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efclave fugitif de la maifon de fon maître. Le
goût $ Alcibiade pour les beaux-arts alloit jufqu’à
l’enthoufiame : étant entré dans l’école d’un grammairien
, "il lui donna un foufflet, parce que ce
grammairien n’avoit points d’Homère. Un autre
maître |ui montra un Homère corrigé de fa
main : quoi! lui dit-il, tu te crois capable de corriger
Homère , & tu t’amufes à enfeigner des enfans !
Sa naiffance lui ouvroit le chemin aux plus hautes
dignités, il ne voulut être redevable de fon élévation
qu’à fes talens. Ce fut fur-tout par fon
éloquence qu’il ambitionna de fubjuguer les filtrages.
Une imagination riante & féconde, une prononciation
gracieufe & facile, un gefte noble & décent
lui aflùroient ce triomphe. Egalement jaloux
de plaire au peuple que le fafte ieduit, il nour-
riffoit les plus beaux chevaux pour difputer le
prix dans les jeux de la Grèce , & fes chariots
furpaffoient en magnificence ceux de tous les
rois qui en envoyoient aux jeux olympiques. Il y
fut deux fois couronné , & les villes lui firent de
magnifiques préfens. La réputation de. Nicias , qui
le nirpaflbit en éloquence, choquoit fa fierté. Tout
moyen lui parut légitimé pour le fupplanter ; il
le décria comme le partifan fecret des Lacédémoniens.
Nicias devenu fufpeâ, fut obligé de partager
le commandement avec Lamachus & Alcibiade.
La Sicile devint le théâtre de la guerre. Athènes
épuifa fes tréfbrs pour lever des foldats & des
matelots. L’ardeur de s’enrôler faifoit envifager de
grands fuccès. La diverfité des caraéières des généraux
affoiblit le commandement. Nicias, circonf-
pecl jufqu’à la timidité , voyoit les difficultés fans
découvrir les moyens de les furmonter. Alcibiade
audacieux jufqu’à la témérité , paroiffoit afîuré de
vaincre , s’il pouvoit réfoudre fes collègues à
combattre. Son éloquence les tira de leur affou-
piffement, & leur réveil fut fuivi de la viâoire.
Tandis qu’il triomphoit en Sicile., on l’accufoit à
Athènes d’avoir mutilé les ftatues des dieux , &
d’avoir profané les myftères facrés. Celui que
l ’on avoit révéré comme le héros de la patrie,Te*
vit abhorré comme un facrilège , digne d’expirer
fous le glaive de la loi. Sa religion éfoit fort
fufpeâe ; on l’avoitdéja aecufè de faire fervirdans
fes banquets les vafes facrés qu’on portoit dans les
procédions, & cette accufàtion donna de la probabilité
à la fécondé. Les Athéniens, aveuglés par
leur zèle, fermèrent les yeux fur le cara&ère des
témoins.. Tout fut admis ; rien ne fut difcuté,
parce que la fuperftition fe difpenfe de tout exa*
men. Tous les profanateurs furent condamnés à
la mort. Alcibiade eut ordre de quitter l’armée ,
pour aller fe jutfifier à' Athènes : il s’embarqua
avec fes amis, & affecta une confiance qu’il n’avoit
pas, parce qu’il cortnoiffoit fes ennemis. La
crainte d’être livré à un peuple fanatique , lui fit
prendre le parti de débarquer à Thurium , & de
fe fouffraire à la vigilance de fes conducteurs. Les
Athéniens, furieux d’avoir manqué leur proie ., le
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condamnèrent à mort & confifquérent fes biens.
