
pie; 4°. qu*Antoine auroit le gouvernement de
toutes les Gaules, excepté la Gaule narbonnoife
qui devoit être déférée à Lépide , avec les deux
Efpagne^ , 8c qu’O&avien auroit pour fon lo t ,
outre l’ancien domaine de Carthage , l’Égypte
entière, la Sicile & la Sardaigne; 50. que les provinces
d’Orient, alors au pouvoir de Brutus 8c
de Cafiius , refteroient pendant quelque temps en
commun ; 6°. qu’Antoine & O&avien fe réuni-
roient fur le champ contre Brutus 8c Caflius,
tandis que Lépide refteroit à Rome pour y faire
refpeâer l’autorité du triumvirat.
Les triumvirs, après avoir ainfi. ùfurpé l’autorité
fouveraine, & s’être promis une fidélité réciproque
, fongèrent à fatisfaire leur vengeance ;
mais la crainte que les excès auxquels ils al-
loient fe livre r, ne révoltaient les légions, les
engagea à leur faire part de la proie qu’ils's'apprêtaient
à • dévorer ; chaque légionnaire devoit
avoir 5000 drachmes après les troubles; chaque
centurion 25000 , 8c chaque tribun 50000. A
ces fommes prodigieufes furent ajoutées des ré-
compenfes plus folides encore ; on devoit leur
répartir les terres des dix-huit meilleures] villes
d’Italie, après qu’on en auroit chaffé les légitimes
poffeffeurs : Capoue , fi fameufe par fes délices,
& le féjour d’Annibal, étoit du nombre de ces
villes , ainfi que Rhege, Lucerie, Ariminie 8c Vibo.
Les fermens ne leur fuffifant pas, cês tyrans
farouches fcellerent leur union par les plus horribles
facrifices. Antoine demanda le meurtre de
Cicéron, Oélavien celui de Lucius Céfar, oncle
maternel d’Antoine : on ne fait fi Lépide folli-
cita la permiflion de faire mourir Lucius Emilius
Paulus , fon propre frere , ou s’il fut forcé de'
Pabandonner au reffentiment de fes collègues. A
ces trois noms furent ajoutés ceux de 300 féna-'
teurs, 8c de plus de deux mille chevaliers; tous'
ceux qui pofledoient de grands biens, ou que;
l’on foupçonnoit d’intelligence avec Brutus, furent
condamnés fans pitié: voici comment finifo
foit ce traité fatal. « Aucun ne récélera les prôf-
» crits j ni 11e facilitera leur évafion , ni n’eri-
» tretiendra aucun commerce avec eux , fous;
peine d’être profcrit lui-même. Tout homme
» libre qui livrera la tête d’un profcrit à l’un des;
» triumvirs, en recevra 25000 fefterces, un ef-:
5» çlave en recevra dix mille ; tout efclavè qui
» tuera fon maître profcrit, aura la liberté avec la
v récompenfe promife. Les mêmes fommes feront
» données à ceux qui indiqueront l’endroit où
m un profcrit fe tient caché , & le nom du dé-
5> lateur reliera inconnu ». Plufieurs cohortes fe
rendirent aufii-tôt à Rome , pour exécuter les
©rdres fanguinaireS des triumvirs. Plufieurs prof-
çrits furent maffacrés dans les rues, d’autres auprès
de leurs foyers, tout fut en un inflant, rempli
d’épouvante & de çonfufion; comme on igno-
yoit la caufe de ces meurtres, chacun trembloit
pour foi-mêmê. Un nombre conûderable de familles
fortirent avec des torches enflammées, 8c
mirent le feu à différens quartiers , pour avoir
la trille confolation de faire périr les bourreaux
avec leurs viélimes : les fatigues que. Q . Pædius
fe donna pour faire ceffèr le tumulte Sc l’incendie
, occasionnèrent fa mort.
