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Quoi qu’il en foit, l’efprit de ces loix eft très - favorable
à la liberté ; il fe reffent beaucoup de l’influence
que la nation a eue fur la légiflation. Il eft
vrai que la nation y paroît un peu trop réfider dans
les grands & la nobleffe, & que les claffes inférieures
participent bien moins à l’avantage de la
liberté ; mais l’autorité royale eft très-bornée, chofe
encore plus favorable à l’autorité des grands qu’à
la liberté du peuple. Quelques tribunaux de juf-
tice femblent pourtant avoir pour objet le maintien
de la liberté générale. • Les loix pénales avoient
confervé l’efprit des anciennes loix barbares; elles
fe réduifoient , même pour le meurtre, à des
amendes pécuniaires. Toutes les têtes avoient un
prix fix e, & celle du roi en avoit un qui n’étoit
pas le quadruple du prix de la tête dun évêque
ou d’un alderman. Dans le royaume de Kent la
tête d’un archevêque éroit à plus haut prix que
celle du ro i, monument un peu fingulier de l’ancien
relpeél pour les eccléfiaftiques. La dignité,
royale n’étoit pas incommenfurable.avec les dignités
fubalternes, & celles-ci ne paroiffoient pas de
fimples émanations de la dignité royale. Les grands
avoient une puiffance fondée fur l’indépendance ;
la nobleffe étoit libre ; le peuple avoit des branches
de liberté. La conquête de VAngleterre par les Normands
fit difparoître tous ces avantages, & changea
la conffitution, qui avoit été déjà bien ébranlée
par la conquête oc le gouvernement des rois
Danois. La liberté difparut à la fois pour tous les
ordres de la nation. Les rois de la race normande
& angevine , à la réferve de Henri II , furent des
tyrans d’autant plus terribles qu’ils étoient illuftres.
Leur grandeur perfonnelle fervit leur violence.
On trembla, & on obéit; mais le fouvenir des
loix faxonnes vivoit au fond des coeurs; & s’il
naiffoit quelque occafion de compofer avec l’autorité
, fi quelque ufurpateur mendioit les fuffrages
de la nation pour acquérir le droit de l’opprimer ,
fi la tyrannie avoit quelques momens de langueur
ou de foibleffe, la liberté s’éveilloit ; elle
redemandoit les loix d’Edouard ; elle avoit obtenu
de Henri I & d’Etienne, des chartes de liberté,
mais qui étoient reftées fans exécution. Le moment
étoit venu de les faire exécuter, de les étendre
même, & de redonner à lia liberté publique des
fonderaens folides. Ç’étoit l’objet des deux chartes
arrachées à la foiblefle du roi Jean.
La grande charte , ou la charte des libertés, ac-
cordoit ou rendoit d’importans privilèges à tous
les ordres du royaume , au clergé, à la nobleffe,
& même au peuple ; chofe remarquable, & qui a
dû rendre à jamais refpeélable à Y Angleterre la mémoire
des barons qui diâèrent cette charte. Leur
modération , au milieu de leurs triomphes, & leur
zèle.pour le bien public furent tels, que placés
entre le ro i, dout ils vouloient borner le pouvoir,
& le peuple, dont les grands facrifient toujours
les intérêts, ils laiffèrent à l’autorité des droits ;
qu’ils auroient pu lui pter, & firent accorder au
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peuple des privilèges^ auxquels ce peuple n’ofoit
guères prétendre. Ils recherchèrent la gloire d’une
reftauration durable. Ils fentirent qu’elle ne pouvoir
être l’ouvrage que de la juflice : que les vues
étroites, les petits intérêts de parti, les avantages
du moment font emportés par le moment qui fuit ;
que les grandes vues d’ordre public, de bien général
de la fociété, ont par elles-mêmes un poids
qui les rend durables. Ils fentirent d’ailleurs qu’ils
feroient bientôt abandonnés , s’ils ne travailloient
que pour eux, & que s’ils vouloient attacher le
peuple à leurs intérêts, il falloit étendre jufqu’à
lui le bienfait de la liberté.
