
Marie d1Anjou fut s’en faire une amîê utile. Toutes
deux furent utiles à.Charles V I I , l’une par la prudence
de fes confeils, l’autre par l’élévation de fes
feminiens.
Les. deux derniers fils de Henri I I , ont porté
le titre de ducs d'Anjou', l’un a été le roi Henri I I I ,
l’autre avoit été connu long-temps fous le nom de
duc d’Alençon ; celui - ci eft afîez maltraité dans
les mémoires de Sully , Henri IV , ne l’aimoit ni
ne l’eftimoit ; il paroît que ce duc d’Alençon-^/yW
n’eut jamais de principes bien fixes de religion ni
de politique. Il n’avoit jamais eu pour les huguenots
le même éloignement que fes frères ; il avoit
toujours montré de l’attachement & de la vénération
pour l’amiral de Coligny, & faifoit gloire de
fe conduire par fes avis ; Catherine de Médicis Ta
mère, lui en avoit fouvent fait la guerre , &
après la mort de Coligny, ayant vu dans les papiers
de cet amiral , parmi d’autres projets politiques,
un confeil qu’il donnoit à Charles IX , de
ne point accorder d’appanage trop confidérable au
duc d’Alençon , elle triompheit d’avoir trouvé ce
moyen de faire haïr au duc la mémoire de l’amiral.
« Voilà lui d it - e lle , des confeils de votre
w ami. » Je ne fais pas, répondit le duc d’Alençon
, » s’il m’aimoit beaucoup , mais je fais que ce
*> confeil eft d’un homme qui aimoit l’Etat. » Cette
céponfe eft d’un homme digne aufii d’aimer l’Etat.
On voulut, fur la fin du règne de Charles IX,
enlever, de leur confentement, le duc d’Alençon,
le roi de Navarre (HenrilV. ) & le prince de Condé,
fon coufin, pour les mettre à la. tête du parti des
politiques ; c’eft ce qui s’appella la conjuration de
S. Germain , dont il paroît que le véritable objet
étoit d’empêcher, à la mort de CharlesIX, le retour
du roi de Pologne Henri m , en France, &
d’aflurer la couronne au duc d’Alençon, Je le fais
bien dit Brantôme, pour avoir été convie à la fri-
cajfée. La cour en ayant eu avis, fit mettre le duc
d’Alençon & le roi de Navarre à Vincennes, les
maréchaux de Montmorenci & de CofTé à la baf-
tille , le prince de Condé prit la fuite, la Mole
& Coconas eurent la tête tranchée.
Le duc d’Alençon & le roi de Navarre furent
Interrogés , le duc répondit avec l’embarras &
la timidité d’un coupable convaincu ; le roi de Navarre
confondit la reine - mère par fes raifons & 3a fit rougir par fes reproches ; on étoit fi accoutumé
aux' violences fous ce règne, que l’emprisonnement
du frère du roi, & d’un roi fon beau-
frère , parut un événement ordinaire ; ils étoient
tous deux étroitement refferrés ; on leur permet-
toit feulement d’aller tant qu’ils vouloient dans la
chambre des filles de la reine - mère , car les voies
de corruption étoient toujours ouvertes.
Le Laboureur , dans fes additions aux mémoires
de Caftelnau, rapporte que le duc d’Alençon , pendant
fa captivité, avoit complotté avec le roi de
Navarre d’étrangler de fes mains fa propre mère *
lorfqu’elle viendroitdans leur chambre.Quelque invraisemblable
que foit une telle atrocité de la part
d’un fils , il eft plus invraifemblable encore que
le roi de Navarre ait pu y confentir un moment,
comme le dit le Laboureur , qui du moins fait
honneur à leur prompt repentir de l’inexécution
du complot.
Le duc d’Alençon voulut, d it-on , aflafliner
Henri III, le roi de Navarre l’en empêcha ; mais
Henri III étant tombé malade, on lui perfuada
que le duc d’Alençon l’avoit empoifonné ; il le
crut d’autant plus aifément que fa maladie étoit
un mal dans l’oreille , pareil à celui dont François
II étoit mort. Dans cette idée, il voulut à
fon tour faire aflafliner le duc d’Alençon par le
roi de Navarre : « En me vengeant, lui d it- il,
» vous montez au trône ». Le roi de Navarre fit rougir'Henri
m , & de la propofition , & du motif
dont il l’appuyoit-
Le duc d’Alençon s’échappa de la cour, & fut
joint à l’inftant par toute la nobleffe proteftante
& politique. Le prince de Condé lui amena d’A llemagne
vingt mille hommes , dont il lui remit le
commandement. Quand le duc d’Alençon fe vit
à la tête d’une armée fi nombreufe , il jura de
venger la Mole ; il avoit confervé un des habits
de fon malheureux favori, & devoit le porter un
jour de bataille. Telles étoient les idées qui occu-
poient ce prince , à-qui la moitié de l’état confioit
alors les intérêts les plus chers, ceux de fa religion--
& de fa liberté.
