
Une réputation généralement établie de juflice
& d’incorruptibilité, fit choifir pour procureur-
général de cette commiffion M. de Fourqueux,
Charles-Michel, le premier des trois procureurs-
généraux de la chambre des comptes, de fonnom.
Ces tribunaux extraordinaires font toujours accufés
ou de trop de rigueur ou de trop d’indulgence ; on
croit aifémént, & quelquefois avec raifon, que ce
font les foibles & les malheureux qui paient pour
les coupables puiffans & protégés; on fuppofe à
la , cour une influence toujours aélive & toujours
efficace fur ces juges qu’elle a choifis & qu’elle
lient fous fa main. L’auteur du fiècle de Louis X IV
obfêrve que dans les troubles de la Fronde, le parlement
de Bordeaux tint une conduite plus uniforme
que-le parlement de Paris, parce qu’étant
plus éloigné de la cour , il ételt moins agité par
«es faâions oppofées. Par une raifon femblable,
©u réelle, ou fuppofée, la chambre de juflice ne
fatisfk point le public ; il fe crut trop vengé ou
mal vengé, il plaignit les condamnés ; l’ardeur que
la chambre mettoh dans Tes informations & dans
fes pourfuites , répandit une allarme générale ;
•chacun craignit pour foi :
Cum Jîbi quif queümet, quanquam eji intact us & odit.
Le peuple,
Echo tumultueux d’ une vo ix plus fe c r è te ,
'demanda plus inftamment la révocation de la
chambre qu’il n’en avoit demandé l’établifTemeiH ;
les opérations de ce tribunal, abandonnées à la licence
des écrits fatyriques & des difcours populaires,
furent traverfées par la cour, & calomniées
dans le public; il n’y a de jufte & de vrai
fur cet objet important , que ce que M. le chancelier
d’Agueffeau dit à la chambre de juflice , en
lui annonçant fa fuppreffion :
3) Les peuples de ce royaume, depuis long-
» temps en proie à l’avidité de leurs propres ci-
toyens , demandoient des vengeurs ; vous avez
» été choifis pour exercer ce miniflère redoutable,
» & le public a applaudi à un choix , qui remet-
toit fes intérêts en de fi dignes mains.
” Mais vous favez que les remèdes peuvent
y> quelquefois devenir des maux quand ils durent
» trop long-temps. A la vue d’une multitude de
y> criminels-, qui par le mélange du fang & des
v fortunes, ont fu intéreffer jufqu’aux parties faines
de l’état, le public effrayé tombe dans une ef-
» pèce de conflernation & d’abatement qui retarde
les opérations , & qui fait languir tous les
» mouvemens du corps politique. Tel efl même
le caractère du peuple, qui toujours fujet à
Fiaconftance , pane aifémént de- l’excès' de la
v haine à l’excès de la compaffion ; il aime le
y fpeélacle d’un châtiment prompt & rigoureux,
» mais il ne peut en foutenir la durée.; &laiifint
» bientôt affoiblir fa première indignation contré
» les coupables, il s’accoutume prefque à les croire
j> innocens,lorfqu’il les voit long-temps malheureux.
» C ’efl à la prudence du fouverain qu’il eft ré-
» fervé d’étudier ces divers mouvemens , de favoir
» changer en régime des remèdes trop forts pour
» la difpofition du malade, & de tempérer telle-
” ment la févérité avec l’indulgence, que la ri-
» gueur de l’une contienne les hommes dans les
» bornes du devoir, & que la douceur de l’autre
” rétablifïe dans les efprits une confiance non moins
» néceffaire. . . . . .
» Perfonne ne pouvoir vous donner avec plus
» de plaifir les éloges dus à vos. fervices, & à un
j> zèle fupérieur aux fervices mêmes. . . . .
» Vous aurez du moins la fatisfa&ion précieufé
» à des gens de bien d’avoir arrêté le cours d’une
” déprédation que le malheur des temps fembloit
» avoir mife au- deffus des loix «.
Voilà les véritables caufes, & du peu de fruit
qu’on tira des opérations de la chambre, &' des
calomnies répandues contre ce tribunal ; c’efl: ce
mélange du fang 6» des fortunes, c’efl: cette déprédation
mife au - deffus des loix par le malheur des temps.
