
Il fut nommé Agrippa. , qitajz cegre partus : fa
mère étant morte en accouchant de lui, les médecins
, dit-il, propofèrent le choix de fauver la
mère ou l’enfant , ce qui peut faire penfer qu’on
opta pour l’enfant ; mais qui eft-ce qui opta ? c’eft
ce qu’on ne dit point. À huit ans & demi il fut
amené à Paris par fon père; en paffant par Am-
boife, ils virent les têtes de fes compagnons de la
eonfpiration d’Amboife , encore reconnût(fables fur un
hout de potence. Cette expreflion veut-elle dire
feulement qu’ils étoient fes compagnons comme
proteftans , ou lignifie-1-elle que Jean à’Aubign.é,
père de Théodore-Agrippa , avoit réellement trempé
dans la eonfpiration ? Quoi qu’il en foit, le père
s’écria ; Ils ont décapité la France, les bourreaux ! puis
mettant la main fur la tête de ion fils : Mon enfant,
lui dit-il, il ne faut point épargner ta tête, après la
mienne, pour venger ces chefs pleins d*honneur f i tu
t3y épargnes, tu auras ma malédiêlipn.
Théodore-Agrippa s’attacha au roi de Navarre
en qualité d’écuyer ; la reine Catherine de Mé-
dicis, qui favoit combien Jean d’Aubigné avoit eu
de zèle pour la religion proteftante, dit un jour
avec colère à Théodore-Agrippa qu’il reffembleroit
à fon père. Dieu m’en fajfe la grâce ! répondit le
f i ls , & voyant qu’elle cherchoit de l’oeil un capitaine
des gardes pour le faire arrêter , il, fe retira*
Trois filles de la reine , mefdemoifelles de Bour-
deille, de Beaulieu & de Terme, qui toutes trois;
enfemble , dit-il, faifoient bien cent quarante ans, I
le regardant d’un air de mépris & lui difant,. d’un ton ;
•moqueur : Que contemplez-vous là , monfîeur} — Les
antiquités de la cour, mefdames, répondit-il du même
ton. Les dames avouèrent qu’elles s’êtoiënt trompées,
elles lui demandèrent fon amitié, & voulurent
, dit-il, faire avec lui ligue offenfive &
défenfive'. - •
La reine mère, Catherine de Médicis, ayant
reproché au roi de Navarre que fes domeftiques
jfalloient point à la meffe, cela futcaufe, dit-iî, \
qu’un mardi après pâques, le roi (Charles'IX-ou
Henri III) appercevant d’Aubigné dans la 'galerie ,
■ lui demanda s’il avoit fait fes pâques, de quoi, tout
interdit, il répondit: Belle demande, fire / Quand
& quel jour les aveç-vous faites ? continua le roi j
*— Vendredi dernier , répliqua l’autre , ne Tachant ■
v> pas qu’il n’y a que ce pauvre jourdans toute l’année
9t où on ne dit point de meffe, & où on ne com-
» munie pas«. Cette répliqué donna lieu à monfîeur
'de Guifé de lui dire tout haut: Ah ! pour le c o u p ■
-d’Aubigné, tu ne fais guères bien ton catéchifme.
v Je veux , dit d’Aùbigné, donner un exemple
3) du pouvoir que Dieu s’eft réfervé fur le cou-
-» rage des hommes : à la nouvelle du maffacre de
.5, la faint Barthelemi, d’Aubigné fe trouvoit, ac-
37 compagné de 8o foldats de fa compagnie, parmi
,7 lefquéls U y en avoit certainement une douzaine
37 des plus braves , & des plus -déterminés qui
37 fuffent en France , & il fe promenoir avec eux,
» fans penfer à rien, lorfqu’une yoix. s’étânt fait '
» entendre, & mife à crier fans deffein, & farts
n aucun rapport à leur troupe, ils fe mirent tous
1 w à fuir comme un troupeau de moutons, jufqueS
» à perte d’haîëine, & puis s’étant pris par la main
» trois ou quatre enfemble, un chacun fe mit à
î> contempler fon compagnon, témoin de fa peur
» & de fa fuite , & à rougir de honte d’avoir pris
» l’alarme fi mal-à-propos, de forte que tous tant
p que nous étions, conclûmes que Dieu ne don-
3j noit pas le courage & l’entendement, mais quil
7) ne faifoit que le prêter ». Le lendemain quarante
hommes de cette troupe battirent un corps
de fix cens de ces majfacreurs de Paris.
