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vaincre, & faire pour ainfi dire là loi à l’Europe.
Ce règne fut réputé heureux, parce que l’Angleterre
eut l’honneur d’être ruinée par des victoires
éclatantes, & d’acquérir à prix d’or & de fang
des avantages pour fon commerce , qu’elle eut pu
également s’affurer par la négociation & par le
confentement de l’Europe, en procurant l’exécution
des traités de partage qu’elle avoit fait conclure
au fujet de la fucceffion d’Efpagne, dans
la vue de prévenir la guerre.
Enfin la reine fe dégoûta de la perfonne & fe
laffa de l’empire de Sara Jennings , ducheffe dé
Marlborough. Une nouvelle favorite la gouverna.
L ’imprudente Marlborough s’étoit donné une rivale
, en faifant entrer au fervice de la reine une
de fes'parentes , nommée Hill, qui fut depuis
Milady Masharn. Pins imprudente encore] , la
même ducheffe de Marlborough , voyant ce crédit
naiffant ébranler le lien , acheva de fe perdre par
des hauteurs & des traits d?aigreur, qui aliénèrent
entièrement le coeur de la reine. Une jatte d’eau,
que la ducheffe, par une mal-adreffe réelle ou
feinte, répandit fur la robe de la nouvelle favorite,
dans un moment où la reine & fes femmes pre-
noient plaifir à çonfidèrer la beauté de cette robe,
fut un écueil où vint fe brifer cet énorme crédit
des Marlboroughs, Si pourtant , dit l’auteur du
fiécîe de Louis XIV. Le caràétère de la duchefTe
j> eut pu admettre-quelque foupleffe, elle eût
régné encore. La reine & elle étoient dans
v l’habitude de s’écrire tous les jours fous des
v noms empruntés. Ce myflère & cette familia-
» rité laiffoient toujours la voie ouverte à la
•?> réconciliation ; mais la ducheffe n’èmploya cette
J» reffource -que pour tout gâter. Elle écrivit im-
« périeufernent. Elle difoit dans fa lettre : Rendez?
»? moi juflice , 6» ne me 'faites point de réponfe. Elle
*» s’en repentit enfuite : elle vint demander par-
»> don, elle pleura, & la reine ne lui répondit
» autre chofe, finon : Vous m’ave£ ordonné de ne
s> vous point répondre , &* je ne vous répondrai pas «.
Alors la rupture fut fans retour, la ducheffe fut
entièrement difgraciée ; on attaqua par dégrés la
puiffance du due de Marlborough lui-même ; on
commença par borner foft autorité ; on rechercha
enfuite fon adminiffration, & on le dépouilla de
fes emplois, Marlborough étoit le feul qui eût
intérêt à la continuation d’une guerre qui aug-
mentoit tous les jours fa gloire & fa puiffance,
La difgràce de ce général, jointe aux autres évé-
nemens du temps , amena la paix d’Utrecht où
la reine Anne fit véritablement la loi à l’Europe.
Elle la fit à la France fur un article inté'réffaîit
pour l’hunianité ; elle exigea que les réformés,
envoyés aux galères pour, caufe ' de religion ,
en fuffent rappellés, c’étoit rendre fervice à Louis
XIV lui-même, à qui cet excès de févérité faifbit
tort,
Anne n’avoit pu élever qu’ùn fils, qu’on nom-
moit le duc dç Gloçefire , il étoit mort en 1700 à
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l’âge de neuf ans. L’année iùivante, & encore du
vivant de Guillaume, la nation avoit fait un réglement
pour fixer la couronne dans la ligne proteflante, &
renverfer les efpérances que les Jacobites commen-
çoient à fonder fur le defaut d’enfans nés de Marie
& d 'Anne. On décida que fi Guillaume III & Anne fa
belle-foeur venoient à mourir fans enfans, la couronne
pafferoit à la maifon d’Hanovre par la prin-
ceffeSophie, fille d’Elifabeth d’Angleterre, laquelle
étoit fille de Jacques I.
