion plus fameufe par fes ravages que par fes fuccès.
Les yilles & les campagnes par où pafla ce
furieux torrent, furent changés en défèrts; &
l’on peut juger de là terreur, que le roi des Huns
infpira, par la conduite des habitans de la ville
de Troyes. On rapporte qu’ils fe retirèrent fur
des montagnes, & que Lupus, leur évêque, ne
put les déterminer à rentrer dans leur ville.
Le roi des Huns ne retoüfua dans fes états
que pour faire de nouvelles levées. Les Qua-
des, les O fe s , les Turcilinges & les autres Germains
d’au-delà de la Viftule , défignés dans l’antiquité
, fous le nom de Baflemes, ainfi que les
Scythes, lui ayant fourni des recrues, il dirigea
d’abord fa route vers Confiantinople ; mais ce n’é-
toit qu’une rufe pour tromper fur fes defîeins
les Romains d’occident. Il revint prefqu’aufli-tôfi
fur fes pas, pafla les Alpes, & mit le liège devant
Aquilée. Cette ville, dont dépendoit le fort de
l’Italie,' fit une défenfe fi vigoureufe, que les
Huns défefpérant du fuccès, firent éclater leurs
murmures r ils parloient de lever le fiège, lorfi
qu * Attila apperçut plufieurs cigognes qui , dirigeant
leur vol vers la campagne., portoient fuir
lem;s ailes leurs petits encore trop foibles pour
les ftiivfe. « Ces oifeaux, guidés par leur inftinél
leur dit-il, vous montrent quel doit être dans peu
» le dèfiin de la ville ; ils ne la quittent que pour
» fe foufiraire à ,1’embrâfement dont elle eft me*
*
» nacée ». Les Iluns, non moins fuperftitieux que
leur fouverain -, acceptèrent cet augure. Ils redoublèrent
leurs aflauts avec une ardeur nouvelle,
ne doutant pas que le départ des cigognes ne
fut le préfage afîiiré deTeur triomphe. Les aflié-
gés, étonnés de leurs efforts, & ne pouvant en
foutenir l’impétuofité, abandonnèrent leur ville ;
& pour avoir le temps de mettre en sûreté ce
qu’ils avoient de plus précieux, ils placèrent fur
les remparts, des ftatues qui repréfentoient des foldats
armés. Les Huns, à qui ce ftratagême en
avoit impofé , furent privés du pillage qu’ils s’é-
toient promis : leur cupidité trompée excitant
leur fureur, ils juftifièrent la prédiéfion à'Attila
& réduifirent la ville en cendres ; encouragés
par ce fuccès,ils prennentfucceflivement Vérone,
Trévigio, Crémone, Brefeia & Bergame. Les
garnifons de ces différentes villes furent paffées
au fil de l’épée. Ce fut dans ces défordres & de
çes défordres même que naquit Venife , cette
ville qui devoit balancer un jour les deftinées de
l’Europe & prefcrire des bornes à la ptiiffance
des Turcs. On rapporte que les Padouans, pour
fe foufiraire au fort effrayant de leurs voixins,
fe réfugièreht dans des marais près du golfe Adriatique
, où ils languirent d’abord dans une affreufe
mifère, jufqu’à ce que leur confiance les élevant
au-defîùs de leurs revers , ils fe conftruifirent
quelques cabanes. Voilà quels furent les commen-
cemens de Venife.
Attila continuoit toujours fés ravages ; il s’étoit
rendu maître de Pavie & de Milan. Ce fut dans
cette dernière ville qu’il déploya toute la fierté
de fon ame. Ayant vu dés tableaux dans lefouels
les empereurs étoient repréfentés fur leur trône,
traitant les. rois en efclaves, il les fit effacer aufli-
tô t , & en fit faire d’autres où les empereurs
étoient repréfentés dans une attitude humiliante,
& le conjurant de recevoir leurs hommages qu’il
fembloit dédaigner. Les Romains étoient conf-
ternés ; ils ci’avoient aucun obftacle à oppofer aux
Huns. Aétius étoit dans les Gaules où il s’effor-
çoit de foutenir une ombre de la majefté romaine
; & s’il étoit vrai que la deftinée OU Attila,
eût dépendu de lui l’année précédente, il. dut fe
repentir de* n’en avoir pas profité pour le perdre.