Tandis que Rome étoit en proie à ces alarmes;
les triumvirs s’avancèrent à la tête de leurs troupes^
ils entrèrent dans la ville pendant trois jours c©n-
fécutifs ; Oélavîên le premier jour, Antoine le fécond,
Lépide le troifième ; ils étaient dans l ’appareil
le plus formidable : chacun d’eux étoit accompagné
de fa cohorte prétorienne & d’une lé - ;
gion. Comme leur intention étoit, non d’abolir
les loix, mais feulement de s’élever au-defîus ,
ils firent confirmer par le peuple l’autorité qu’ils
venoient d’ufurper , 8c dès que cet aéfe fut pafTé,
on continua le maflacre des profcrits. Comme l’argent
provenu des dépouilles de tant de malheureux
ne montoit pas encore à deux cens mille talens qu’ils
avoient jugés néceflaires pour la guerre, ils imposèrent
une taxe énorme fur quatorze cens dames
romaines, mères, femmes ou filles des profcrits«’
Ce fut dans cette oçcafion que la célèbre Hor-
tence, fille de l’orateur de ce nom, qui difputa
fi long-tems contre Cicéron la palme de l ’éloquence,
fe rendit au tribunal des tyrans, fuivie
d’un nombreux cortège de dames ; elle leur re-:
préfenta avec une noble fermeté , la cruauté de
ces taxes arbitraires , & leur reprocha d’avoir
franchi les bornés où s’étoient arrêtés les tyrans
qui les avoient précédés : la noble hardiene de
cette femme excitant l’indignation des triumvirs;
ils ordonnèrent à leurs liéleurs de l’écarter ainli
que toute fa fuite. Cependant le peuple ayant murmuré
de l’injure faite aux femmes, ils réduifirent les
1400 dames à 400; mais la tyrannie ne fit que
changer d’objet ; plufieurs familles furent taxées
arbitrairement; on les força de payer fur l’heHre
la quinzième partie de leurs biens, avec le revenu
entier d’une année ; les foldats, chargés de
la levée des taxes, fe livrèrent à des cruautés
inouies : le confül voulut en vain arrêter leurs
excès, ce magiftrat déchu de fon autorité première,
avoit appris à trembler.
Les triumvirs ayant fait couler fous la hache
des bourreaux, le fang le plus pur des Romains,
convoquèrent le fénat, & annoncèrent à cette
compagnie conftcrnée & tremblante , la fin du
mâfiacre. Antoine fe déclara l’ami de ceux auxquels
il avoit permis de vivre , & Lépide , cet
imbécille que ^nous verrons rentrer dans la clafle
du peuple , couvert d’opprobre & d’ignominie,
entreprit de jufiifier les fureurs auxquelles ils ve-
noient de fie livrer ; il afliira les pères eonfcrits
qu’il vouloit vivre dans la fuite < en citoyen :
Oéfavien, toujours altéré de fang, déclara hautement
qu’il fe réfervoit encore la liberté de punir.
Après ces détails, pourrons - nous admettre
les éloges que fon liècle lui a prodigués? 8c comment
ment des écrivains, parmi nous, fe font-ils élevés
avec tant de paffion. contre le judicieux critique
qui met ce prince fur la même ligne que Néron ?
celui-ci le furpafla en débauches, mais il ne l’égala
pas en cruautés: ce n’eft encore qu’une légère
ébauche des excès auxquels il s’abandonna.
(Tout ceci nous paroît un peu exagéré. L’Auteur
a fous les yeux les cruautés d’Augufte , & il
en eft juftement révolté ; il perd de vue la fa-
gefle, la douceur & la gloire du long règne de
cet Empereur, & il ne voit que dans le lointain
les crimes beaucoup plus atroces de Néron.)
Antoine, après la bataille de Philippës, voyant
Brutus étendu fur' la pouflière , pleura fur le
corps de cet illuftre défenfeur du parti le plus
jtifte, 8c punit un de fes affranchis, pour avoir
négligé la pompe de fes funérailles. Qélavien ne
fut pas capable d’une pareille magnanimité ; implacable
dans fa haine, il-ne put cacher fa lâche
fatisfaéfion , & fit féparer la tête du corps qui
excitait la douleur généreufe de fon collègue. Sa
conduite envers les prifonniers eft plus horrible
encore; avant d’immoler à fa haine les plus il-
luffres d’entr’eux, il fe faifoit un cruel plaifir d’in-
fulter à leurs malheurs. Un de ces infortunés lui
demandant pour grâce les honneurs de la fépul-
ture, dans peu, lui répondit-il, les corbeaux prendront
ce foin. Un père demandant grâce pour
fon fils, & le fils pour fon père, au lieu, d’être
fènfible à ce , combat de générofité , il leur ordonna
par un excès de barbarie inconnue parmi
les nations les plus féroces , de combattre l’un
contre l’autre ; le père ne voulant pas furvivre à
fon fils, ni le fils à fon père, il les vit fe donner
réciproquement le" coup mortel. Âufli les prifon-
Hiers, lorfqu’on les amenoit devant Antoine 8c devant
lui , le chargeoient d’imprécations , &
donnoient à Antoine le glorieux nom d’impérator
( général victorieux ) ; de ce nombre fut le fameux
Favonius qui, fur le point d’être égorgé, reprocha
fortement à O&ave tous fes crimes avec la liberté
d’un philofophe, que la mort va affranchir
de toute fervitude.
