d’une eafjvane n’eft point un larcin qui pnîfle
exciter leurs remords ; ils le regardent comme la
récompenfe de leur courage, & comme la reftitu-
tion d’un bien ufurpè fur eux ; leurs erreurs fur le
droit de la guerre leur ont encore fait commettre
bien des crimes fans remords. La plupart des pays
qu’ils ont fubjugués, ont été privés de la moitié de
leurs habitans. L’exemple des Amalécites exterminés
par le peuple hébreu , leur avoit peut-être
donnné de fauffes idées fur les égards qu’on doit
aux vaincus. Effrayés du deftin de leurs voifins,
ils fe pcrfuadèrent que tout ennemi étoit exterminateur
: ils fe crurent donc autorifés par la loi naturelle
à maffacrer des hommes qui les auraient exterminés
, s’ils avoient remporté la viâoire fur eux.
Ces excès que l’expérience aurait dû leur •apprendre
à réprimer , furent encore autorifés par
la religion mufulmane qui, au lieu d’adoucir les
moeurs, leur communiqua plus de férocité. Les
premiers Mufulmans fe regardant comme les exécuteurs
des vengeances du ciel, croyoient avoir
droit d’égorger ceux dont leurs prophètes leur di-
fbient que Dieu avoit prononcé la condamnation :
ces millionnaires guerriers étoient intolérans par
principe, & infpiroient à leurs difciples l’ambition
d’être les vengeurs de ce qu’ils appelloient la caufe
de la religion. J’avoue que pour adopter des préjugés
fi barbares, il faut avoir un penchant décidé
•à la cruauté ; mais on peut leur afligner une autre
caufe. L’attachement des Arabes pour leurs ufages
& leurs opinions, le mépris de la mort qu’ils
contemploient avec une froide intrépidité , leur
vie ifolée qui les éloignoit des hommes ,, étoient
autant de caufes qui pouvoient les rendre barbares.
Celui qui méprife la vie eft inacceffible à la pitié ,
& il n’y a point d’ennemi plus redoutable que celui
qui fait mourir.
Si les Arabes ont furpaffé les autres nations en
férocité, ils ont aufli donné des exemples de bieii-
faifance qui ont eu peu d’imitateurs. Nobles & fiers
dans leurs fentimens, ils ont fait confifter la félicité
à répandre des bienfaits, le malheur à en recevoir.
Peres tendres, enfans refpeélueux, ils écoutent
avec une délicieufe émotion la voix de la nature
qui fans ceffe parle à leur coeur. On a fait de tous
temps l’éloge de leur fidélité à tenir leurs enga-
gemens; celui qui viole la fainteté du ferment, eft
condamné à vieillir dans l’ignominie : c’eft avec
leur fang qu’ils fcellent leurs alliances, pour leur
imprimer un caraâère plus facré; les droits-de l’amitié
font inviolables. ‘Deux amis contraélent des
obligations réciproques dont ils ne peuvent fe dif-
penfer fans être traités de profanateurs. Les Arabes
bienfaifansenvers tous les hommes, ont étendu
leur générofité jufques fur les animaux qui ont
vieilli à leur fervice ; ils leur accordent le privilège
de paître dans les plus gras pâturages, fans en exiger
aucun travail. Quelques dévots infenfés confidérant
que.les bêtes féroces font l’ouvrage delà divinité,
letîï éflVôîeilf des fubfiftances fur le foffiflfèt deS
tagnes. Quand en voit ce peuple réunir les vertus
& les vices qui femblent les plus incompatibles,
on eft prefque tenté de croire qu’il a deux natures ;
mais c’eft par cette oppofition qu’il reffemble au
refte des hommes, qui font un affemblage de grandeur
& de foibleffe, 8c dont le caraâère du matin
eft démenti par celui du foir. Ce peuple qui, dans
la chaleur de la mêlée, ne refpire que le fang,
u i, .dans une ville prife d’affaut, égorge fans pitié
es femmes, des eiifans 8c des vieillards, fe dépouille
de la férocité du lion, 8c n’a plus que la
douceur de l’agneau, lorfque l’ivreffe du carnage eft
difllpée; on le voit dans le défert & les routes
enlever les dépouilles du voyageur; 8c uninftant-
après, il-exerce la plus génereufe hofpitalité envers
l’étranger qui fe réfugie dans fa tente & qui
fe confie à fa foi. Dans chaque canton habité on
allume, pendant la nuit, des feux qu’on nomme
les feux de l’hofpitalité , pour appeller les voyageurs
qui s’égarent dans leur route, ou qui ont
befoin de fe délaffer de leurs fatigues ; & après les
avoir bien régalés, on les reconduit au fon des
inftrumens & on les comble de préfens ; mais ce
qui décèle en eux un fond d’humanité, eft leur
indulgence pour les foibleffes, & la modération
dont ils ufent envers les hommes, même convaincus
de crimes : ils rougiroient de faire ufage de
ces tortures barbares , adoptées pour découvrir la
vérité, & qui fouvent arrachent de la bouche de
l’innocent, l’aveu d’un crime qu’il n’a pas commis
ils ne dreffent point ces échafauds , ils n’allument
point ces bûchers où la lo i, fous prétexte de prévenir
la tentation, ne proportionne pas toujours
la peine au délit : ils fe font un fcrupule d’infliger-
la même peine au foible qui n’a fait qu’une chûte ,
& au fcélérat qui a vieilli dans l’habitude du crime*
La loi du talion règle leurs jugemens, & le mépris
public eft le fupplice que redoute le peuple à qui
il reîle des moeurs.
