
diens ; prefque nuds, ils fe lavent rarement ; leurs
armes ordinaires font de longues piques, des
bâtons, ou de mauvais fabres. Lorfqu’ils veulent
voler avec adreffe , foüvent ils vont fans aveu.
Comme on ne leur fait point de grâce, l'orfqu’ils
font pris , ils maffacrent toujours ceux qui tombent
entre leurs mains, fur-tout les Européens, à ce
qu’affure M. de la Flotte dans fes ejfais hiftoriqii.es
fur l ’Inde., in-12, à Paris chez Hériffant, 1769.
( V, A. L. )
CALIFE, {Hift. des Arabes. ) ce nom, qui figni-
fie vicaire, fut donné aux fucceffeurs de Mahomet ;
& comme la conftitution de l’empire nouvellement
formé, étoit également religieufe & politique, le
calife étoit un pontife roi qui tenoit dans la même
main l’épée & l’encenfoir. Mahomet en mourant
n’avoit point laiffé de fils qui pût être l’héritier de
fa puiffance ; Fatime, la feule de fes enfans qui
lui eut furvécu, avoit époufé Ali le plus proche
parent du prophète ; ces deux titres fembloient lui
aflurer une dignité qu’on ne pouvoit transférer dans
une famille étrangère fans outrager la mémoire de
l'envoyé de Dieu. ' Abu-Beker ou Abou-Bekre &
Omar, chefs d’une feCtion puiffante, trouvoient l’humeur
d’A li trop libre & trop enjouée pour en impofer
à une feCte naillante , toujours plus frappee d un
extérieur auftère que de l’éclat des talens : ils re-
préfentèrent que le droit de commander à une
nation belliqueufe n’étoit point un privilège de la
naifiance ?, d’autant plus que les enfans des héros
étoient rarement les héritiers de leurs talens, &
que c’étoit aux braves guerriers, formés l’école
du prophète, à défigner urt fucceffeur qui fut digne
de lui & cfeux, pour les conduire à la viâoire.
L’un étoit refpeaé du peuple par une fegeffe
foutenue, par des moeurs pures, & fur-tout par
fon attachement fanatique à la do&rine nouvelle.
L’autre, auffi. grand enthoufiafte, avoit le coeur
des foldats témoins de fes a&ions héroïques, &
de fon courage porté jufqu’à la férocité. La milice^
S’affemble tumultuairement ; la multitude confondue
avec elle demande un fucceffeur, & Abu-
Beker efi proclamé; Omar , ne pouvant s’oppofer
à ce choix, fe fait un mérite de fon obéiffance ; il-,
eft le premier à le reconnoître ; il fe profterne à
fes genoux, & le ceint de l’épée du prophète. Ce
facrifice ne lui coûta pas beaucoup : il prévoyoit
que le nouveau calife , plus epuife encore de fatigues
& d’aùftérités que d’années , laifferoit bientôt
le trône vuïde. Ali fut le feul qui ne voulut
pas le reconnoître ; Omar furieux inveftit fa maifon
a la tête d’une troupe d’affaifins ; c’étoit toujours
le fabre à la main qu’il aimoit à terminer les
différends : Ali auffi brave que lu i, ‘ mais d’un
courage plqs éçlairè, confient à reconnoître le
çalife.
Abu-Beker accepta cette dignité, moins par ambition
? que pour affurer le triomphe de la religion,
dont lés intérêts remis en d’autres mains lui pa-
fôiffoiént en danger. Humble dans fon élévation,
il ne voulut fe rendre recommandable que par fon
refjpeét pour la mémoire du prophète, & quand il
montoit,en chaire, il ne fe plaçoit jamais dans le
plus haut dégré , pour faire un aveu public de fon
infériorité. Son tempérament affoibli par les auf-
térités , fon vifage décharné par des jeûnes outrés ,
fa phyfionomie trille redoubloient la vénération
pour lui, parce qu’on les regardoit comme autant
de témoignages de la fainteté de fes moeurs;
étranger fur la terre, il étoit fans attachement pour
tout ce qui allume la cupidité : fobre & frugal, les
mets les plus communs lui paroiffoient une nourriture
trop fenfuelle : il étoit fi défintéreffé, qu’à
fa mort on - ne trouva que trois drachmes dans
fon tréfor ; le relie de fes effets fut évalué à cinq ,
qu’il ordonna de dillribuer aux indigens. Ces vertus
privées fembloient mieux convenir à un chef de
derviches, qu’au conducteur d’un peuple guerrier ;
