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Après ces traits , des torts, des ridicules ne
font plus rien , il faut pourtant remarquer que
Balue n’en étoit pas exempt. Gomme il afpiroit à
to u t, il le mêloit de tout; il vouloit être à-la-fois
évêque & guerrier , & s’acquittoit également’mal
des fondions de l’un & de l’autre état. Un jour
qu’il faifoit la revue de la milice de Paris., en présence
du r o i , le comte de Dammartin dit a ce
prince : Sire , il faudroit m’envoyer à Evreux confiner
les ordres & faire les fondions de ce prêtre qui
fait ici les miennes.
Le cardinal B alue mourut à Ancône en 149 t.
BALUZE, (Etienne) {Hifl. mod.) né à Tulle
€n 1630, s’annonça de bonne heure comme un
fàvant diftingué ; il n’àvoit pas. 22 ans, lorfqu’il
publia en 1652 , une favante critique d’un favant
ouvrage, le Gallia purpurata• ©u Thifloire des cardinaux
françois, de Frizon ; l’archevêque de Tou-
loufe, de Marca , prélat très - inftruit lui-même,
s’emprefla de faire connoître un homme ff inftruit,
il le fit venir à Paris en 1635. ML Colbert , qui
n’ayoit pas befoin d’être favant pour protéger les
iavans, & qui' fentoit que le premier devoir d’un
miniftre eft de procurer à la patrie le bienfait des
connoiffances & des lumières, M. Colbert le fit
fon bibliothécaire , 5c il donna une bibliothèque
à M. Colbert. En 1670 , ce miniftre fit ériger pour
îiii une chaire de droit - canon,, au collège royal.
Baluze fut dans la fuite infpe&eur du même collège
; on lui donna une partie des penfions &
des grâces auxquelles il avoit droit. Toute la vie
de Baluze n’eft qu’une longue fuite de travaux..
Il donna en 1677 > fa fameufe édition dès capitulaires•
de nos rois, rangés dans leur ordre avec
dès notes véritablement inftruêtives ; c'eft un des
livres les plus utiles-pour notre Kiftoire , '2 y o Lin-fil.
En- 1682 ,. une édition des Lettres du pape. Innocent
I I I s. 2 vol. in-folio.
En: 1683 , un Supplément* aux. conciles du père
Labbe, in-folio'.
En 1-688 , une édition dü Marca ILfpanica.- dé
M. de Marca, fon bienfaiteur , 1 vol. în-folio , &
en 1704, une édition du fameux traité'du même
prélat , De concordiâ facerdotii & imp'erii, avec la
vie de fauteur , un fupplément 5c des notes,
1 vól in-fölio..
En- 1693 , des Vies- des papes d’Avignon,. depuis
1305 , juïqu’en 13 76 , 2 vol. in-40..
En 1 7 1 7 ,une hiftoire<fc TuÙe,en latin, 2-v. in - f.
Nous voudrions que dans cette hifibire il n’eût
pas rapporté la révélation qu’eut, en difànt.la méfié ,,
un faint prêtre de fa famille , nommé comme lui , .
Etienne Balu^e.Cette révélation étoit que FrançoisI;
■ qui fe difpofoit alors à partir pour lTtalie , 'y fëroit
fait prifonnier. Ce prêtre vint de Tulle à Paris ,
pour faire part au roi de fa révélation , fut
renvoyé comme un fou. En effet, fi, nous appelo
n s révélation , la crainte des principaux- événe-
mens qui peuvent arriver à.’la guerre.,.tout fera ,
asêvélation*.
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On doit encore a Baluze, des éditions dè plu*
fieurs écrivains * eccléfiaftiques célèbres , tels que.
Salvien , Vincent dè Lérins Loup de Ferrières s.
Agobard , Amolon ou Amulon, Leidrade, &c.
On a de lui encore 7 vol. in-8°: de mélanges g
qui ont paru fuccefiivement de 1678 ,. à 1713.
Baluze n’étoit pas moins vertueux que favant;
il étoit d’un cara&ère doux & aimable , bon ,
bienfaifant, communicatif, toujours prêt à prodiguer
fès livres, fes manufcrits & tous les tré-
fors de fon érudition à ceux qui travailloient &
qui le confultofent, croyant toujours lès matériaux
d’un bon ouvrage mieux dans les mains d’un-
autre que dans les Tiennes ; la fimplicité d’un enfant
y lamodefliè d’un grand homme, la pureté d’un
ange. Voilà Baluze. De tels favans font peut-être les
plus refpeétables & les plus utiles dès hommes ; tandis
que tant d’autres intriguent,. cabalent, calomnient
, perfécment ; ceux-ci font fans ceffa occupés
à fervir ou les particuliers ou le public..