( Quand il apprit fon arrêt, je leur ferai voir, dit-il,
que je fuis encore en vie. 11 n’étoit pas en effet affez
vertueux pour que fon premier mouvement fût
de pardonner à une patrie injufte & ingrate. Chez
lui la générofité n’étoit produite que parla réfléxion
ou même que par la politique. Il fe retira chez les
Lacédémoniens, ennemis des Athéniens , & les
fervit contre Athènês. Socrate , fon maître, lui
avoit dit plufieurs fois que s’il fe comvproit avec
les jeunes Lacédémoniens il verrait qu’ il n était à leur
égard qu’un enfant ou une femme. Il fe fouvint de
ce mot, & comme il étoit à Athènes le plus voluptueux
des Athéniens , comme il fut depuis
dans les Etats du Roi de Perfe,, le plus mol des
Afiatiques , il fe piqua d’être à Sparte le plus auf-
tère des. Lacédémoniens , il fe baignoit dans l’eau
glacée,jte prenoit que des nourritures groffières,
ne mettoit que les habits les plus Amples. Athènes
s’apperçut bientôt qu’elle l’avoit perdu. ) Les
foldats, privés de leur chef, tombèrent dans l’abattement
: la flotte des Athéniens fut détruite,
& Nicias tomba entre les mains des Syracufains,
qui le firent périr. ( Mais bientôt Alcibiade vit
éclater contre, lui la jàloufie des chefs Spartiates ;
d’ailleurs il lui étoit plus aifé d’adopter des ufages
étrangers & d’y exceller , que de vaincre fes propres
penchans ) ; il féduifit Timée , femme du
roi Agis, qui lui avoit donné l’hcfpitalité. Après
avoir ainfi trahi fon hôte & fon proteûeur , il
crut avoir tout à redouter de fès vengeances , il
fe retira dans le Peloponnèfe, mais les peuples
alarmés de pofféder un homme fi dangereux par
l’art de féduire, confpirèrent fa mort. Alcibiade,
inffruit de leur complot, fe réfugia versTiffapherne,
gouverneur«de la baffe Afie. Sa dextérité, fa fou-
pleffe infinuante , le rendirent bientôt l’ami de fon
nouveau proteéfeur ; & reprenant les fentimens
d’un citoyen , il fe fervit à l’avantage de fa patrie
, de l’afcendant qu’il prit fur le Satrape. Il ménagea
aux Athéniens l’alliance des Perles contre
les Spartiates & leurs alliés , qui n’éprouvèrent
plus que des revers. Quoique comblé d’honneurs
dans une terre d ex il, il foupiroit pour
fa patrie, & les Athéniens défiroient fon retour :
il répondit cependant à leurs propofitions, non
avec la moderne d’un banni, mais avec la fierté
d’un vainqueur qui prefcrit des loix. Il déclara
qu’il fe priveroit de la confolation de revoir fa
patrie , tant que le gouvernement feroit démoçrar
tique, pour ne pas être une fécondé fois la viéiime
d’une populace infolente qui l’avoit fi injuftemènt
perfécuté pendant qu’il la fervoit. Ce fut à Samos ,
au milieu du tumulte du camp , que la conflitur
tion d’Athènes'fut changée. Pifandre, afîuré de l’armée,
fe rendit dans Athènes , où il força le peuplé
à remettre l’autorité illimitée entre les mains dé
quatre cens nobles, qui, dans des circonflances-crir
tiques, feroient obligés de convoquer cinq mille
citoyens, pour délibérer fur les befpins de l’état.
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Les nobles envahirent tout le pouvoir, & Alcibiade,
(dont ils redoutoient les talens, ne fut point rappelle,
les prifons furent remplies de citoyens généreux.
Athènes eut autant de bourreaux qu’elle eut de ty rans.
L’armée apprit avec indignation que le peuple
avoit été dépouillé de fes privilèges. Les foldats, qui
étaient citoyens, dépofent leurs généraux & rappellent
Alcibiade, Le peuple confirme leur choix, &
d’une voix unanime il eft élevé au commandement.
Il ne voulut point que fon rappel fut regardé comme
une grâce , & i l ne rentra dans fa patrie que fuiv
i de la vi&oire. La ï or tune ne l’abandonna point
pendant cette campagne , & les Peloponéfiens furent
obligés de lui céder l'empire delà mer. Alors,
il fe,montra dans Athènes, précédé des prifon-
niers qu'H avoit faits. Les dépouilles 8t les débris
de deux cens vaiffeaux ornoient fa pompe triomphale.
Les Athéniens attendris fe reprochoient les
outrages qu’il avoit effuyés. Cette ivreffe d’admi-
aration fut bientôt difîipée ; le peuple reprit bientôt
fon efprit d’Offracilme & confidéra moins ce
qu'Alcibiade avoit fait que ce qu’il pouvoit faire ;
on fe mit à interpréter toutes fes aéfions de la manière
la plus finiftre. S’il s’arrêtoit dans fes conquêtes
ou s’il éprouvoit quelques légers revers, il
étoit corrompu par l’ennemi & d'intelligence avec
lui. Après une viâoire complette remportée près
d’Andros, il ne put fe rendre maître de cette île ;
le peuple éclata en murmures. On lui faifoit un
crime d’une lenteur qu’on ne devoit attribuer qu’à
l’épuifement des finances ; il étoit fouvent forcé
de quitter fon armée pour aller chercher de l’argent
& dés provifions. Pendant une de ces ab-
fences fon armée fut défaite ; il fut accufé d’être
fauteur de ce défaftr.e, & de ne s’être éloigné de
la flotte que pour fe livrer à des débauches. On
le peignit comme un exa&eur qui parcouroit les
provinces pour s’ enrichir de leurs dépouilles; on
allégua qu’il avoit fortifié une citadelle près de
Bizarrce, où il dépofoit fes tréfors , & d’où il fe
, flattoit de braver les vengeurs des loix & du public.