mais il avoit les moeurs du moment, & avec des
inclinations plus relevées, il eût peut-être renverfé
l’édifice qu’il affermit ; quoiqu’il eût du courage
& de la capacité pour la guerre, il en laiffa le foin
à fes généraux; & tandis quefédentairedans.Mé»
dine, il préfidoit à la police .civile & religieufe ,
fes lieûtenans foumettoient quelques -contrées de
l’Arabie que leur obfcurité avoit dérobées à l’ambition
de Mahomet. Les mufulmans n’ayant plus
rien à conquérir dans leur pays, portèrent leurs
armes dans la Paleftine qui fut contrainte de paffer
fous leur domination. Héraclius tâche d’oppofer
une digue à ce torrent prêt à fe déborder fur les
plus belles provinces de fon empire : il lève une
armée nombreufe, qu’une difcipline exaéte fembloit
rendre invincible ; les Romains engagent une action
meurtrière ; & quand ils croient n’avoir affaire
qu’à une multitude confufe & fans ordre , ils
font furpris d’avoir à combattre des animaux féroces
qu’un inftinét brutal précipite dans, les périls, également
indifférens à donner ou à recevoir la mort;
leur étonnement glace leur courage ; ils fe précipitent
dans l’Euphrate qui les engloutit fous fes
eaux, & la Syrie tombe au pouvoir de ces fanatiques
qui en font le fiège de leur domination. Ce
fut ainfi qu’Abu-Beker, fans end,offer la cuiraffe, ,
par fon difcernement dans le choix de fes généraux,
recula les limites de fon empire par la conquête
de la Syrie & de la Paleftine ; il y eût fans doute
donné de plus grands accroiffemens , fi la mort ne
l’eût enlevé après un règne de deux ans- & quelques
mois.
.Omar, dé.figné fon fucceffeur,.témoigna d’abord
avoir de là répugnance pour une dignité que fon
ambition dévoroit en fecret ; il parut ne fe rendre
qu’aux voeux unanimes de l’armée qui le proclama
empereur ou commandant des fidèles, titre qu’il
prit & qu’il tranfmit à fes fucceffeurs. Dès qu’il eut
le front .ceint du diadème» il fe fit une grande
métamorphofe dans fes moeurs. Jufqu’alors il n’a?
voit refpiré que les c.ombats & le fang : fon ca-
ra&ère féroce s’adoucit, & au lieu de s’armer de
l’êpéè, i l fe confacra tout entier aux fonctions
pacifiques de l’autel ; mais toujours animé de l’efprit
de Mahomet , il fe fentit également embrâfé de
l ’ambition des conquêtes. Dans ce fiècle de guerre ,
il s’étoit formé des capitaines qui avoient fubftitué
une difcipline régulière aux mouvemens tumultueux
d’une milice qui jufqu’alors n’avoit eu que
du courage. Omar met à la tête de fes armées des
généraux qui aimoient la guerre -, qui fevoient la
faire , & dont les projets bien concertés affuroient
le fuccès. Ce. fut contre les Perfés que les Mufulman
« tournèrent leurs armes. Ils s’avancent vers ;
l'Euphrate pour déloger l’ennemi des poftes qu’il
«ccupoit. Arrivé devant Cadefie , ville fituée à
l ’extrémité des déferts de l’Irax , ils y livrent une
bataille mémorable où trente mille Perfans reftent
fur la place. Cette bataille que les Mufulmans comparent
à celle d’A rbelle, fut vivement difputée :
la . capitale & la plupart des provinces de Perle
fubirent la loi du vainqueur. L’alcoran fut place
fur l’autel où brûloit le feu focré des mages ; les
fortereffes furent démolies : les moeurs antiques
effuyèrent une révolution rapide, & des barbares
di&érent des loix fur le trône des dominateurs de
TAfie.
Une autre armée de mufulmans attaque les Romains
jufques dans le centre de leur empire. Kaleb,
grand capitaine & mufulman fanatique, les rencontre
entre Tripoli & Hatran , il anime fes foldats -
en leur difant : «Ne redoutez rien , le paradis eft
fous l’ombre de vos épées » 1 Ils engagent une
aétion & ils font vainqueurs; le butin fut im-
menfe, chaque foldat n’eut plus de misère à craindre
pour le refte de fe vie. Ce fut là qu’on vit éclater
.ce zèle fanatique , qui faifoit connoître que l ’ef-
prit de Mahomet préfidoit encore au milieu d’eux.