Le clergé eut pour fon partage le droit des
élevions ; on ménagea d’ailleurs les biens ecclé-
liafliques : on décida que les amendes auxquelles
le clergé pourroit être condamné dans la fuite,
feroient proportionnées aux biens de patrimoine,
& non aux revenus des bénéfices. La liberté indéfinie
de fortir du royaume , accordée à tout citoyen
, & néceffaire à des fujets qui poffédoient
tant de biens dans le continent, parut encore au
| clergé une faveur ; mais par une raifon qui n’a
| plus lieu, c’eff que les appels à Rome en deve-
noient plus libres.
Le principal objet de la nobleffe, dans les privilèges
qu’elle fe fit accorder, fut d’adoucir les rigueurs
de la loi féodale, introduite ou du moins
très-étendue en Angleterre par les conquérans normands
; les rois l’avoient entièrement tournée à leur
avantage, & l’exerçoient d’une manière arbitraire r
on fixa tout, & le fervice & les redevances dans-
tous les cas. On laiffa au roi la garde noble des
'mineurs, lorfqu’ils étoient vaffaux immédiats de.
la couronne ; mais on ne lui permit plus de vendre
ce droit, & on l’obligea aux réparations des biens-
de ces mineurs. Le loin de les. marier n’étoit plus-
abandonné au roi feu] , le roi étoit obligé d’avertir
les parens. Une veuve fut libre de refier veuve ,.
& fut affranchie de toute redevance pour fou
douaire. On voit par cet article jüfqu’à quel point
avoit été pouffée la fervitude perfonnelle. Le droit
de fcutage, forte de taxe arbitraire , odieufe dès.
fon origine, & devenue infupportable par l’excès
de l’abus, fut fixé quant à la quotité , & réduit
quant à la perception, aux trois cas fpécifïés par
la loi féodale ; celui de la captivité du ro i, celui
du mariage de fa fille aînée, & celui où il armoit
chevalier fon fils aîné.
Mais l’article le plus important, l’article dans
lequel réfide principalement la liberté britannique,
& que toutes les monarchies doivent envier à Y Angleterre
, c’eft cet avantage ineffimable , autrefois
commun à tous les états de l’Europe, de ne pouvoir
être affujettis à aucun impôt fans le confen-
tement du grand-confeîl de la nation. Ce grand-
confeil, à la vérité, ne comprenoit alors que les
prélats & les barons. Mais les mêmes immunités
que les barons fe faifoient accorder contre le roi,
ils les accordoient contre eux-mêmes à leurs vaf-
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faux ; ils renonçoient aufîi a lever fur | eux aucun
fubfide , excepté dans les trois cas féodaux. On
établit irrévocablement le même poids & la même
mefure dans tout le royaume , reforme commencée
fous le roi Richard , mais qui ne fut achevée
qu’alors. Tout homme libre difpofa de tous les
biens à fon g ré , ce qui n’avoit pas toujours ete.
Les cours de juflice furent rendues fédentaires,
& l’adminiftration de la juflice fut gratuite. Aucun
homme libre ne put être arrêté, empnfonnè ,
dépoffédé, profcrit, banni, lézé enfin en aucune
manière , foit dans fa perfonne , foit dans fes biens,
qu’en vertu de la lo i, & que par un jugement le gal
de fes pairs. Toute amende de voit etre proportionnée
à la faute & à la fortune., de manière
à n’entraîner jamais la ruine de la perfonne amendée.
On ne pouvoit, à plus forte raifon, pour le
payement d’uhe amende, faifir les charettes d’un
laboureur,ni fa charrue, ni aucun inflrument du
labourage.
La charte des forêts régloit les cours , bornoit
la jurifdiélion , & réprimoit les concuffions des
foreftiers , changeoit en une légère amende la peine
dé mort ou de mutilation pour avoir tué une bête
fauve, ordonnoit d’abattre les bois plantés hors du
domaine de la couronne depuis le régné de Henril,
Sç par-là rendoit à la culture de vaftes campagnes,
autorifoit les poffeffeurs de francs-fiefs à cultiver
& améliorer leurs terres fituées dans l’étendue des
forêts.
