
pour prévenir les effets de cette fermentation générale
V fut obligé de montrer Artus ail peuple ;
mais cet homme oui fer voit à la fois le roi & le
prince, devint fiupeél ou odieux à Jean, qui fré-
mifloit de rage de n’o.fer confommer fon crime. I
Plus ce crime étoit dangereux, plus il le jugeoit né*
Oeflaire. Il fit tranfporter le*prince à Rouen, &
chercha par-tout des aflaffins: il h’en trouva point;
on le connoiffoit capable d’immoler le bourreau
après la viélime, pour défarmer la haine publique;
1 honneur infpiroit lés uns, la crainte arrêtoit les
autres. Guillaume de B ray , auquel Jean propofa
d’affaffiner Artus, répondit qu’un chevalier n’en-
tendoit rien à un pareil métier ; d’autres en dirent
autant. Le roi enfin vit qu’il ne pouvoir compter
que fin* lui-même. Il fe rendit par eau pendant la
nuit, au pied de la tour de Rouen; il .fit amener
le prince dans fa barque, & avant de le jetter
dans la rivière, une groffe pierre au cou, il lui
pafla plufieurs fois fon épée' au travers du corps,
dans la crainte qu’on ne le repêchât vivant. On
ajoute qu’en effet le corps à’Artus fut tiré fur le
rivage par les filets d’un pêcheur, & enterré à
l’infçu de Jean dans le prieuré de Notre - Dame
du Pré.
Dans le temps qu* Artus étoit encore gardé au
château de Falaife, Jean s’y étoit rendu, pour
conférer avec lui * 8c fbit qu’il n’eût point encore
pris de réfolution funeffe, foit qu’il voulût feulement
s?inflruire dans cette conférence de, diverfes
chofes qu’il pouvait lui importer de favoir, il effaya
de détacher Artus des intérêts de la France, en lui
offrant à ce prix la vie & la liberté. Artus, dit-on,
répondit qu’il n’abandonneroit point fon bienfaiteur
pour fon tyran .,. 8c redemanda fon trône
d’Angleterre & les provinces de France que Jean
lui retenoit injuftemënt. Ce fut, ajoute-t-on, cette
hauteur inflexible qui acheva de déterminer Jean
à le perdre , & ce fut ce crime de Jean qui le per-,
dit lui-même. Ses fujets l’abandonnèrent, les Bretons
fe révoltèrent ; Philippe-Augùffe citant le roi
Jean à la cour des pairs, l’y condamnant par contumace,
eonfifquant les provinces du continent
par une fentence, 8c les foumettant par les armes,
parut bien moins un conquérant qui profitât de
l’embarras d’un roi voifin, qu’un juge qui punif-
foit un coupable , qu’un héros qui vengeoit la querelle
des rois 8c de l’humanité. Que les Machia-
velliftes apprennent qu’il eft toujours dangereux
d’être coupable. L’arrêt de Jean peut le? inftruire,
le voici •:
« Jean , duc de Normandie, ayant violé fon fer-
j> ment envers le roi Philippe , fon feigneur ; tué
»> le fils de fon frère aîné, vaffal de la couronne
» de France, coufin du roi, 8c commis ce crime
» dans l’étendue delà feigneurie' de France, il eft
35 déclaré coupable de félonie & de trahifon ;
>5 toutes les terres qu’il tient à- hommage feront
y confifquées.
y Jlofton, ditMezeray, pour s’être, de barbate,
fait chrétien 8c vertueux, fut le premier duc de
» Normandie; & Jean , pour être, de chrétien ,
ï> devenu plus méchant que les payens 8c les bar-
» bares, fut le dernier 55.
L’affaflinat d'Anus eft de l’an -1202. 30. Artus de Bretagne, comte de Richement,’
frère du duc de Bretagne, Jean V I , & dans la fuite'
due de Bretagne lui même. Son frère 8c lui étoient
dans les intérêts de la France contre Henri V Scies
Anglois. Artus fut fait prifonnier à la bataille
d’Azincourt en 1415. Henri V lui permit de faire
un voyage en Bretagne fur fa parole. La mort de
ce monarque étant arrivée avant le retour dé Ri-
chemont, celui-ci,- dit-on,-prétendit être dégagé
de fon ferment, prétention peu digne d’un chevalier,
caron n’avoit. jamais entendu dire qu’un prifonnier
devînt libre par la mort du vainqueur , &'
la rançon étoit un objet d’intérêt qui paffoit à l’héritier.