Il fut deflatuè du commandement, & le peuple
vomit ^contre lui mille imprécations. Il fentit
te danger de rentrer dans fa patrie,, & raffemblant
avec lui fes amis , il forma une armée d’avantu-
ries qui s’attachèrent à fa fortune. Il porta la guerre
dans laThrace,où il conftruifit trois citadelles pour
s’oppo Ter aux incurfions des barbares. Plufieurs petits
-rois recherchèrent fon alliance ; & fa facilité à fe plier
aux moeurs & aux ufages étrangers, leur fit prefque
oublier qu’il étoit né dans Athènes. Les généraux
qu’on lui avoit fubftituès, étoient fans talens &
fans expérience. Leur armée fans ordre & fans
difcipline , bravoit les Spartiates qui affeéloient de
Ja craindre. Alcibiade fe fouvint qu’il étoit Athénien,
& fe trouvant dans le voifinage des deux armées,
il fe rendit auprès des généraux Athéniens, auxquels
il daigna donner des confeils ; ils crurent
s ’en avoir pas befoin , ils l’écoutèrent avec,
mépris , & l’un d’eux nommé Tidée , lui or-
Hijloire. Tom, L
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donna de s’éloigner au plutôt du camp. Il alla
chercher un afyle auprès du Satrape Pharnabafe,
& quoiqu’éloigné de la Grece , il _ n’en parut
pas moins redoutable aux Lacédémoniens. Lyfan-
dre , leur général, le fit demander mort ou
v if au Satrape, qui ayant alors befoin d’eux , eut
la baffeffe de condefcendre à fes defirs. Les droits
. de l’hofpitalité furent violés pour fervir la politique.
Ceux qui furent envoyés pour arrêter Alcibiade
, n’ofant entrer dans, la maifon , y mirent le
feu. Alcibiade en fort l’épée à la main. U n Ravoir
avec lui qu’un ami & une femme, qui s’e-
toient affociés à fes deftinées. Les barbares n’ofent
en approcher , ils lui lancent de loin une^ grêle
de dards, & il tombe percé de coups à l’âge de
quarante ans. Cet homme fingulier qui fervit
fa patrie , dont il fut prefque toujours perfécuté
, eut des talens réels , mais il n’eut que
le faffe des vertus. On prétend qu’il étoit père de
la célèbre Laïs , qui eut en partage fes grâces 8c
fa beauté. Quelques - uns difent que Pharnabafe
& les Lacédémoniens n’eurent aucune part a fit
mort, ils l’imputent à deux frères dont il avoit
féduit la foenr, & qui, pour venger l’outrage fais
à leur famille, mirent le feu à fa maifon. {T-N.j
ALCIONIUS, ( P ie r r e ) ( Hifî. mod.) Italien
de nation, né à Yenife, où il fut d’abord correcteur
d’imprimerie du célèbre Aide Manuce, fut
enfuite profeffeur en grec à Florence. On a dit
qu’ayant entre les mains le feul manufcrit qui
exiftât, du traité de Cicéron de gloriâ, il en prit
tout ce qui lui convenoit pour Ion ouvrage intitulé
de exilio, & que pour cacher fon plagiat,
il jetta au feu ce manufcrit unique. On a fait le
même conte de quelques autres auteurs. Ce traité?
de exilio, imprime à Venife en 152.2., in-4®. l’a
été depuis , par les foins de Mencken , à Leipfick ,
en 1707, in-12. fous le titre d'Analefta de calamitate
litteratorum. Aleionius, protégé par le Pape Clément
V I I , de la maifon de Médicis, perdit cette
prote&ion , pour avoir embraffé le parti des Colonnes
, ennemis du Pape , ce que nous obfervons
à caufe du rapport que cette difgrace peut avoir
avec fon traité de exilio.
ALCÏPHRON , (Hifi. anc. ) C ’eff le nom de
deux perfonnages qu’il ne faut pas confondre, dont
l’un etoit un philofophe célèbre du temps d’A lexandre
, l’autre un auteur G rec, dont nous avons
quelques épîtres. On ignore dans quel temps vi-
voit ce dernier.
ALCIPPE , {Hifl. anc.') Lacédémonien, exilé
de Sparte, par ce principe d’Oflracifme qui fert
& nuit aux républiques. Démocrita, fa femme ,
& deux filles qu’ils avoient, fe voyant réduites à
la misère, & n’ayant pu le fuivre, parce que le
magiftrat les en empêcha, ne prirent plus confeil
que du défefpoir ; un jour que la folemnité d’une
fête attiroit le peuple en foule dans un temple,
elles y mirent le feu , & voyant qu’elles alloient
être mifes en pièces par le peuple, qui avoit promj>