.On fut que plufieurs foldats avoient trangreffé la
défenfe de boire du vin ; on prononça une peine
de quatre-vingt coups de bâton contre les prévaricateurs
: le général, qui ne pouvoit exécuter fon
arrêt, parce qu’il ne connoiflbit pas les coupables,
les invita à faire un aveu de Leur faute : ces fanatiques
affurés d’être punis furent leurs propres
accufefeurs, & fe fourniront fans murmurer à un
châtiment qui expioit leur faute. Emèfe & plufieurs
autres villes confidérables ne prévinrent leur ruine
que par une prompte foumiffion : les unes furent
Livrées par des traîtres, d’autres payèrent des
fommes auffi. confidérables que fi elles euffent été
abandonnées à l’avarice cruelle du foldat, après un
affaut. Le nouvel empire, élevé fur les débris de
ceux des Perfes & des Romains, prenoit chaque
jour de nouveaux accroiffemens. Mais tant de
Victoires ne font point connoître le calife qui ne
triomphoit que par fes lieûtenans. C ’eft dans les
détails de fa vie privée qu’il faut defeendre, pour
développer fon caraCtère. Sa tempérance fut un
jeûne févère & perpétuel ; il rie fe nourriffoit que
de pain d’orge, où il mêloit un ~peu de fe l, &
fouvent il fe privoit de cet affaiffonnement, pour
Hiftoire, Tom, I. Deuxième Part,
ne pas trop accorder à fes fens. Les pativres & les
grands étoient admis indiftin&ement à fa table, qui
étoit une école de frugalité, dont les rigides Spartiates
auroient admiré la fimplicité; mais il etoit
glorieux de manger avec un pontife roi. Ses habits
étoient fales & déchirés, & la multitude en ra.~
maffoit des lambeaux qu’elle révéroit comme de
précieiifes reliques ; & quoique couvert de haillons
, dégoûtons, il étoit plus refpeété que les' rois revêtus
de la pourpre. Il pouffa fon amour pour la juftice
; jufqu’à la dureté ; les richeffes & les dignités n’é-
toierit point un titre d’impunité. Juge incorruptible
, il frappoit de la même verge l’oppreffeur &
le foible coupable. Fidèle obfervateur des traités,
il puniffoit fes lieûtenans convaincus d’avoir violé
la fainteté de leurs fermens. Les habitans de Jéru-
falem ne voulurent recevoir les articles de leur
capitulation que de fes mains, tant ils avoient de
confiance dans fa bonne foi. Il s’y rendit, & perforine
n’eut à fé plaindre. On fut étonné de voir
le chef d’un .peuple de conquérans fans aucun attribut
diftinttif. Sa manière d’être vêtu auroit été rebutante
dans un homme de la condition la plus abjeâe; on eut
dit qu’il eût voulu ériger ia mal-propreté en vertu.
Quoiqu’il fut humain & populaire, il exigeoit une
obéiffance fens réplique. Inacceffible à la crainte
& à la défiance, il ne pouvoit s’imaginer qu’il eût
des ennemis, & qu'il pût s’élever des rebelles.
Sans légions dans Médine il diéloit des ordres à fes
généraux qu’il deftituoit à fon g ré, quoiqu’ils fuffent
à la tête des armées dont ils étoient les idoles. Ils
fe foumettoient fans murmure aux caprices de leur
maître , & faifent confifter leur gloire dans l’obéif-
fence, ils devenoient les lieûtenans refpe&ueux de
leurs fucceffeurs.-Sa taille haute, fon teint brun,
fe tête chauve, fon maintien auftère, fe décence
grave & réfervée infpiroient plus de refped que
d’amour; mais s’il fut craint, il ne fut jamais haï.
Obfervateur fcrupuleux des cérémonies les plus
minutieufes de fa religion , il eut cette piété crédule
& bornée, qui dans un homme obfeur &
privé, eft un frein contre la licence des penchans,
& qui dans l’homme public , annonce l’incapacité
de gouverner. Il fit neuf fois le pèlerinage de la
Meque pendant fon règne qui fut de dix ans;
quoique fans éloquence de ftyle, il étoit véhément
& pathétique ; & comme il paroiffoit pénétré des
maximes qu’il annonçoit, il les infinuoit fans effort
; auffi fe livra-t-il à la manie de prêcher ; &
tandis qu’il vivoit obfeur à l’ombre de l’autel, fes
lieûtenans par-tout victorieux, formèrent le plus
grand empire du monde ; le Tigre, le Nil & l’Euphrate
coulèrent fous fes loix. Les rivages du
Jourdain furent foulés par des vainqueurs barbares,
qui enlevèrent aux juifs & aux chrétiens le berceau
de leur foi. Enfin, la Paleftine , l’Egypte , le Kora-
zan, la Perfe, l’Arménie , & plufieurs vaftes régions
de l’Afrique, rie furent plus que des provinces
de l’empire mufulman. Ainfi quoiqu'il n’eût
que du zèle fans lumière & fans talent, fon règne
Y y y y