Le duc de Bedfort, frère de Henri V , &
régent d’Angleterre & de France pendant la minorité
de Henri V I , ne s’amufa pas à prouver 8c
à reprocher au cpmte de Richemont fon infidélité,
envers l’Angleterre , il profita de la conjoncture
pour le rendre infidèle à la France, & gagner par
lui le duc de Bretagne; il engagea le duc de Bourgogne
, dont il avoit époufé une foeur, à donner
au comte de Richemont, fa foeur aînée, veuve du
,. dauphin Louis , frère aîné de Charles VII ; ainfi le
comte de Richemont devint beau-frere & du duc
de Bourgogne & du duc de Bedfort ; 8c il fe forma
entre les ducs de Bedfort, de Bourgogne, de
Bretagne, 8c le duc de Richement, une alliance
plus utile à l’Angleterre, que n’eût pu l’être la
rançon de ce dernier.
Le duc de Bedfort avoit gagné le Suc de Bretagne
en rendant la liberté au comte de Richemont
fon frère ; le roi Charles V I I , à fon tour, le regagna
, en donnant au même comte l’épée de connétable
, vacante par la mort du comte de Bukan,
Jean Stuart, tué en 142.4: à la bataille de Verneuil. -
Le duc de Bedfort fondit tout- à-coup fur ,la Bretagne;
le duc de Bretagne , furpris 8c effrayé,
n’eut d’autre parti à prendre que de renoncer à
l’alliance de la France, d’accéder au traité de Troyes,
de reconnoître la régence de Bedfort 8c la fuzerai-
neté de Henri VI. Mais le comte de Richemont
refta connétable de Charles VII ; il iui vendit
cher fes fuperbes fecours ; s’il rendit d’importaris
fervices, il fit de v-iolens outrages : il voulut pref-
crire au roi le choix de fes amis 8c de fes ennemis1;
il purgea la cour de favoris, 8c en chaffa les miniftres
à force ouverte , pour être le feul favori 8c
le feul miniftre. Il ne put jamais y parvenir ; il put
caufer desdifgraces , mais non obtenir la faveur;
le roi ne vit en lui qu’un ferviteur infolefit 8c tyrannique
, d’autant plus odieux, qu’il étoit quelque-
' fois néceffaire.
C ’étoit - le-préfiden t Louvet que Charles V I I
avoit envoyé au comte de Richemont pour lui
offrir, l’épée de connétable. Richemont avoit dès.
fujets d’être mécontent de cet homme, 8t Charles
VII avoit chargé exprès Louvet d’une négociation
qui paroiffoit propre à éteindre le reffenti-
ment que Richemont pouvoit aVoir confervé
contre lui; Richemont accueillit fort bien Iapro-
pofition, 8c reçut fort mal l’envoyé. La première
condition qu’il mit au traité , fut le renvoi de Louvet.
Il y joignitTanneguy du Chatel; à caufe de
l’gffafîinat du pere du duc de Bourgogne. Le roi
promit tout, dans l’efpérance de ne rien tenir;
niais du Chatel lui fit fentir la nécefiité de facri-
^-fier tout à un homme qui pouvoit lui répondre
du duc de Bretagne, & peut-être le réconcilier
avec le duc de Bourgogne ; en conféquence ih fe
condamna lu i4 même à l’exil, 8c partit malgré
toutes les inftances du roi. Le prélident Louvet
11e s’exécuta point de fi bonne grâce, il employa
1 intrigue 8c le pouvoir des femmes, pour refter.
Cependant, le comte de Richemont, qui en acceptant
l’épée de connétable, s’étoit fait donner
des- ôtages 8c des places de sûreté , revenoit de
négocier avec les ducs de Bretagne 8c de Bour-
gogne ; il comptoit ne plus retrouver à fon retour
les miniftres qu’on lui avoit promis d’éloigner ;
il arrive avec des troupes dont Charles avoit be-
foin;,Charles, réfolu de garder fes miniftre?, fuit
devant lui ; Richemont le pourfuit comme un ennemi
qu’on prefie 8c qu’on veut réduire ; dans"
cette conjonâûre toutes les places réputées roya-
•liftes, ouvrirent leurs portes à Richemont, 8c refusèrent
obéifiànce au roi. .
Les miniftres font forcés d’abandonner la cour.