Comme M. de Foulqueux, en qualité de procureur
général , étoitchargé fpécialement de mettre
; en adivité la chambre de juflice , & de pourfuivre
au nom du roi les coupables, c’efl contre lui principalement.
que les calomnies ont été dirigées ; il
efl maltraité dans quelques fatyres auxquelles on
a donné le nom d’hifloires pour, leur en donner
l’autorité ; fes defcendans n’ont pas befoin de fou
apologie ; ils ©nt fu par leurs talens & leurs vertus
, par une conduite pleine de décence & de
dignité, fe faire une confidération perfonnelie,
indépendante de celle de leurs pères ; mais un des
plus nobles devoirs & des plus beaux droits de
l’hiftèire efl de détruire la calomnie , de venger la
vertu des attentats de la fatyre , & de rendre pleine
& entière juflice aux morts comme aux vivans.
Une^tracütion pure & confiante affilié à M. de
Fourqueux l’honneur d’avoir été non-feulement le
magiflrat le plus intègre, mais un homme d’une
fimplicité antique, d’une probité délicate , d’un
défmtéreffement peut-être exceffif, & tel que nous
le voyons revivre dans fon petit-fils ; il a toujours
vécu fans fàfte, & efl mort pauvre comme Ariflide»
Il efl mort en 172,5. Il exiftë encore des témoins
oculaires de ce qu’on avance ic i, & celui qui écrit
ceci,a vu quarante ans tous les honnêtes gens rendre
ce témoignage à la mémoire de M. de Fourqueux.
Voyons préfentement ce qu’en a dit la fatyre,
& ce qu’ont répété l’ignorance & la légèreté.
Remontons à la fource où tous ont puifé. Cette
fource efl très-impure.. C’eft un ouvrage qui a peur
titre: Vie de Philippe d’Orléans , petit-fils de France,
1736, deux volumes «2-12; elle eft attribuée au
fleur de la Hode, c’eft-à-dire à l’ex-jéfuire Lamothe,
chaffé de fon ordre pour des fermons féditieux,
& qui paffa le refte de fa vie à écrire en Hollande
clés hîftoifes calomnieufes fur des fujets dont il
n’avoit aucune connoiffance. 11 y a peu d’écrivains
auffi décriés. On va voir fur-tout qu’il n’avoit aucune
connoiffance de ce qui concernait M. de
Fourqueux. Il dit, page 165, du tome premier:
a» Le régent............établit une chambre de juflice.
v Monfieur Fourquieux ( nous copions fon ortogra-
phe ffîfi en fut le préfident ». ®
Il n’en fut point le préfident. Ce préfident fut
M. le préfident de Lamoignon , grand-père de M.
le préfident de Lamoignon d’aujourd’hui , & fous
lui M. le préfident Portail, qui fut depuis premier
préfident. M. de Fourqueux fut procureur-général
de cette chambre. Quand on ne fait pas cela, il
efl évident qu’il ne faut point parler de ce tribunal.
Pages 251 & 252 , il rapporte la nomination de
M. d’Argenfon à la dignité de garde des fceaux ,
faite, dit-il, en préfence de MM. Portail & de
Fourqueux, qui, félon lu i, efpéroient cette dignité
pour eux, & qu’il appelle, à l’époque de 1718,
les deux membres du parlement. M. de Fourqueux
étoit depuis dix-fept ans procureur-général de la
chambre des comptes.
Enfin , pages 385 & 386, ( & c’eft ici que font
les accufations graves ) voici comment il s’exprime :
» M. d’Argenfon, garde des.fceaux , étoit contrô-
a> leur, fans en avoir le titre. On partagea les
»> finances en dix dépar cerne ns, dont furent char-
» gés MM. Amelot, Pelletier des Forts, Pelletier
»> de la Houffaye, Fagon, d’Ormeffon , Gilbert
» de Voifin, de Gaumont , Baudri, Dodun,
» Fourqueux.........De tous ces meffieurs, il n’y
5> avoit guères que M. d’Ormeffon qui eût une
» réputation faine. . . . . . . La chambre de juflice
» avoit rendu fameux M. de Fourqueux ; le pro-
v cès que lui avoit intenté Bourvalais. en reflitu-
»> tien de fes meubles & effets, qu’il prétendoit
3» que ce magiflrat s’étoit appropriés, oc la belle
maifon qu’il avoit depuis peu fait bâtir avoient
3> convaincu le public de fon avidité».