Les Scenetis, dont les defeendans font connus
aujourd’hui fous le nom de Bédouins , habitent les
déferts & mènent la vie nomade comme leurs ancêtres.
La ftérilité de leur fol a perpétué chez eux
le goût du brigandage ;_il font des incurfions fur
les frontières de la S y r ie , de l’Egypte, & fe répandent
quelquefois jufques fur les cotes d’Afrique.
Ils n’ont point de demeures fixes. Us s’arrêtent dans
les lieux où ils trouvent des eaux & des pâturages;
ils fe nourriffent de l'a chair de cheval, de chameau
, ou ils fe contentent de fruits : dès qu’ils ont
épuifé les produélions d’un canton, ils recommencent
leur courfe vagabonde jufqu’à ce qu’ils aient
trouvé un territoire où ils puiffent jouir d’une nouvelle
abondance. Us marchent à la guerre fous les
ordres d’un émir ou d’un fehérif, dont l’autorité
eft à-peu-près la même que celle des gouverneurs
établis dans les provinces par les fucceffeurs de
Mahomet. Ce chef, toujours tire de la famille la
plus noble, n’eft obéi qu’autant qu’il eft fécondé
jfvai* la fortune dans fes expéditions militaires. Dans j
le calme de la paix pe ne font plus que des ma-
giftrats qui préüdent aux affemblées publiques,- oc
quoiqu’on leur jure une obéiffance fans bornes, ils
iont-obligés de rendre compte de leur conduite au
peuple, qui fouvent les dégrade pour les punir de
l’abus de leur pouvoir. Ce peuple autrefois fi prompt
à s’alarmer pour fon indépendance, n’eft plus era-
bi âfé de l’ancien fanatifme républicain. Les émirs
devenus plus puiffans,les ont façonnes al’obeiffance,
& la conftitution nouvelle de l’Arabie à favorife
les deffeins de ces chefs ambitieux. Les caravanes
mieux efeortées ont impofé aux tribus la necefiité
de réunir leurs forces pour agir avec plus de fuc-
cès , & à mefure que les fociétés font devenues
plus nombreufes, chacune a été obligée de faire le
fâcrifice d’une portion de fon indépendance au maintien
de l’ordre focial; l’horreurqu’infpiroit le tumulte
des villes a été remplacée par l’amour des
commodités qu’elles procurent. Des befoins multipliés
ont allumé chez eux de nouvelles^ pallions
qu’ils ne peuvent parvenir à fatisfaire , qu’en fe fai-
fant acheter par des chefs, feuls affez riches pour
les payer; ils n’ont confervé des anciennes moeurs
que le goût du brigandage, & l’horreur & le mépris*
de l’agriculture. Les Arabes, habitans des villes &
des bourgades, ont à-peu-près la même forme de
gouvernement que les Bédouins. Ils ont, comme
eux, des chefs qui, magiftrats & guerriers,- pré-
fident à la police intérieure ; quoique leurs moeurs
aient efîùyé le plus d’altération, ils ont confervé
certains traits de famille qui rappellent leur origine.