Rien ne peint mieux l’efprit machiavellifte de
ce temps-là, que l’idée généralement répandue
alors , que c’étoit Cathérine de Médicis qui avoit
favorifé l’évafion du duc d’Alençon, pour fe rendre
néceftaire par la confufion même des affaires, pour
fe procurer une plus ample matière à négociations>
ou pour femer la divifion & la défiance dans le
parti proteftant. Il paffa pour confiant que le dua
de Nevers, envoyé à la pourfuite du duc d’Alen-*
çon, eût pu lui couper le chemin, & le ramçnéf
à la cour; mais que Catherine l’en empêcha, en
affeâant les foibieffes d’une mère, & la crainte que
fon fils ne pérît dans le combat.
Elle couroit par - tout après ce fils quelle appel-
loit fa brebis égarée, elle négocioit fans ceffe avec
lui, pour le rendre de plus en plus fufped aux
proteftans.
Vers le meme temps, le roi de Navarre fe fauva
aufii de la cour ; ainfi la reine-mère eut plus d’affaires
qu’elle n’en vouloir peut-être ; cependant elle
fut profiter habilement des divifions que les intrigues
des filles de fa fuite avoient depuis long-temps
lemées entre ces princes ; de" la jaloufie* fecrette
que le duc d’Alençon commençoit à fentir de voir
le roi de Navarre, fon rival de gloire, prêt à l’éclip-
fer; du mécontentement couvert qu’avoit le prince
de Condé de n’être plus qu’au fécond rang dans
l ’armée proteftante, après x avoir en partie formée
& s’être long-temps flatté d’en être le chef. Plus
unis, ces princes euflent été plus en état de faire
la loi , ils la firent encore malgré leurs défiances
mutuelles ; la paix qu’on leur accorda ou plutôt
qu’ils accordèrent, fut bien plus favorable que les
précédentes à la caufe publique du proteftantifme,
& aux intérêts particuliers des chefs. Ce ne fut pas
pour rien qu’on l’appella. la paix de Monfieur, elle
lui valut le B e r ry , la Touraine & l’Anjou , en
augmentation d’appanage, & ce fut alors que le
duc d’Alençon prit le titre du duc d'Anjou. Il faut
convenir ou qu’il avoit oublié fa réponfe au fujet
de l’amiral de Coligny, ou qu’il y a bien loin d’un
beau mot à une belle a&ion.
La guerre civile recommença en 1576, & ce
même duc d'Anjou, qui, dans la guerre précédente
avoit été le chef du parti huguenot, fut dans
celle - ci le chef du parti catholique. Si l’on cherche
la caufe de ce changement, c’eft que le prince
de Condé s’amufoit à contrefaire le duc d'Anjou &
à lui donner du ridicule , ou plutôt c’eft que le
duc d’Anjou étoit jaloux du roi de Navarre & du
prince de Condé, c’eft fur-tout qu’il fentoit que
ces princes l’eftimoient peu.
Les Flamands révoltés contre Philippe I I , après
avoir appellé à leur fecours divers princes, jet-
tèrent les yeux fur le duc d’Anjou ; Henri III
n’approuvoit pas que le duc (JAnjou fe mêlât des
affaires des Pays - Bas , il l’avoit même fait arrêter
pour rompre le cours de ces négociations ; mais le
diïc dé Anjou fe fauva & fe retira en Flandre ; il fut
folemnellement élu fouverain des Pays - Bas, au
mois de février 1582. On dit qu’il montra peu de
fatisfa&ion, lorfque dans la cérémonie de fon cou-
fonement , il entendit publier à haute voix qu’il
gouverneroit, non félon fa volonté ; mais félon la
jufîice, & conformément aux privilèges de la nation.
Ce n’étoit prefque pas la peine de rejetter
Philippe I I , pour prendre lin prince qu’une- pareille
condition effarpuchoit déjà ; il fut inftalé par
le prince d’Orange, qui fe contenta du titre de fon
lieutenant-général ; on peut croire que le lieutenant
veilloit fur le nouveau fouverain, & qu’il avoit
bien plus que lui la confiance des états.
