
quoique fes parens, perfifloient à recotinoître pour
ufurpateur, ils en emiyèrent les plus cruelles per-
fécutions, qu’ils préférèrent à la honte de ref-
pefter un maître. Le calife Syrien“, pour punir les
Arabes que fés fujets enrichifloient de leurs offrandes,
'défendit le pélérinage de la Mecque, & il
y fubftitlia Jérufalem, qui devint le fanchiaire de
la religion ; mais cette défenfe fut levée à la mort
d’Abdala qui périt dans un combat, après s’être
vu enlever la Mèque & Médine. Après fa mort,
Abdalmalec régna fans rivaux, & tous les peuples
qui n’avoient qu’une même loi n’eurent plus qu’un
même maître : ce prince fut un mélange de grandeur
& de foiblefie. Quoiqu’il ne fit la guerre que par
.fes lieutenans , il avoir beaucoup de courage, &
une grande connoiflance de l’art militaire. S il fut
cruel, c’eft qu’il comraandoit à un peuple farouche
dont on ne pouvoit réprimer l’indocilité que par
des châtimens. L’avarice fouilla toutes fes vertus;
mais fes vices & fes foiblefles n’empêchent pas
qu’il ne foit placé parmi les grands hommes dans
l’art de gouverner.
Valid, premier du nom , fut un fils digne de lui.
„C e fut fous fon règne que l’empire parvint à fon
plus haut point de grandeur. Tous les troubles fu-
: -relit pacifiés, & les Mufulmans réunis portèrent
leurs armes dans Ja Sogdiane., le Samarcand & le
Turqueflan. De-là ils paflent le Bofphore, & ce
torrent fe déborde fur les provinces de la Grèce.
Le comte Julien , pour fe venger de fôn roi qui
avoit attenté à la pudicité de.fa fille, les appelle
en Efpagne, dont il leur facilite la conquête ; ils
franehiftenf les Pyrénées , font une irruption dans
la France, & forment le projet audacieux d’aller
fe joindre à Rome à une autre armée de Mufulmans
qui dévoient s’y rendre après avoir fait la con-
uête de la Grèce. La mort de Valid les arrête
ans le cours de leurs profpérité», & ils attendent
de nouveaux ordres. C’étoit un prince cruel &
violent ; mais s’il favoit punir, il aimoit aufîi à
récompeiîfer. Il fut le premier des fuccefleurs de
Mahomet qui fonda un hôpital pour y recevoir les
malades, les infirmes & les vieillards. Il étendit
fa générofité fur les voyageurs & les étrangers
par l’établiflement d’un caravanferai où ils étoient
défrayés. Les magnifiques mofquées -qu’il fit bâtir à Médine , à Damas & à Jérufalem, font autant
de monumens de Ion goût pour Parchiteéhire. Les
profanatipns de quelques-uns de fes lieutenans le
rendirept odieux aux chrétiens. Tel fut le gouverneur
d’Egypte, qui entroit dans leurs églifcs accompagné
de jeunes gens qui fer voient, à fes
plaifirs, & d’une troupe de bouffons qui faifoient
du lieuvfaint le centre de l’abomination. Valid
époufa fuccefliyement foixante-douze femmes qu’il
répudia les unes après les autres. Trois de fes frères
régnèrent après lui.
Soliman, héritier du trône de fon frère , adopta
fon fy ftême^guerrier ; il fignala fon avènement par
la conquête du Giorgian & du Tubariflan. Une
autre armée traverfa la Phrygie & la Myfie, d’où
elle fe répandit dans la Tlïrace qui devint le théâtre
de la guerre. Conftantinôple fut afliégée après que
l’armée qui la couvroit fut battue ; il y euraufli
un combat naval où les Grecs employèrent avec _
fuccès le feu de mer, ainfi nommé parce qu’il
brûloit fous les eaux. Les vaiffeaux mufulmans qui
échappèrent aux flammes furent engloutis par la
tempête. L’armée affiégeante affaiblie, par les déferrions
, les maladies , les affauts & la famine, fe
retira dans l’Afie-mineure , après avoir perdu cent
mille hommes. Cette perte fut réparée par de
brillans fuccès en Efpagne > où les chrétiens fe fournirent
à payer un tribut. Ils fe familiarisèrent avec
leurs vainqueurs ; & fe confondant avec eux, on ne
les défigha plus que par le nom de Mufarabes. L’idée
qu’on nous donne de la voracité de Soliman mérite
peu de foi; on rapporte qu’il mangeait trois agneaux
rôtis à fon déjeuné, 8c cent livres de viande par jour.