Lorfque le roi de Navarre fe fauva de la cour
de France, où il étoit garde à vue , d Aubigne
facilita fon évafion & l’accompagna dans fa fuite*
Il rapporte qu’en paffant dans un village près
Montfort-1’Amau-ri, le roi, pour fatisfiure un befoin,.
entra fous un toit à porc , & qu’une vieille femme,
qui le prit apparemment pour un voleur, alloit
lui fendre la tête par derrière d’un coup de fèrpe ,
fi d’Aubigné ne l’en eut empêchée, & que d’Aubigné
fuppofant l’évènement arrivé, fit au roi cette-
épitaphe burlefque*
Cy gît un roï grand par merveille,,
Qui mourut, comme Dieu permet r
D’un Goup de ferpe d’une vieille».
Ainfi. qu’il chioit dans un teffc.-
Gn peut fe fouvenir qu’on avoit fait au rof de*
Navarre, père de celui-ci, mort d’une bleffure. qu’il
âvoit reçue au fiège de Rouen , en piffant» l’épia
taphe fuivante ;
Ami leéïeur le prince ici' giflant
Vécut fans gloire , & mourut en piÏÏanr.-
II raconte atiffi qu’un gentilhomme voyant"
approcher de fon village la troupe fugitive du roi ,,
la pria ( en s’adreffant à Roquelaure , qu’il- prit:
pour le chef, parce qu’il étoit le plus doré ) de
vouloir bien excepter fon village du logement
de ces gens de guerre, fa demande lui fut accordée*
“à condition qu’il conduiroit la compagnie jufqu’à
Château-Neuf, « & cela en vue, feulement, de
37 l’empêcher de porter la nouvelle de nôtre
37 marche à la cour ; en cheminant il fe mit a en-
37 tretenir le roi de Navarre des bonnes fortunes.
77 de la cour, & fur-tout des amours- des prin-
77 ceffes , où fa .femme tenait le premier rang , &
77 en racontoit des tours qui enlevoient la paille,.
37 dont fut force au bon prince de rire comme les-
'37 autres 3?..
77 En arrivant Ta nuit à là porte de Chat eau-
33 Neuf, Frontenac cria au capitaine Lépine, mâ~
33 réchal • des logis de notre maître, qui pafioit
73 d’une ’ tourelle, ouvreç vite votre porte au roi
37 de JSavarre.x votre feigneur ; ce qui caufa taie
3f frayeur mortelle an chroniqueur des amours des
» princeffes, qui fe crut perdu 37.
D ’Aubigné fe plaignoit toujours du roi de Navarre,
qui , félon lui, ne récompenfoit pas àffez
bien fes fervices, le roi de Navarre lui ayant donné
fon portrait, d’Aubigné y mit au bas ce quatrain :
Ce prince eft d’étrange nature ,
Je ne fais qui diable l’a fait,
' Car il récompenfe en peinture
Ceux qui-le fervent en effet.
Ces libertés ayant peut-être déplu au ro i, d’Aubigné
voulut le quitter, & lui écrivit cette lettre :
37 Sire , votre mémoire vous reprochera douze
37 années de mes fervices, & . douze plaies fur
37 mon corps, elle vous fera fouvenir de votre
J? prifon, & que la main qui vous écrit en a rompu
37 les verrouils, & eft demeurée pure en vous fer-
37 vant, vuide de vos bienfaits & exempte de
37 corruption , tant de votre ennemi que de vous-
37 même ; par cet écrit jè vous recommande à Dieu,
33 à qui je donne mes fervices paffés, & à vous ceux
33 de l’avenir, par lefquels je m’efforcerai de vous
37 faire connoître qu’en me perdant vous avez
37 perdu votre, &c.
77 II rencontra un épagneul, qui avoit accou-
37 tumé , dit-il, de coucher fur les pieds du roi ;
37 cette pauvre bête qui fe trouvoit abandonnée
37 & qui mouroit de faim, le vint carreffer , ( lui
37 d’Aubignéj de quoi il fut fi touché & fi attendri,
37 qu’il le mit en penfion chez une femme de la
» ville d’A gen, 8C fit graver fur fon collier ce
» .fonnet 37 :
Le fidèle citron qui couçhoit autrefois
Sur votre lit facré , couche ores fur la dure }
C’eft ce fidèle chien qui apprit de nature
A faire des amis & des traîtres le choix.