Nous avons vu Baluze fignaler fon attachement
& fa reconnoiffance pour M. de Marca , en pii-,
bliant & en illuftranr deux ouvrages confidérables -
de ce prélat, fon attachement à-, un autre prélat ^
le cardinal de Bouillon, lui fit entreprendre l’h if
toire généalogique de la maifon d’Auvergne, qui parût
en-1708,. en 2 vol. in-folio. Cet ouvrage lui fit-
perdre fes penfions & lés places, & lè fit exiler
fucceflivement à Rouen, à Tours., à.Orléans. IT
falloit que le gouvernement eût des raifôns bien
fortes ou plutôt il ne peut en avoir eu que de-
bien fbibles & de bien- mauvaifes , pour traiter
avec cette rigueur un homme dè 78 ans, un vieillard
vénérable qui n’avoit fait.; que du bien aux-
hommes 5c qui n’étoit rien.moins qu’un écrivain-
téméraire. Quand l’attachement-de Baluze , ou à-
là perfon-ne du cardinal de Bouillon , ou fimple-
ment an fajet qu’il tr-aitoit, l’àuroit entraîné dans -
quelques erreurs, une erreur de favant eft-elle
un crime qui mérite d'être expatrié à quatre-vingt
ans & d’être privé de tous les moyens de fub-
fifter ? Une erreur;, même en général, eft-elle
un crime? Où en feroient lès hommes ? fi Terreur
eft de quelque conféquence, elle peut mériter uiie
réfutation-,, une condamnation peut-être, mais
profcrivez l’erreur & laiffez en paix celui qui s’eft
trompé. -G’eft une grande barbarie ( nous prenons
ce terme dans fa double fignification & d’ignorance
& dè cruauté ) • que celle quL a pû déterminer
à rendre malneureufe la vieilieffe d’iin homme
tel que Bdlufe. Il faut l’avouer , nous ne fommès
pas avancés fur cet- article, & l’ancien principe
d’ïnquifition ou religieufè ou politique, qui perlé-
cutoit fi impitoyablement les écrivains qui s’étoient-.
trompés, a laine fubfifter des racines'bien profondes
& bien funeftes dans les pays:, mêmes qui.
croyent rejetter l’inquifition.. Baluze, ne fut rappelle
qu’après'plufièurs années d’èxil ; il' continua
d’écrire-, il avoit 87 ans, lorfque fon hifioire de
Tulle gariiLcn 171.7«.. I l mourut à-Paris- , r en. 1718^,
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.'âgé de 88 ans. Son nom manque à la lifte de l’acadé-
Tnie des infcriptions & belles - lettres. Sa ïnodeftie
en fut fans doute la canfe, elle ajoute à l’éloge
-de l’homme, fans difculper l’aCadémie.
BALZAC, ( Jean - Louis Guez , feigneur de )
( Hijl. mod. ) Balzac a fait pour la profe françoife
ce que Malherbe a fait pour la pôëfie ; il lui a donné
•du nombre, de l’harmonie & un caractère fen-
fible de nobleffe 5c dè majefté qu’elle n’avoit pas
avant lui ; mais il ne fut pas aufïi heureux que
Malherbe dans le choix du genre. Il appliqua fes
talens au genre épiftolaire , oc Malherbe les fiens ,
qui ètoient à-peu-près les mêmes, au genre lyrique.
Malherbe ne pouvoit mettre dans l’ode trop de
pompe & de magnificence, Balzac dèvoit mettre
moins de travail , de prétention & d’emphafe dans
de fimples lettres ; on lui reproche aujourd’hui de
l’enflure , peut-être ne lui trouveroit- on que de
l’élévation & de la force, fi fon genre eut été
effentiellement oratoire , peut-être jouiroit-il
•encore d’une grande partie de la gloire qu’il avoit
ufurpèe pour un temps, s’il eût écrit des oraifons
funèbres ou d’autres ouvrages d’éloquence.
Il eft peut - être même un peu rigoureux de
dire qu’il ait ufurpé fa réputation ©u que cette
réputation foit détruite. Son nom réveille encore
l’idée d’un créateur delà langue françoife,cette langue
avoit un cara&ère unique qu’il lui a'fait perdre 9 la
naïveté , elle appliquoit ce cara&ère à tout indif-
tinélement, 5c il étoit fouvent déplacé. Amyot,
l’écrivain le plus parfait dans cette langue , charme
dans la traduélion ds Daphnis & Chloé.y il choque
& déplaît fouvent dans la traduélion de Plutarque.
C e badinage naïf ne convient plus aux chofes
dont il parle ; on croit entendre un enfant parodier
5c traveftir les grands hommes & les grands
événemens de rhiftoire grecque & romaine.