Il arriva un évènement qui mit un moment en
danger le duc d’Anjou & les François. Le prince
d’Orange fut affafliné chez lui en fortant de table,
& Faffaffin fut à l’inftant même maflacré par les
François qui étoient préfens, & qui fuivirent trop
les mouvemens indiscrets de leur indignation.
Ces circonftances étoient faites pour être fuf-
pedes; on crut que cet affaflin étoit un françois ,
& qu’il avoit été afiafiiné par fes complices ; on
crut qu’un tel coup en annonçoit d’autres, & que
le duc d’Anjou rouloit affermir fa nouvelle domination
par un maflacré général de tout ce qui lui
faifoit ombrage ; depuis la faint Barthelemi, les
François étoient fouvent expofés à ce foupçon.
Heureufement pour eux , le fils du prince d’Orange
fit fouiller l’aflàflin ; ©n trouva fur lui des lettres ,
qui fiî'êlït cônrioître qu’il fe nomntoit Jauréguy,
qu’il étoit efpagnol, & qu’il avoit agi par l’infti-
gation de l’Efpagne. Le prince d’Orange ne mourut
point de la blenure qu’il avoit reçue en cette oc-
cafion ; mais il ne put échapper aux émiffaires de
l’Efpagne ; deux ans après, un franc comtois, nomme
Balthazar Gérard , acheva ce que Jauréguy
avoit commencé.
Dans l’intervalle du premier de ces attentats au
fécond , éclata la conjuration que le duc d'Anjou
lui-même avoit formée contre le pays qui venoit
de lui confier la défenfe de fa liberté ; il voulut
ufurper une autorité indépendante de toutes les
conventions, & fupérieure à toute réfiftance. Pour
y reuflir , il falloir commencer par s’emparer à la
fois de toutes les places fortes, & fur - tout de la
perfonne du prince d’Orange ; l’entreprife réufiit
fur quelques villes & manqua fur quelques autres :
le point important étoit de fe faifir d’Anvers , lieu
de la réfidence du duc d’Anjou & du prince d’O -
range ; les mefures du duc d’Anjou paroifloient bien
prifes, fon armée campée à la porte de la v ille,
& inftruite de fes deflèins, attendoit le fignal ; le
jour marqué pour l’exécution, le prince d’Orange
va rendre une vifite au duc d’Anjou, & le trouve
tout prêt à fortir avec fes gardes, fous prétexte
cl aller voir fon armée ; il l’exhorte, & même avec
infiance, à ne point fortir ce jour là ; il allégée
des mouvemens extraordinaires qu’il a remarqués
parmi le peuple , & dont il faut démêler la caufe ;
le duc d’Anjou ne pénétrant pas le vrai fens de ce
confeil, s’obftine à fortir, lelcn fon projet ; fes
gardes vont ouvrir une -porte du côté du camp,
le fignal eft donné, une partie de l’armée entre
dans la v ille , & déjà on entend crier : Tue, tue,
vive la. meffe & ville gagnée. Auflï-tôt , comme fi
Ion n’eut attendu que le moment de convaincra
les François de leur perfidie , les bourgeois fortent
de leurs maifons en armes, les femmes paroifîent
aux fenetres avec des pierres & des morceaux de
bois qu’elles font pleuvoir fur les François ; les
chaînes font tendues dans les rues, les troupes du
princé d’Orange s’emparent des poftes les plus
importans, les François repou fies fuient vers la
porte par où ils font entrés; ils y trouvent le refle
de leur armée qui vient à leur fecours ; l’effort que
font les uns pour entrer, les autres pour fortir ,
eft caufe qu’au lieu de fe fecourir, ils s’écrafent 8c
s’étouffent les uns les autres; l’ennemi , en les
preffant, augmente le défordre ; d’autres voyant
ce chemin ferme a la fuite, fe précipitent en foule
du haut des remparts : le duc d’Anjou prenoit
plaifir à les voir ainfi fauter dans les fofies., croyant
que c’étoient des bourgeois ou desfoldars flamands.
Quand il eut reconnu que c’étoient fes propres
foldats , il n’eut que le temps de fe fauver lui-
même , laiflant quinze cents de fes François
officiers & foldats, morts fur la place, & deux
mille autres enfermés fans aucun efpoir defalut-.
Fer vaques, fon lieutenant, le principal auteur, &