Il étoit naturel que la reine Anne fe voyant fans
enfans, fit des voeux pour Jacques III fon frère,
plus que pour des parens auffi éloignés que les
princes d’Hanovre commençoient à l’être à fou
égard ; aufli les Wighs accusèrent-ils la reine &
les Toris de travailler au rétabliffement de la
maifon Stuart, & de vouloir faire anéantir l’a&e
de 1701, Le'prince Eugène qui étoit venu à
Londres pour concèrter avec Marlborough , le
compagnon de fes viéloires, les moyens de retarder
la paix d’Utrecht, eut avec ce général &
avec les principaux Wighs, des conférences où
on méditoit les projets les plus violens; on rap-
pelloit la révolution de 1688;* on difoit qu’il en
falloit une pareille , on propofoit d’appeller dès lors
en Angleterre, le duc d’Hanovre, fils de la prin-
ceffe Sophie. Les faits fuivans ont été atteftés en
France par le lord Bolingbroke à des perfonnes
dignes cfe foi, Il ne s’agiffoit pas de moins, félon
-lui, dans ces complots, que de détrôner & d’em-
prïfonner la reine. Bolingbroke allarmé du danger
de cette princeffe, entra dans fa chambre au milieu
de la nuit, lui fit part des avis qu’il avoit reçus, &
lui propofa de faire arrêter fur le champ le prince
Eugène & le duc de Marlborough ; la reine effrayée
d’un parti fi violent & toujours portée à la modération
, lui demanda s’il n’imaginoit pas de
moyens plus doux ?Ou i, madame, dit Bolinbroke
& il propofa de remplir de gardes le palais & les
environs, & les pofles les plus importants de
Londres. En effet, les mal-intentionnés voyant
leurs projets découverts & prévenus, relièrent
tranquilles St fe cachèrent. Le prince Eugène partit ;
mais la reine Anne ne put trouver d’autre moyeu
pour difiiper les allarmes dç fon peuple, que de
mettre la tête de fon frère à prix. Cette démarche
dut lui coûter , & on remarque que depuis ce
temps elle ne fit plus que languir.
Un des événemens les plus çonfidérables de fon
règne, dans la politique intérieure , fut l’union de
l’Angleterre & de l’Ecoffe en un feul royaume &
fous un feul parlement. Cette réunion ne fut agréable
à aucune des deux nations , elle avoit quelque
chofe de forcé entre deux états de Religion différente,
dont l’un étoit de la feéle des épifcopaux,
& l’autre de la feâe presbytérienne.
La reine Anne fur vécut peu à la conclufion de
la paix d’Utrecht, elle vit ligner la paix de Raftad
qui en étoit une faite , mais elle ne vit pas figner
celle de Bade qui en étoit pareillement une fuite.
La
I.a paix d’Utrecht efl de 1713 , & contient divers
traités fignés à diverfes fois 8c à différens jours.
La paix de Radfiadt eft du 6 mars 1714. Anne
mourut le 12 août de la même année, & la
paix de Bade ne fut conclue que le 7 feptembre
iuivant.
On dit que l’ufage des liqueurs fortes abrégea
les jours de la reine Anne , elle tendit ce goût
de fon mari, qui le tenoit du climat. Elle a laiffé
une mémoire chérie.. On ne l’appelloit que la
bonne reine Anne, & ce titre peut fuffire à fon
éloge ; elle aima fes peuples , elle eut dans un
degré diflingué ce mérite de la reine Elifabeth,
dont elle n’eut d’ailleurs ni les talens, ni les
vices. Anne Iwanowa., ducheffe de Curlande & Anne de Mecklembourg , ducheffe de Brujnfwick
( TU fl. deRüffie.') En 1730 à la mort du jeune
empereur Pierre II petit-fils de Pierre .1 , foible
enfant, gouverné tour-à-tour par le prince Men-
z ik c ff& par les princes Dolgoroukis , le haiit-
confeil, le fénat & les principaux officiers de
l ’armée , repréfentant la nobleffe, s’affemblèrent :
on propofa de ne donner la couronne qu’à des
conditions qui bornaffent le pouvoir fuprême. La
-race mafculine de Pierre I , étoit éteinte ; mais il
refloit deux filles de cet empereur , la ducheffe
-de Holfiein & la princèffé Elifabeth. Le czar
Jean ou Iwan , frère aîné de Pierre I avoit auffi
laiffé deux filles , la ducheffe de Meklèmbourg &
Anne Iwanowa , qui avoit- époufé le 13 novembre
' 17Ï0 Frédéric Guillaume , duc de Curlande,
mort le 20 ou 21 janvier 1711. Ce fut fur cette
dernière que tomba le choix de la nation. On
•allégua que les filles de l’aîné dévoient être préférées
, mais que l’aînée de ces filles, la ducheffe
de Mecklembourg, étoit mariée à un prince étranger.