Peut-être la langue françoife auroit-elle dû con-
lerver pour le befoin une plus grande partie de
cette naïveté, fon caraéïère originaire ; la naïveté
même de la Fontaine eft plus dans les chofes
que dans les mots , & nous voyons - que cet
auteur 5c plufièurs autres N lorfqu’ils veulent
exprimer plus particulièrement la naïveté , font
obligés de recourir au ftyle marotique & à la langue
d’Amyot ; c’eft-à-dire, à une langue devenue étrangère
, ce qui demande beaucoup d’art & de goût,
5c ce qui n’a peut- être été bien exécuté que par
lé Fontaine dans quelques - uns de fes contes ,
& par Rouffeau, non dans fes èpîtres & dans fes
allégories , qui font l’excès 5c l’abus de ce genre,
mais dans quelques-unes de fes épigrammes feulement.
Au refte, Balzac a révélé un grand fecret
lorfqu’il a fait voir que la langue françoife peut
prétendre à tous les caraéïères qui conftituent une
langue riche & noble. S’il manque fouvent de
naturel, s’il a tous les défauts qui touchent aux
caraélères nouveaux qu’il a introduits dans la langue,
la prolixité dü ftyle nombreux, l’enflure du ftyle
noble, l’hyperbole du ftyle fort, .il eft plein aufll
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de choies raifonnables , ingénieufes 5c bien exprimées.
Quoi de plus eftimable , par exemple
& quoi de mieux à tous égards , que ce qu’il
répond au fujet du Cid à Scudery , qui avoit
voulu l’engager dans fon parti contre Corneille ?
» Toute la France entre en caufe avec lui , 5c
» peut-être il n’y a pas un des juges.. . . qui n’ait
» loué cè que vous aefirez qu’il condamne.. . . c’eft
» quelque chofe de plus d’avoir fatisfait tout un
» royaume que d’avoir fait une pièce régulière.. . .
» il y a des beautés parfaites, qui font effacées
» par d’autres beautés qui ont plus d’agrément-
» & moins de perfe&ion.. . . favoir l’art de plaire
n Ue vaut pas tant que favoir plaire fans art.. *
» s’il eft vrai que la fatisfaftion des fpeélateurs
» foit la fin que Ce propofent les fpeéïacles. .. le
a Cid du poète françois ayant p lu.. . * ne feroit-
» il point vrai qu’il a obtenu la fin de la repréfen-
» tation & qu’il eft arrivé à fon but ?.>.. Vous
» dites, Monfieur, qu’il a ébloui les yeux du
n monde, vous l’accufez de charme & d’enchan-
» tefflent ; je connois beaucoup de gens qui feroient
» vanité d’une telle açcufation. Si la magie étoit
j) une chofe permife, ce feroit une chofe excellente..»
» L’auteur du Cid vous avouant qu’il a violé les
» régies de l’art, vous oblige de lui avouer.. . qu’il
» a mieux réuïfi que l’art même.. . qu’ayant trompé
« toute la cour & tout lè peuple; . . . il eft plus
» fin que toute la cour & tout le peuple, & que
» la tromperie qui s’étend à un fi grand nombre
» de perfonnes, eft moins une fraude qu’une coiir
» quête. . . . Je viens de trouver votre arrêt dans
»Tes regîtres de l ’antiquité. Il a été prononcé il
» y a plus de quinze cents ans , par un philofophe
» de la famille ftoïque , mais un philofophe
» dont la dureté n’étoit pas impénétrable à la joie,
» de qui il nous refte des jeux & des tragédies *
” qui vivoit fous le règne d’un empereur poète
» oc comédien, au fiècle des vers & de la mufi-
” que : Illud multum efl primo afpeêlu oculos occur
pa-fie , etiamfi çontemplàtio diligens inventura efl quoi
arguai. Si me interrogas , major ille efl qui judicïum
abflulit quam qui meruit. » Votre adverfaire y trouvé
” fou compte par ce favorable mot de major efl^
» 8c vous avez aufll ce que vous pouvez defirer,
n ne defirant rien à mon avis, que de prouve^
» que judicium abflulit. Ainfi vous l’emportez dans
» le cabinet, & il à gagné au théâtre. Si le Cid
» eft coupable , c’eft d’un crime qui a eti ré*
» compenfe ;' s’il êft puni, ce fera après avoir 1 triomphé ; s’il faut que Platon le bannifle de fo
» république, il faut qu’il le couronne de fleurs
» en le banniflant. Voilà parler en honnête homme
5c en homme de beaucoup defprit, Balrac eut des
partifans zélés & des cenifeurs amers ; fe général
des Feuillans Goulu , écrivit contre lui fes lettres
dePhiïarque , où il 1e peignit comme un Corrupteur
du goût & même des moeurs ; d’autres prirent fa
défenfe, il fit fchifme dans fes lettres, ce qui n’ai-
rive guères à un écrivain médiocre. On fit en 1663 ,