Il y a là prefqu’autant de fautes, volontaires ou
involontaires , que de mots.
Nous demandons d’abord quelle confiance mérite
un' écrivain, qui en parlant des noms de la robe J
les plus refpeâés & les plus chéris , a la témérité
de dire qu’un feul jouiffoit d’une réputation faine?
» La chambre de juflice avoit rendu fameux M.
de Fourqueux.
Eh ! meffieurs 1 fâchez les faits avant de les
écrire. M. de Fourqueux des départemens, n’eft
pas M. de Fourqueux de la chambre de juflice ;
c’eft fon fils, c’efl le père de M. de Fourqueux
d’aujourd’hui.
Quant au procès intenté parBourvalais , ( Voye{
l’article Bourvalais) ce fameux partifan, par
des confidérations du genre de celles dont parle
M. le chancelier d’Agueffeau, ayant été rétabli i
dans fes biens, ; près avoir été taxé par la chambre j
de juflice, s’adreffoit à M. de Fourqueux, non |
pas comme à quelqu’un q u i s ’ é to it approprié fes |
biens, mais comme au magiflrat, qui, en qualité
de procureur-général, avoit été fa partie publique.
Les mémoires de là régence, édition de 1737,
page 358 , parlent auffi de cette réclamation de
Bourvalais, mais ils en parlent plus décemment,
& en tout, quoiqu’ils aient quelquefois de l’inexactitude
, ils ne contiennent aucune des calomnies
qui révoltent dans la Vie de Philippe d’Orléans.
» Bourvalais , difent ces mémoires , intenta
» procès contre M. de Fourqueux , ci-devant
*» procureur-général de Ja chambre ardente , pour
» avoir certains meubles à lui appartenans, qu’il
» foutenoit n’avoir été ni vendus , ni compris dans
30 l’arrêt de vente. Cette dernière affaire fut portée
» au confeil de régence ».
Les mémoires de la régence ne nous en apprennent
pas davantage. Reprenons la vie de Phi lippe d’Orléans-
» La belle maifon que M. de Fourqueux avoit
» depuis peu fait bâtir ».
M. de Fourqueux n’a fait bâtir aucune maifon ;
il s’eft toujours contenté de là maifon de fes pères
& à la ville & à la campagne , & comme Rouffeaa 1 a dit de M. Rouillé du Coudray, beau-frère de
ce magiflrat :
D u champ par fes pères laîfTé,
II parcourut au lo in les limite s antiques .
Sans redouter les cris de l’ orphelin chaffé
D u fe in de fes dieux domeftiques*
Quant a Vavidité , il efl vrai, c’eft le mot propre
en parlant d’un homme auffi modéré dans fes voeux',
& auffi défintéreffé que M., de Fourqueux.
tous les auteurs qui ont copié ces calomnies,
il n y en a qu’un feul qui mérite que nous nous
arrêtions à le réfuter, c’eft Fauteur des mémoires
de madame, de Maintenon, ( Voye1 l’article la
Beaumelle. ) à qui la critique de M. de Voltaire
auroit porté^ coup d’une manière plus efficace, fi
elle avoit été moins continuelle & moins acharnée.
Voici comment il s’explique fur la chambre dé
juflice. édit, de 1756, t. 4 , p. 271.
» On érigea contre les traitans une commiffion
» qui eût été fort utile , fi Fon en eût enfuite
» érigé une contre les commiffaires ».
Phrafe de pur bel efprit, qui ne fignifie abfolu-
ment rien ; s’il avoit fallu ériger une commiffion
pour juger la première, c’eft que la première
auroit ete non - feulenjent inutile, mais funefte.
Dira-t-on quelle auroit été utile par fon châtiment?
tous les coupables le font ainfi ; eft-il utile
qu’il y ait des coupables, parce qu’ils font punis?
» Les maîtreffes, les favoris vendirent leur pro-
» teélion aux coupables , les juges, leurs fentences ».
On peut tout dire des maîtreffes & des favoris ,
encore feroit-il mieux.de n’en rien dire que d’avéré ;
mais que les juges aient vendu leurs jugemeiis ,
une telle allégation ne mériteroit-elle pas bien un
mot de preuve ? On a beau dire, cette manière
tranchante & légère de flétrir d’un trait de plume