Cependant elle l’avoit quitté depuis 1719 , &
étoit alors à Mofcow. On ajouta que la ducheffe
de Curlande étoit veuve 8c que n’ayant que trente-
-fix ans, elle pouvoit fe remarier & donner des
héritiers au trône ; mais, félon M. le comte de
Manfiein , la véritable raifon qui fit préférer la
ducheffe de Curlande , fut -qu’elle étoit alors à
Mittau , & que fon éloignement laiffoit le temps
d’affermir le fyftême républicain. On dreffa des
articles qui affreignoient la nouvelle impératrice , à ne pouvoir ni -régner ni fe marier, ni fe choifir
un fucceffeur, fans l’agrément du haut-confeil.
On envoya trois députés de la part du haut-
confeil , du fénat &. de la nobleffe , lui propofer
les conditions de fon éleélion & lui faire figner les
articlës. On la pria auffi de ne point mener à
Mofcow, Biron fon favori. On fit prêter ferment
à l’affemblée de ne fervir l’impératrice que de concert
avec le haut-confeil, & il fut défendu fous
peine de la v ie , de révéler ce qui s’étoit paffé dans
l’affemblée. La ducheffe de Curlande ne devoit apprendre
fbn éleélion que par les députés, & qu’en
recevant les articles.
. Hifloifc. Ton:. I,
Cependant le lieutenant-Général comte Jagcu-
finsky envoya fon aide-de-camp M. Samorokow ,
à Mittau, pour avertir l’impératrice de ce qui fe
paffoit. On arrêtoit & on fouilloit tout le monde fur
la route de Mofcow à Mittau. M. de Samorokow
trouva le moyen de paffer , en prenant des détours
8c en fe déguifant ; il n’eut que le temps de remettre
fes "dépêches à l’impératrice, avant que
les députés fuffent admis à l’audience.
Ceux-ci furent avertis de l’arrivée d’un couricr
& de l’entretien qu’il avoit eu avant eux avec
l’impératrice ; ils firent des perquifitions : M. de
Samorokow fut arrêté, chargé de fers, remené
à Mofcow , & M. de Jagoufinsky fut auffi
arrêté*
L’impératrice s’étant rendue à Mofcow, le grand-
chancelier, à la tête du haut-confeil, lui préfenta
le cordon de faint André, avec l’étoile dans un
baffin d’or : l’impératrice les prit, en difant : il
efl vrai, j ’ai oublié de m’en revêtir, & elle fe les fit
attacher par un des affiftans,fans vouloir les recevoir
d’aucun des membres du haut-confeil. Le grand-
chancelier la voulut haranguer ; elle lui impofa
filence ; le même jour elle donna une place importante
au comte de Soltikoff, fon parent, fans
la participation du confeil, ce qui étoit formellement
contraire aux articles qu’elle avoit fignés ;
elle fit bientôt un afte d’autorité plus important
encore en appellant Biron à Mofcow. Peu après
elle mit la nobleffe dans fes intérêts, & lorfque
tout fut difpofé en fa faveur , elle fe fit prier par
des députés de ce corps, d’affemblerle haut-confeil
& le fénat, pour examiner quelques points concernant
la régence donnée au confeil ; là , ces députés
de la nobleffe déclarèrent à l’impératrice qu’elle
avoit été furprife par le haut-confeil. Quoi donc !
s’ écria l’imperàtrice , en feignant un grand étonnement
, Table que j ’ai flgné à Mittau ne contenoit-il
pas le voeu de la nation ? On l’affura que non ;
un des Dolgoroukis avoit été un des députés envoyés
en Curlande : l’impératrice fe tournant de
fon côté, lui dit : Vous m’aveç donc trompée !
Elle. fit lire les articles un à un , en demandant
fur chaque article , fi c’étoit là le voeu de la nation ;
l’affemblée ayant toujours répondu, non, l’impératrice
prit les articles, les déchira, en difant : ces
écrits ne font donc pas nécejjaires ? Elle déclara en
même temps , qu’elle montoit fur le trône par
droit héréditaire, non par éleélion, & que quiconque
oferoit attaquer fa fouveraineté , feroit
puni comme coupable de trahifon. Le prince
Galiitzin, qui avoit eu grande part à la réduâioji
des articles dit , en voyant ce mauvais fuccès
des tentatives en faveur de la liberté : Le repas
étoit apprêté, mais les convives n’en étoient pas
dignes.
L’impératrice rendit au comte Jagoufinsky , ainfi
qu’à M. de Samorokow , la liberté qu’ils avoient
perdue pour elle ; le confeil fut caffé, les Dolgoroukis
& leurs amis furent arrêtés & éxilés,
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