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t leflc de lire quelquefois le Virgile tmycfli, te de
rire ; mais il fe cachait bien de moi. Boileau foutint
Athalie, non-feulement contre les dégoûts du publie,
mais contre Racine lui - même , qui paffoit
Condamnation, & qui croyoit avoir manqué fon
fujet. C'efi votre meilleur ouvrage, lui difoit-il, je
m’y connois, le public y reviendra. Lorfque Madame
engagea Racine à faire Bérénice, (i je m y éto'is
trouvé, dit Boileau, je Vaurois bien empêché de dort-
ner fa parole. Boileau devoit-il cet afcendant qu’il
«voit fur Racine , à l’avantage d’être devenu le lé-
giflateur du Parnaffe, par fon poëme de l’Art Poétique
, & par fes Satires contre les mauvais poètes,
ou à une certaine fermeté de cara&ère & de ton ,
qui fouvent fupplée tous les titres & tous les droits ?
À la cour, Racine reprenoit tout l’afcendant. Prudent
& circonfpeâ, il ne difoit,il ne faifoit jamais rien
qui pût déplaire. Flatteur avec fineffe & a propos , il
difoit avec grâce de ces mots que les rois aiment a
entendre. Si Louis X IV , au retour de la campagne
de 1677, dit à Boileau & à lui r Je fuis fâché que
vous ri y foye{ pas venus , vous auriez vu la guerre ,
votre voyage riauroit pas etc l o n g c etoit Racine
qui répondoit : Votre majeflé ne nous a pas donné
le temps de faire faire nos habits. C ’eft: de Racine,
diflimulant fon janfénifme à la cour , & fe faisant
euterrer à Port-Royal, que M. de Roucy a
dit : I l riauroit pas fait cela de fon vivant. Boileau,
toujours ou diftrait, ou emporté par l’impulfion
du moment, difoit fouvent les mèilleurs mots le
• plus hors de propos, & fembloit redoubler de franr
chife & d’audace, quand il étoit à la cour, comme
animé par le contrafte. Si on difoit devant lui que
le roi faifoit chercher M. Arnauld pour le faire
arrêter, le roi, répondoit-il, eji trop heureux pour
le trouver; que le roi allait traiter fort durement
les religieufes de Port-Royal : Et comment fera-t-il
pour les traiter plus durement quelles fe traitent elles-
mêmes ? Si Louis XIV dans fa prévention contre
les Janféniftes, demandoit d’un ton qui invitoit à
les traiter peu favorablement : Quefi-ce qriun prêt
dicateur nommé le Tourneux? on dit que tout le monde
y court; efi-Ü f i habile ? Boileau répondoit : on court
toujours à la nouveauté : c'efi un prédicateur qui prêche
Vévangile. — Mais parlez férieufement,— Sire'9 il
efi cCune difformité effrayante ; quand il monte en
chaire. on voudroit F en voir defcendre, quand il a
parlé, on craint qu'il rien defcende. Si un courtifan
oppofoât le fuffrage du'roi à la critique que faifoit
Boileau de certains vers : dues au roi, répliquoit
Boileau avec colère , que je me cçnnois mieux que
lui en vers. Le roi à qui on rendit ce propos , eut
le bon eforit de répondre que Boileau ayoit raifon ;
mais on n’aveit pas voulu fervir Boileau, en rapportant
ce trait ; ce ne font pas-là les mots que les
rois aiment à entendre , & Racine pouvoit avoir
penfé à fon ami & à ini-mêjne, en faifant ces
vers ;
AiUïni qug de Joad l’inflexible rudeflè
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De lettr fuperbe oreille offenfoit la molleflè
Autant je les charmois par ma dextérité.
Boileau,'accoutumé à voir M, le prînçé parler
avec une grâce brillante & une douceur aimable*
quand il avoit raifon, fut étonné du feu dont il vit
un jour fes yeux s’allumer, dans une difpute oit
le prince avoit tort ; il dit tout bas à fon voifin :
Déformais je ferai toujours de l'avis de monfieur le
Prince, quand il aura tort j le mot efl joli, mais ce
mot même accufe Boileau d’avoir irrité le prince
par une contradiction que les grands ne fouffrçnt
guères.