Cet article des forêts étoit, de tous les traits
d’oppreflion fi communs fous les premiers rois
normands & angevins , celui qui avoit toujours
été le plus odieux à la nation : c’eft en effet celui
qui annonce le plus de mépris pour l’efpece humaine
, qu’on facrifie même aux animaux.
Henri III, fils de Jean fans T erre, fit la guerre
à fes fujets pour fe fouftraire à l’exécution de ces
deux chartes, & à l’infpedion de ceux qui avoient
été nommés confervateurs des privilèges du peuple.
Son oppofiiion ne fit que donner lieu aux
flatuts d Oxford , qui font époque dans la confti-
tution angloife , comme les deux chartes dont ils
font la confirmation & l’extenfion. Il fut fait pri-
fonnier par fes fujets. Ce fut, dit-on , pendant fa
prifon que les repréfentans des bourgs, nommés
par les confervateurs des privilèges du peuple dans
chaque comté, eurent féance pour la première
fois au parlement, où ils furent appellés en 1265.
Telle eft , félon la plupart des auteurs, l’origine
de la chambre baffe ou chambre des communes ,
époque mémorable dans la conftitution angloife.
Cet établiffement, né du fein des troubles, fem-
ble fe préfenter fous un afpeél peu favorable ; mais
c’eft fouvent du fein des troubles que naiffent les
révolutions les plus heureufes ; l’admiffion des repréfentans
du peuple dans lé parlement, étoit un
dernier pas vers cette réunion des trois pouvoirs
yantée par Montefquieu, admirable dans la théorie
, orageufe dans la pratique , & qui feroit fans
doute la forme de gouvernement la plus parfaite,
fi l’autorité pouvoit fouffrir le partage.
La dépofition des rois Edouard II & Richard II,
le fupplice de Charles I , l’expulfion de Jacques H
& de fa race -, font des aéles un peu violens de
l’autorité parlementaire & populaire. Les Anglois
en conviennent à l’égard des trois premiers articles
; ils détellent comme un parricide l’affaffinat
juridique ou plutôt militaire de Charles I ; mais
ils approuvent la révolution de 1688; ils 1 appellent
la révolution par excellence; ils comptent y avoir
gagné quelques dégrés de liberté , & c eft de cette
époque feulement qu’ils regardent leur conftitution
I comme perfe&ionnée.
Quant à la fucceflion des rois d'Angleterre , les
rois bretons n’étoient vraifemblablement que des
chefs’ de différentes peuplades , & il feroit inutile
d’en rechercher la mite.
Il feroit difficile & peu utile auffi de rechercher
la fuite des rois de l’heptarchie ou anarchie faxonne ;
il fuffit de commencer à Egbert, qui réunit tous
ces royaumes en un feul, vers l’an 828.
Race Saxonne•
Egbert mourut en 837.
Etelwolph en 857.
Etelbald e* $60.
Edelhert en 865.
Edelred en 872.
Alfred, dit le Grand, en 899 ou 900^
Edouard l’ancien en 925.
Adelftan en 940.
Edrede en 95 5.
Eduin en 957.
Edgard en 975.
Edouard le Martyr en 978.
Etelred en 1016.
Edmond, côte de fer, en 1016.
Canut le Grand en 1036.
Haralde en .1040.
Harde Canut en 1042.
Alfred en 1043.
Edouard le Confeffeur en 1066.
Conquête de Y Angleterre faite par les Normands
en 1066.
Race Normande.
Guillaume I , dit le Bâtard & le Conquérant, mort
en 1087.
Guillaume I I , dit le Roux, en 1100.
Henri I , dit Courmantel, en 113 5.
Etienne , de la maifon de Blois, roi en concurrence
avec Mathilde , fille de Henri I , & femme
de Geoffroy Plantagenet , comte d’Anjou , en
1154.