Ayant perdu fon fils qu’il avoit défigné pour lui
fuccéder, il nomma pour fuccefleur fon coufin-
germain , appellé Omar, qui jouifToit d’une grande
réputation de fainteté.
Omar fécond, que Soliman préféroit à fon frère,
auroit fait le bonheur de fon peuple, fi fon règne
avoit été plus long. Dès qu’il fut proclamé calife,
il fit éclater fa modération en fupprimant les malédictions
que les Ommiaçles avoienf: coutume de
fulminer contre Ali 8c fa. famille ; il fit revivre la
frugalité 8c la fimpliciré des premiers califes. On
lui préfenta de fuperbes chevaux qu’on le prefla de
monter, comme étant plus convenables à fa dignité
: il les refufa, fe contentant de celui dont il
♦ avoit coutume de fe fervir. Il continua d’habiter
fon ancienne mlSùn, qui étoit fort fimple, craignant
d’incommoderla famille de fon prédéceffeur ,
qui occupoit le palais deftiné aux califes. Il reftitua
aux Alidès la terre de Fidak, que Mahomet avoit
donnée pour dot à Fatime. Son inclination pour
la famille fit craindre aux Ommiades qu’il ne tranf-
férât le fceptre dans leurs mains ; ils fubornèrent un
efclave qui l’empoifonna. Ceux qui lui rendirent
! vifite dans fa dernière maladie, furent étonnés de
! voir le maître de tant de nations couché fur un
lit de feuilles de palmier, n’ayant que quelques
peaux pour couffin, 8c de vieux, haillons pour
couverture ; il étoit dans une faleté fi dégoûtante,
qu’on en fit des reproches à fa femme qui, pour
le juflifier, répondit qu’il n’a voit jamais eu qu’une
feule chemife. Il ne tira que deux pièces d’or par
jour du tréfor public pour l’entretien de fa maifon,
& l’on ne trouva dans fa garde-robe qu’une vefte
groffière qu’il portoit quand il montoit à cheval.
Cet amour de la pauvreté, ces moeurs, auflères ,
faifoient la cénfùre dé fes derniers précédefTeurs
qui avoient dégénéré de la fimplicité des premiers
temps de l’Iflamifme.
En conféquencé de l’ordre de fucceflion réglé
par Soliman , Yefid, fils comme lui d’Abdalmalec ,
fut élevé au califat. Dès qu’il fut parvenu au trône ,
il deflitua tous les gouverneurs des provinces, 8c
ce changement excita de nouveaux. troublés qui
furent étouffés dans le fang des rebelles. Ce fut fous
fon règne que les Mufulmans firent une invafion
dans la Gaule Narbonnoife, où ils firent quelques
- conquêtes que les François, commandés par le
comte Eude, les forçèrent. d’abandonner. Ce calife
n’eft connu que par fes débauches, 8c fur-tout par
fon amour effréné pour les femmes. Il fut fi vivement
to,uché de la mort d’une de fes concubines,
qu’il ne voulut pas permettre de l’enterrer ; ce ne
fut qu’au bout de quinze jours que fes domeftiques
vainquirent fa réfmance, parce que l’infeélion de
ce cadavre étoit devenue infupportable. Quand il
"n’eut plus ce dégoûtant fpeûacie à contempler, fa
douleur devint plus amère,- 8c pour l’adoucir, il la
faifoit quelquefois exhumer. Il ne lui furvécut pas
long-temps, 8c il ordonna qu’on l’inhumât avec elle.
La famille des Ommiades eut encore cinq califes ,
qui font plus connus par leurs généraux que par
leurs propres adions. Le règne d’Hèshan n’efl: mémorable
que par la défaite des Mufulmans à Tours,
où ils perdirent trois censfoixante 8c quinze mille
hommes: perte qui femble exagérée, (elle l’eft en
effet.) Cette victoire remportée par Charles Martel,
délivra l’Europe de l’efclavage dont elle étoit ména-
cée. Valid qui lui fuccede eff abhorré pour fes cruautés
: la rébellion éclate dans plufieurs provinces, 8c il
perd le trône 8c la vie. Il étoit impie, débauché 8c
gourmand: fapafiion pour le vin le rendit plus odieux
à fes fujets,que fa cruauté 8c fes autres vices. Sa mort
fut le premier coup porté à la famille des Ommiades.
Yefid, troifième du nom , prend les^rênes de l’empire
, que fes mains trop foibles ne peuvent gouverner.