Boileau difputoit beaucoup à l’académie , & y
trouvoit beaucoup de contradicteurs. Un jour il
l’emporta : Tout le monde fut de mon avis, dit-il,
ce qui m'étonna ; car j'avois raifon, & c'étoit moi*
Mot d’un pjiilofophe, mais d’un philofophe dif*.
puteur.
Les diftr^étions çle Boilead étoient encore plus
embarraffantes à la cour pour fon ami Racine; c’é-
toit toujours devant jnadame de Maintenon, qu’il
exhaloit fa colère contre ie genre burlefque, &
fon mépris pour Sçarron. Ignorez - vous donc ,
lui difoit Racine, & croira-t-elle que v o m s ignoriez
l’intérêt qu’elle doit y prendre ? -7- Of f i toujours
la première chofe que j'oublie quand je la vois, répondoit
Boileau, En effet, perfonne n’étoif pioins
propre qu’elle, à faire foqvenir de efi bouffon de
Scarron,
Bien averti, bien réprimandé par Racine, Boileau
fe trouve avec lui chez le roi. Poiffon venoit de
mourir. Cejl une perte, dit le roi, c'étoit un bon
comédien, Oui, dit Boileau, pour jouer dpm Japhet
d’Arménie ; il ne brillait que dans ces miférables
pièces dè Scarron, &: toujours en préfence de ma*
dame de Maintenon. Oh pour le coup, lpi dit Racine
, quand ils furent feuls, il riy a plus moyen,
de paroître à la coiir avec vous.
Madame de Maintenon difoit : <t J’aime Racine;
» il a dans le commerce toute la fimplicité d’un
» enfant ; pour Boileau, tout ce que je puis faire ,
» c’eft de le lire, il eft trop poète.
Racine gagnoit peu de chofe à fa diferétion, jui
moins fur l’article du janfénifme, qui étoit alors
l’objet Important à la cour. Il s’en plaignoit un
jour à Boileau: Vous ave\f lui difoit-il, un prir
vilege que je ri ai point : vous dites des chofes' que
je ne dis jamais. Vous ave$ plus d'une fois loué dans
vos vers , des perfonnes f dont les miens ne difent
rien. ( Meflïeprs de Port - Royal ) Tput le monde
devine aifément votre rime à FOfiracifme. (.Janfénifme
) C'efl vous qrion doit accufer, & défi moi
quon accufe. Quelle en peut être la raifon ? — Elle
efi toute naturelle, répondit Boileau; yous allez à
la meffe tous fes jours ? 6* moi, je riy vais que les
jours d'obligation.
De nos jours, Boindin répondoit à une plainte
& à une qufiftipn à peu-près pareille de du Mariais;
tÊtUaU
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c* efi qrion vous croit un athée J an fin i fie, & moi un
athée Mo Unifie.
Au refte, fi e’étoit après la tragédie d’Efther,
& âpres l’allégorie fi tranfparente des Juifs opprimés
par Aman, que Racine faifoit ainft fes
plaintes à Boileau , il devoit s’eftimer heureux
qu’on ne l’accufât que de janfénifme. Les oeuvres
de Boileau ne contiennent rien qui foit plus favorable
aux Janféniftes, que le difeours d’Efther
l’eft par allégorie aux Calviniftes.
Depuis la difgrace & la mort de Racine, Boileau
ne retourna plus à la cour qu’une feule fois par
devoir, pour recevoir les ordres du roi, relativement
à l’hiftoire de. fon règne, dont alors il fe
trouva feul chargé. Ce fut dans cette occafion que
le roi lui dit : Souvenez-vous que j'a i toujours une
heure par fiemaine à vous donner, quand vous voudrez
venir, & ce mot, d’un fi grand prix dans la
bouche de Louis X IV , n’eut pas la" vertu de l’attirer
davantage dans lé féjour dangereux, où une
apparence de difgrace avoit eaufé la mort à fon
ami. C ’eft un trait de caractère qu’il nous femble.
qu’on n’a pas affez relevé. Qu'irois-je y faire? difoit
il à ceux qui lui en partaient, j e ne fais plus
louer. Il ne l’avoit jamais trop fu , u l’on s’en rapporte
à fes ennemis:
Pis ne vau droit quand ce feroit éloge,
a dit M. de Fontenelle.