Les villes modernes, beaucoup plus confidérables
que les anciennes , qui n’étoient qu’un affemblage
informe de tentes & de chariots , font habitées par
des commerçans 8c des cultivateurs. Plufteurs ports
font ouverts aux nations; c’eft fur-tout à Moka ,
fitué fur la mer Rouge, que les Européens vont
chercher le café qu’ils échangent contre leur or &
leurs vices. Les Arabes^ féduits par leur, exemple
contagieux, ont fenti naître en eux la cupidité. Ils;
ont abandonné leurs déferts fauvages 8c fe font répandus
dans les échelles du levant, où l’or qu’ils
accumulent par le commerce, ne fert qu’a leur apprendre
à rougir de leur antique fxmplicité ; & devenus
plus riches & moins heureux, ils affoibliffent
chaque jour le fentiment généreux de cette liberté
précieule dont toutes les richeffes du'monde ne'
peuvent dédommager.
Le flambeau des fciences & des arts éclaira l’Arabie
avant d’avoir jetté la moindre lueur fur les autres
nations ; & c’eft ce qui prouve fon titre d’aî-
neffe fur la terre. Les fciences utiles y précédèrent
les arts d’agrément. Les Arabes furent les premiers
à contempler les aftres. Un peuple nomade,placé
fous un ciel pur & fans nuages, uniquement oc- .
cupé à mener fes troupeaux dans des plaines découvertes
ou fur le fommet des montagnes, dut
acquérir de promptes connoiffances des planètes
& des étoiles ; 8c ce qui prouve qu’ils ont été les
premiers aftronomes, c’eft que les rtôms qui défi-
gnent ces corps céleftes, font tous tirés des différentes
efpèces d’animaux connus dans cette région.
Il eft vrai que ce peuple , quoiqu’obfervateur,
n’étendit pas fort loin fes connoiffances. Solitaires
8c réduits à fe contempler, eux-mêmes, fans relation
avec les étrangers, ils ne pouvoient emprunter
d’eux leurs découvertes & mêmes leurs opinions ,
dont lé choc eût produit des étincelles de lumière.
Leurs obfervations, qui n’étoient point appuyées
par le calcul, fe .bornèrent à leur apprendre les
variations de l’air, le lever 8c le coucher de certaines,
étoiles, à former dés aftrologues & des magiciens
qui en imposèrent à la crédulité.
Le berceau des,arts 8c des fciences eft entouré
de charlatans. On voyoit en Arabie de prétendus
favarts qui fe vantoient d’entendre le langage.des
oifeaux. Ils préféraient leur coriverfation à celle
de leurs femblables. Ils prenoient un grand plaifir
à découvrir leurs fecrets & leurs petites intrigues.
Une fcience aufli extraordinaire ne pouvoit être
que bien accueillie Chez un peuple amateur du merveilleux.
D ’autrés prophanant le titre de prophète,
: fe retiroiént dans les antres 8c les déferts , où, après
' des jeûnes auftères 8c des macérations douloureu-
fes, ils étoient gratifiés de viflons qu’ils venoient
annoncer à la multitude, 'qui n’avoit garde de re-
connoître un fourbe dans un homme pâle 8c décharné
, fouvent couvert de plaies 8c d’ulcères,
qu’on regàrdoit comme autant de caraélères de ftiin-
tetè. Ce fut encore dans cette partie cîe l’Arabie,
qui confine à l’E gypte, qu’on vit éclore cet effaim
d’aventuriers' qui-, errant fans patrie fur le globe,
■ fous le nom dé difeurs de bonne aventure', font
payer leurs menfonges au peuple ; c’étoit avec des
flèches , des baguettes divinatoires , des philtres ,
des amulettes, que ces impofteurs, en prononçant
des paroles myftérieufes, farfoient leurs opérations
magiques.
Là médecine languit dans une longue enfance en
Arabie ; ceux qui l’exerçoient n’avoient que leurs
expériences & le fecours des traditions. Les mêmes
fymptômes leur parciffoient demander les mêmes
remèdes , ils ignoroient le mèchanifme du corps,
8c ils ne faifoient aucune diftin&icn des tempéra-
mens. Mais les aromates & les plantes falubres
dont lé pays abonde , la fobriété & la vie aélive
des habitans fupplèôient à l’ignorance des’ médecins,
dont la plupart employoiçnt des paroles
magiques pour guérir leurs malades. Il eft vrai qu’à
la renaiffànce de la médecine ce furent les Arabes
qui furent les premiers maîtres dans l’art de guérir.
Ils eurent des difciples chez toutes les nationsa
Les rois 8c les grands, affligés de maladies, leur
donnèrent leur confiance, qui fut juftifiée par quel-
' ques fuccès.
Les Arabes, fiers de la nobleffe de leur origine,
ont toujours fait une étude férienfe de leur généalogie
; mais comme leurs ancêtres ne favoient ni
| lire ni écrire, ils n'ont pu leur tranfmetfre de titre»