Convaincu de l’impoflibilité de conferver l’Italie,
il écrivit à Valentinien III, lui confeiliant de faire
la paix , n’importe à quelles conditions , ou de fe
rendre dans les Gaules où il lui préparait une
retraite. Tel étoit le déplorable état de l’empire,
lorfque le pape Léon fortit de Rome, & alla
au-devant à!Attila', parvenu à fa tente, il fe jette
à fes pieds, & le conjure , avec larmes, de rendre
le calme à l’occident. Le pontife parvint à
vaincre le barbare. Attila fe tourna vers les fei-
gneurs de fa . cour , .« Je ne fais*pourquoi, leur
dit-il, les paroles de ce prêtre m’ont touché ».
On prétend qu’il dit avoir vu un fantôme vêtu en
pontife qui le menaçoit de le tuer, s’il perfiftoit
à vouloir la guerre. Il confentit enfin à fe retirer,
mais à condition qu’on lui remettroit Honora,
foeur de Valentinien, qu'il reclamoit comme fa
femme, avec la part du tréfor impérial, qui re-
venoit à cette princefle ; il exigeoit en outre une
penfion annuelle. L’empereur foufcrivit à ces conditions
, ne cfoyant pas pouvoir racheter à trop
haut prix les maux dont l’empire étoit menacé.
Attila ne furvécut point à cette expédition ;
il fongeoit à faire une invafion en A fie , lorf-
qu’il fut pris d’un faignement de nez , dont il
mourut l’an 453. Ce faignement de nez étoit apparemment
l’effet d’une attaque d’apopléxie. On
prétend, contre toute vraifemblance, qu’il étoit
dans fa cent vingt-cinquième année : il n’eft guère
probable qu’à cet â g e , on puiffa fupporter les
fatigues des guerres laborieuses qu'il entreprenoit
fans cefle. Bonfinius , qui rapporte cette particularité
, en ajoute une plus croyable : il aflùre qu’il
mourut pour s’étre livré à des plaifirs trop vifs
le jour de fes noces. Plufieurs modernes fe font
plû à nous tracer le portrait de cet homme étonnant
, & en ont faifi tous les traits. « Ils ( les
Huns) étoient, dit l’un d’eux, gouvernés par A t t i la ,
« le monarque le plus redoutable qui fût alors
» dans l’univers. S’il eft vrai qu’il ait conquis la
» Germanie, comme quelques-uns le prétendent,
» fans cependant rapporter les guerres qu’il eut à
» foutenir pour s’en rendre maître , fes états s’é-
» tendoient des rives du Rhin jufqu’aux bords
» les plus reculés de la mer Noire (on ne^fau-
» roit fixer autrement l’étendue de fa domina-
» tion ) ; elle n’avoit pour bornes que la terreur
v de fes voifins. Les princes & les rois trembloient
» à fon feul nom, & la. déférence qu’avoient
» pour lui l’empereur d’orient & celui d’occident
» ne différoit pas de l’obéiffanee que des fujets
» doivent à leur fouverain. Egalement fait pour
» la guerre & pour la politique , il avoit tous les
» talens du capitaine & de l’homme d’état, em-
» ployant tour- à - tour & toujours avec fuccès 1
» les forces, les menaces, l’artifice & la rufe.
» Il ufoit indifféremment de tous les moyens :
» aucun n’étoit vil à fes y e u x , s’il lui precuroît
» la vi&oire. Quoique craint de fes fujets, il en
» fut l’amour & l’idole , comme il fut la terreur
» & l’effroi de fes ennemis ; ce n’étoit pas par une
» vaine oftentation qu’il en impofoit au peuple; plein
» de mépris pour, cette magnificence que les fou-
» verains étalent comme le figne de leur gran-
» deur,il fe montroit toujours en public dans la
» plus grande fimplicité. Il paroifloit pauvre au mi-
» lieu des dépouilles d’une partie de la terre;il n’avoit
» d’autre fy mbole de fa puiffance que fa lance & fon
» épée. Son trône étoit une chaife de bois, quelque- **
» fois même une pierre brute, placée fous un
» arbre, ou fous un drapeau qui lui fervoit de
v tente. C’étoit à ce tribunal qu’il citoit le Ferfe ,
» le Grec & le Romain, qui tous s’humilîoient
» .devant lui, . , , , Çorame tout intéreffe, cou