Des fujets remuans, fous prétexte de venger
fon prédéceffeur, foufflent par-tout l’efprit de
révolte , 8c c’eft en épuifant le tréfor public qu’il
en arrête les ravages. Il meurt de la pefte à Damas,
après un règne de près de fix mois. Ibrahim , fon
frère , qui monta fur le trône, fut un prince fans
vice 8c fans vertu. Mervan, prince de fon fang,
arracha le fceptre de fes débiles mains; 8c placé
fur le trône par la v iâo ire, il montra que, s’il
avoit été heureux à vaincre, il n’étoit pas moins
habile à gouverner; mais” un empire qui n’efl:
point foutenu par la lo i, n’eft qu’un rofeau que
fait plier l’orage. L’efprit de rébellion fermentoit
dans les provinces : Mervan n’eut que des fujets à
punir. La mplle complaifance de fes prédéceffeurs
qui en avoient été les viélimes , lui inlpira une politique
barbare , 8c il crut que fa puiflance ne
pouvoit être cimentée que par le fang. La févérité
de fes vengeances multiplie les rebelles ; les peuples
commencent à rougir d’être profternés devant fin
maître fanguinaire, tandis que. la famille de leur
prophète gémit dans l’oppreffion. Les Abbaflides,
plus riches que les Alides, réunifient les voeux de
l’empire; la Syrie, l’Arabie, l’E gypte, la Méfo-
potamie 8c toutes les provinces méridionales proclament
Àbbas/devenu lé chef de cette famille infortunée.
L’aélif Mervan s’emprefie d’étouffer le feu
de la révolté : il fe livre un combat fur les bords de
l’Euphrate , où les deux partis donnant également
des preuves de cet acharnement qu’infpire le fana-
tifme, tiennent long-temps la: viéloire incertaine.
Mervan emporté'hors des rangs par fon cheval
fougueux, ne peut plus diriger les mouvemens de
fon armée, qui fut taillée en pièces ; il s’enfuit à
Damas, dont on lui refufa l’entrée; il va chercher
un afyle en Egypte, 8c il y trouve la mort. Ainfi
finit la puiflance des Ommiades, maîtres fangui-
naires , moins par penchant que par la néceflité de
gouverner avec un fceptre de fer un peuple indocile
8c féroce.
La famille .de Mahomet rétablie fur le trône
donne également des fcënes de carnage. Les Ommiades
font frappés d’anathêmes , 8c foixante mille
péiiffent par le glaive dans, l’étendue de l’empire.
Abdéramène, refie infortuné dé cette famille fe
dérobe au maflacre, 8c pafle en Efpagne, ou il
forme un état indépendant. Les Abbaflides délivrés
dés ennemis de leur maifon, rétabliifent la mémoire
d’A l i , & pourfuivent avec fureur fes def-
cendans. Poffefleurs paifibles du trône, ils y font
affeoir les fciences & les arts avec eux : là littérature
grecque & romaine devient familière à ce
peuple greffier, qui s’étonne delà barbarie de Tes
ancêtres. On ouvre des écoles de philofophie, oit
la raifon triomphe des préjugés populaires ; l’aftro-
nomie y découvre les mouvemens de ces globes
flottans dans l’immenfité ; mais dans fa naiifance
on abufe de 'fa foibleffe pour la défigurer, &
elle n’eft encore que l’art impofteur qui féduit la
crédulité avide de dévoiler l’avenir. La médecine
à peine fortie de l’enfance, parvint fubite-
ment à fon' âge de maturité ; mais jfes traits furent
altérés par des fympathiès myftérieufes qui firent
la réputation des charlatans & des impofteurs. Dés
villes nouvelles s’élevèrent, où l’architeftitre fit
briller fes premiers èflais ; la chymie. qui pénètre
dans tous les fecrets de la nature, développa fes
richeffes dont on abufa pour fe livrer à la découverte
chimérique de la pierre philofophale. Ainfi,
tandis que les fciences & les arts font exilés de
l’Europe, par les Goths & les Vandales , la cour
de Bagdat leur fert d’afy le, Mahadi & Aaron
Rafchid appellent & récompenfent tous ceux qui
fé diftinguentpar le génie. 11 eft vraique les lettres
k leur renaiflance jettèrent plutôt quelques étincelles
qu’une véritable lumière ; mais elles fuffirent
pour nous remettre ou nous guider dans les véritables
routes.
Le goût des Abbaflides pour les arts n’affoiblit
point leur ardeur pour la guerre : tout, jufqu’à leurs
fêtes, fervoit à entretenir les inclinations belliqueu-
fes de la nation : c’étoit des joutes ou des combats
d’animaux, où chacun pouvoit exercer fon adrefle
& fon courage. L’empire, en devenant plus éclairé,
devint plus redoutable ; l’Atlas & l’Immaiis, le Tagé
ôt l’Indus étoient fous le mérite fceptre, & deux mille