C’eft lui qui les brigands effrayoît de fa voix,
Des dents les âflaffins ; d’où: vient donc qu’il endure
La faim,, le froid, les coups, les dédains & l’injure ,
Payement coutumier du fcrvice des rois.
Sa fie,rté, fa beauté, fa jeuneffe agréable ,
Le fit. chérir dé vous » mais il fut redoutable-
A vos haineux , aux fiéns pour fa dextérité.
Çourtifarts, qui jettez vos dédaigneufes vues
Sur ce chien délaiffé , mort de faim par les rués,
Attendez ce loyer de la fidélité.
37 Le chien fut dès le lendemain mené au roi,
33 qui paffa par Agen , &qui changea de couleur ,
33 en lifant ces vers ».
Quoiqu’il en foit, peu de rois auroientpardonné
la lettre & le fonnet, le clément Henri pardonna
tout ; fi l’on en croit d’Aubigné, il y fut prefque
forcé par la voix publique, À l’affemblée générale
des proteftaiis, qui fe tint à Sainte-Foix : « les dé ^
77 putés du Languedoc demandèrent au roi de Na
77 varre où étoit 'd’Aubigné, & ce qu’il avoit fait d un
77 fi utile ferviteur de Dieu ; à quoi il répondit,
77 qu’il le réputoit toujours fien , & qu il donne-
33 roit ordre à fou retour. En effet le roi de Na-
37 varre le rappella par quatre lettres confecutives.
33 que d’Aubigné, toujours mécontent, jetta toutes
77 au feu 77 ; il ne fe rendit enfin qu’aux deux traits
fuivans qui , en effet , juftifient bien Henri IV
du reproche d’ingratitude , & montrent en lui
une lenfibilité , qu’on dit peu commune che.z
les rois. Le bruit courut que dans une entre-
prife fur Limoges, faite pour les intérêts du parti
proteftant, d’Aubigné avoit été fait prifonnier. A
cette nouvelle, & dans le premier mouvement de
fa bonté, le roi de Navarre prit les bagues de la
reine pour payer la rançon de d’Aubigné ; mais les
catholiques traitoient les proteftans pris à la guerre
en prifonniers d’état, non en prifonniers de guerre,
8c le bruit courut qu’en - conféquence d’Aubigné
avoit eu la tête tranchée , d’Aubigné fut que le roi
en avoit témoigné un grand deuil jufqu’à en perdre
le repos. Il fe détermina, pour lors, à retourner à
fon fervice.
Le roi de Navarre paffant un jour à Cadillac ;
maifon fur la Garonne, au-dèffus de Bordeaux ,
appartenante. alors à la maifon de Foix , d’où
elle a paffé par alliance dans celle de la Valette-
d’Épernon , voulut voir, le cabinet de phyfique &
d’hiftoire naturelle de François de Caudale , de la
maifon de Foix, mort depuis évêque d’Aire ; ce
cabinet paffoit alors pour curieux , on y fit, en
préfince du roi de Navarre , quelques expériences
phyfiqyes , auxquelles apparemment d'Aubigné 11e
prit point de goût ; il fé. détacha de la troupe des
curieux, & appercevant des tablettes qui étoient aufix
un objet de curiofité, & qu’il prévoyoit qu’on ou-
vriroit, il y grava ces deux vers:
Non. iflhac princeps regem traSare ds.ceto ,
Sed doctâ regni pondéra ferre manu..
Ah ! s’écria monfîeur de Candale, en ouvrant les
tablèttes , ily a ici un homme. — Teneç-vous le refie
pour des bêtes ? reprit le roi ; & ayant d’abord deviné
l’auteur des vers, il fe fit un plaifir de le donner
à deviner aux autres.
La reine de Navarre n’aimoit pas dé Aubigné: elle
pria le roi à genoux & en larmes (tant les femmes
font tendres quand elles veulent nuire ) de le
chaffer de fa cour, & ne le plus jamais voir. Le roi
congédia donc en public d’Aubigné, & en particulier
il lui dit de refter ; d’Aubigné fe cachoit le
jour, & paffoit toutes les nuits dans la chambre
de fon maître. Cette difgrace apparente lui donna
lieu, dit-il, de connoître fes vrais ou faux amis. ■
En 1588, dans une expédition en Poitou, d’Au*
bigné faifant la charge de fergent de bataille dans
l’armée proteftante , fit fentir, dit-il, aux gens de
Ooo 2