Des plaines de Philippës, Augufle fe rendit en Italie ;
ce fut alors que peu fatisfait du partage de l’auto.-
rite, il conçut le projet de dépouiller fes collègues ;
Fuivie, femme d’Antoine, s’en apperçut , & lui
oppofa quelques obftacles. Augufle s’en vengea,
en répudiant Claudia fa fille, après avoir déclaré
avec ferment, que, quant à lu i, elle étoit encore
vierge. Cet affront public, cette diffindion inju-
rieufe mettant Fuivie en fureur, elle harangua les
vétérans qui avoient fervi fous Antoine, & les
exhorta à prendre les armes contre un collègue
affez ingrat pour prétendre recueillir tout le fruit
de la vidoire de Philippës, lui qui n’avoit pas même
eu affez de confiance pour foutenir le fpedacle.
d’une armée rangée en bataille ; il eft vrai que
l ’hiftoire reproche à Augufle de s’être caché dans
des rofeaux, 8c d’avoir feint une maladie lors de
Hifloire. Tom, I. Deuxieme Part,
Côtte célèbre journée. Fuivie fut fécondé« par Lucius
, fon beau-frère : cette divifion occafionna de
fanglans débats, dont le fuccès fut toujours con-
. traire à Lucius 8c à Fuivie. Lucius fut obligé de demander
grâce, 8c ce fut encore à cette occafioa
qu Augufle fit paroître toute la cruauté de fon
ame; quoiqu’il eût promis un pardon général, il
fe fit livrer trois cens des principaux citoyens de
Péroufe, qui s’étoient déclarés contre lu i, 8c les
fit immoler au pied de la ftatue de Céfar: leur
ville fut livrée au pillage. Antoine eût pu remédier
à ces défordres, 8c réprimer les injuftes def-
feins de fon ambitieux collègue ; mais ce triumvir,
aflervi à la plus honteufe paffion, s’enivroit des
plaifirs qiie lui offroit Cléopâtre.
Cependant les clameurs de Fuivie arrachèrent
Antoine des bras de l’infidieufe 8c vokiptueufe reine
d’Egypte, 8c le déterminèrent à faire un voyage
en Italie. Il dirigea fa route par Athènes où l’at-
tendoit Fuivie, qui n’eut point à s’applaudir de
la réception de cet époux infidèle ; aveugle fur
les defleins d’Oétavien , il la blâma hautement,
la regardant comme l’auteur des troubles ; mais
il ne tarda pas à être défabufé; on lui apprit
qvl Augufle s’étoit rendu maître de la Gaule tran-
falpine, contre les loix d’un traité conclu après
la journée de Philippës. Ce procédé fut regardé,
comme une déclaration de guerre ; ainfi fe mettant
en mer fans délai, il fit voile vers l’Italie; mais
ayant voulu vifiter la ville de Brindes, la gar-
nifon lui en ferma les portes , foüs prétexte qu’il
avoit dans fon armée un ami d’Augufle. Cet a&e
d’hoftilité penfa changer encore une-fois la face
de Rome, 8c la livrer aux fureurs d’une nouvelle
faéfion, qui fe fût vengée fur les partifâns de
Céfar , des coups que ceux-ci avoient portés au
parti républicain : cette fa&ion étoit celle de Pompée,
qui fe foutenoit en Sicile, fous un fils de
ce grand homme. Pompée, invité par Antoine,
fe rendit en Italie, 8c prit plufieurs villes le long
de la côte ; Oâavien, craignant pour les fuites
de cette guerre, fe rendit aufli-tôt à l’endroit où
étoit le danger ; mais les vétérans , admirateurs
de la valeur d’Antoine, ayant refùfé de combattre ,
il fut obligé de recourir à la négociation.
L’accomodement fe fit par rentrera ife de Cocceïus,
de Pollion 8c du fameux Mécène, miniftre dont
le nom fera toujours cher aux favaiis: il favoit
les récompenfer, 8c ce qui eft plus flatteur pour eux,
les honorer. Les légions, pour rendre cette alliance
durable, demandèrent qu’elle fût cimentée entre
leurs généraux par les liens'du fang, 8c propofèrent
le mariage d’Antoine 8c d’O âavie ; Antoine conférait
par politique à une union que réprouvoit
fon coeur, toujours épris pour Cléopâtre, amante
perfide, qui devoit l’immoler à fon inconftance,
dont elle fut elle-même la vidirne. Le mariage fut
célébré en préfence des deux armées: il y eut
quelque temps après un traité auquel eut part
Sextus pompée, Octayien fit dans cette occafioa
Qq'i