Louvet, en partant, recommande au roi, Giac fon
ami 8ç fa créature, fùfpeél ainfi que fa femme \
-d’avoir trahi le duc de Bourgogne , Jean, à Mon
tereau. Richemont avoit compris dans la proferip-
tion le bâtard d’Orléans ( le comte de Dunois ; )
mais bientôt fur fa réputation de talent 8c de probité,
il le fit revenir , pour montrer qu’il ne pour-
ïuivôit quë le-crime, 8c qu’il étoit l’ami du mérite
, par tout où il le rencontroit. Il ne le rencontra
point dans Giac, qui, pour gouverne»fon
maître, le rendoit invifible, 8c le plongeoit dans
•la molleffe, 8c qui, pour faire échouer les entre-
prifes du connétable, détournoit l’argent deftiné à
la guerre. Richemont étoit accoutumé à fer faire
juftice lui-même ; fans demander au roi une per-
miflion qu’il étoit sûr de ne pas obtenir, il fait
arrêter Giac dans fon lit, 8c entre les bras de fa
•femme, qu’on foupçonne d’avoir trahi Giac, fon
mari, dans cette occafion, comme elle avoit trahi
le duc Jean, fon amant, à Montereaù. Le ro i, informé
dé cette violence, envoya fes gardes pour
délivrer Giac ; il n’étoit plus temps; le connétable,
qui le tenoit en fa puiffance, lui fit faire,
de fon autorité privée, une forte de procès , c’eft-
à-dire, qu’on lui donna la queftion , 8c qu’il avoua
tout ce qu’on voulut. Ce qu’il parût avouer avec
•le plus de fincérîté, ce fut le don qu’il avoit fait
au diable d’une de fes mains, pour parvenir par
fon moyen à la fortune qu’il avoit faite ; il de-
manda inftaminent que l’on commençât .fon fiip-
plice par lui couper cette main , de péur que le
diable n’emportât le corps entier. Telles étoient
les lumières des miniftres 8c des favoris de Charles
VIL
Giac fut noyé à Dun-le-Roi. La dame de Giac
confirma le foupçon qu’on avoit eu de fes intelligences
avec les ennemis de fon mari, en épou-
fant trop peu de temps après la mort de Giac, le
feigneur de la Trémoille, alors ami du connétable.
Le Camus de Beaulieu, ayant fuccédé à Giac dans
la- faveur 8c dans l’abus qu’il en avoit fait, en reçut
encore plus promptement le falaire. Le connétable
-le fit afiafîiner, 8c afîùra le roi qite.c’étoit
pour le'bien de l’état.
Le connétable reconnut une vérité qui n’avoit
pas échappé à Louvet, c’eft que Charles VII ne
pouvoit fe paffer d’un favori, 8c que quand on ne
pouyoit l’être, il fàlloit du moins avoir le mérite
de lui en donner un , ce qui 11’étoit pas difficile.
Louvet lui avoit donné Giac y le connétable lui
donna la Trémoille ; le roi l’agréa, mais il dit au
connétable : beau - coufin , vous me le b a illem a is
vous vous en 'repentire^, car je le connois mieux que,
vous. C ’étoit fe çonnoître lui-même que de fe fen-
tir capable de donner fa confiance à un homme
qui] en jugeoit indigne. La Trémoille ne tarda
pas a vérifier la prédiâion du roi, il parvint bientôt
a rendre fa faveur indépendante du Connétab
le , d ou senfuivit d’abord un mécontentement
îeeret de ce prince, enfuite un refroidiffement
marque ; enfin une haine déclarée entre le connétable
8c la Trémoille.
Il n’y avoit aucun de ces favoris qui ne fût difr
polé a trahir fon maître pour décréditer un rival.
Diac, en arrêtant les fuccès du connétable, en
ne payant pas fon armée, en détournant l’argent
aeltine a fes expéditions, étoit parvenu à le faire
regarder par le roi comme un allié inutile 8c un
general fans talens.
La Trémoille alla plus loin, il-fit paffer Richemont
pour dangereux.
Le duc dè Bretagne, comme nous, l’avons v u :
etoif retourné , quoique malgré lu i, au parti Ànglois;
la Trémoille fit remarquer qu’il étoit.im- .
prudent de confier le commandement des armées
françoifes au frère d’un allié des ennemis. Le roi
frappé de cette réfléxion, crut devoir refufer les
fervices du connétable ; celui - ci parcourant des
provinces royaliftes pour fe rendre à la cour, trouva
fur fon partage' prefque toutes les villes fermées;
il .n’en pourfiiivit pas moins fa route iuf-
qu’à Chinon, où des princes & des grands, ennemis
de la Trémoille, & mécontens de fa faveur
fe joignirent au connétable. Alors la guerre civile
s alluma entre le peu de François qui étoient reftés
attachés au parti dé Charles V I I , dernier malheur
qui manquoit à ce prince, mais qu’il méritoit par
fes complatfances aveugles pour fes favoris ; ce