C'efi une grande confolation pour un po'ête qui va
mourir, difoit Defpréaux, de n'avoir jamais of-
fenfê les moeurs ; M. Racine le fils ajoute ces mots :
« à quoi on pourrait ajouter : & de n'avoir jamais
» offenfêperfonne. » C ’eft fans doute un trait de critique
contre un auteur de fatyres, & la critique
eft jufte:
\ Boileau fe croyoit juftifié par l ’exemple de Lu-
cilius , d Horace , de Juvenal, & par le fuffrage
d’Arnauld : 0
La fatyrique audace
Dont par le grand Arnauld vous vous croyez abfous.
Il avoit dit, en entrant dans la carrière, le mot
qtli pouvoit du moins l’exçuier. On lui répréien-
toit la foule d’ennemis qu’il alloit fe faire. Eh bien,
dit-il, je ferai honnête homme , & je ne les craindrai
pas. Il falioit donp être- toujours jufte, mais quel
homme peut toujours l’être ? On fait quelle fut
fon injuftice envers Qrnnaut , Fontenelle, Perrault
même, & Crébillon, dont il n’apperçut point
k génie tragique à travers les défauts de fon ftyle
& l’sbfcurité de l’expofition de Rhadamijle, & dont
il dit en mourant, que les P rodons de fon temps
étoient des foleils auprès de ceux-ci.
On rapporte plufieurs traits généreux de Boileau
envers Bouffant, envers Caffandre, enversPatru ;
tuais il ne falioit pas s’en vengér fur la mémoir'e de
<çlui-ci par l’épigramme :
Hiftqïre. Deuxième Partie. Tarn, 1.
B O I <4.1
Je l'afiîftai dans l’indigence ,
Il ne me rendit jamais rien, &c.
Quant à la penfion de Corneille, que Boileau
lui conferva, dit-on, en offrant le facrifice de la
ftenne, le fait eft contefté.
Boileau mourut d’une hydropifie de poitrine, le
13 mars 1711. Les mémoires fur la vie de Jean
Racine, difent 17 2 1, c’eft une faute d’imprefi-
fion.
Boileau fe nommoit Nicolas , il étoit l’onzième
des enfans de Gilles Boileau, greffier de la grand-
chambre du parlement de Paris, qu’il a célébré ,
comme Horace a célébré fon père, & qui difoit
en comparant trois de fes fils, Gillot (c’étoit l’aîné )
eft un glorieux, Jacquet, ( c’étoit le doéleur de Sorbonne)
eft un débauché, pour Colin, c’eft un bon
garçon , qui ne dira janrais de mal de perfonne,
C ’eft l’auteur des Satires.
Il faut dire un mot de Gilles & de Jacques.
Gilles, payeur des rentes, puis controlleur de
l’argenterie du roi, étoit poète & fut de l’académie
irançoife. Il devint l’ennemi de Defpréaux ,
auffi-tôt que celui-ci commença de faire des vers.
Defpréaux en fit fur ce frère jaloux, qui font d’un
homme mécontent, mais qui ne font pas d’un
méchant homme, ni d’un mauvais frère. C’eft une
plainte, & non une épigramme.
De mon frère , il eft vrai, les écrits font vantés 5
Il a cent belles qualités ;
Mais il n’a point pour moi d’alïeélion fincère.
En lui je trouve un excellent auteur ,
Un poëte agréable , un très-bon orateur :
Mais je n’y trouve point de frère.
Gilles Boileau eft certainement flatté dans ceg
vers, il ne refte rien de lui dans la mémoire des
hommes. Qui eft-ce qui fait que le frère de Def-
préaux a traduit en vers le quatrième livre de
l’Énéïde ? Sa vie d’Épiélete, avec l’abrégé de fa
philofophie, fa traduâion de Diogène Laërce , font
peut-être un peu moins inconnues. Il eft trop vrai-
femblable que Linière avoit raifon dans cette épi-
gramme contre Gilles Boileau.
Veut-on favoir pour quelle affaire
Boileau , le rentier ».aujourd’hui,
En veut à Defpréaux fon frère ?
Qw’eft-çe que Defpréaux a fait pour lui déplaire)
Il a fait des vers mieux que lui.
Gilles Boileau, dit-on , pour avoir part aux
grâces littéraires, dont Chapelain étoit le difpen-
fateur fous M. Colbert, loua la Pucelle, & défa-
voua Defpréaux qui l’avoit tant critiquée ; c’eft à
quoi Defpréaux, dans fa première Satyre, faifoit
* Mm mm.