dans cette tragédie , ç’étoit s’annoncer pour un
mauvais citoyen : la haine & l’aigreur tirèrent un
grand parti d’un fi beau prétexte : on voulut op-
pofer le poète qui faifoit aimepffa patrie , aux pni-
îofophes qui avoient plaidé la caufe de l’humanité
entière.
Le Siège de ' Calais fut compté à l’auteur de
Zelmire pour deux fuccès, & il remporta la médaille
dramatique promife par le roi en 1758 aux
poètes qui feroient couronnés trois fois au théâtre
par lesluffrages du public. M. de Belloi eft lefeul
qui • ait obtenu cette médaille , dont l’idée eft aufli
heureufe que l’objet en eft utile. Apollon tient un
rouleau fur lequel font écrits les noms de Corneille
, de Racine , de Molière ; un repli du rouleau
paroît couvrir les autres noms dignes aufli
d’être propofés pour exemples ; cette infcription
ingénieufe ;
Et qui nafcentur ab illis.
femble achever la lifte, ou plutôt la fupplée.
La ville de Calais adopta M. de Belloi pour citoyen,
& plaça fon nom dans les regiftres publics;
les lettres de citoyen que Calais envoyoit à M.
de Belloi, étoient renfermées dans un boëte d’or
aux'armes de la v ille , avec cette infcription :
Lauream tulit , civicam recipit.
Le Siège de Calais fert d’epoque à la retraite
d’une aéhrice illuftre, qui n’avoit pas peu contribué"
aux fuccès de M. de Belloi, & qui laiffa pour un
temps un grand vuide dans la fcène tragique.
( Mademoifelle Clairon. } Le public, après les vacances
de piques ( 1765 ; reportoit au théâtre le
même empreffement qu’il avoit d’abord témoigné
pour le Siège de Calais. Un événement imprévu
trompa fes efpérances ; cette pièce , quoiqu’affi-
chèe pour la rentrée, ne put absolument être jouée.
Les fpeâateurs ne voulurent pas du moins que le
Siège de Calais fût luppléé. Le nom de Calais répété
avec acclamation, & oppofé conftamment
aux efforts que tentèrent les a&eurs pour faire entendre
une autre pièce, tint lieu ce jour-là dé
Ipe&acle, & attefta la prédilection du public pour
cette pièce patriotique.
On la crut propre à réveiller ou à nourrir dans
le peuple même les fentimens qu’il doit au monarque
& à la patrie : on en donna une repréfen-
tation gratis qui parut en effet remplir les vues du
gouvernement.
Mais c’eft fur-tout parmi les militaires que l’heu-
reufe influence de cette pièce fe fit fentir : tous
les corps s’empreffèrent de la jouer, tous les particuliers
de l’apprendre par coeur. La renommée
porta cet ouvrage au-delà des mers : il eut en
Amérique le même fuccès qu’en France ; le Siège
de Calais eft la première piece de théâtre qui ait
été imprimée dans l’Amérique frànçoife,
Il falloit que le fort du Siège de Calais paffât par1
tous les extrêmes , avant de fe fixer. M. de Belloi
éprouva l’inconftance frànçoife ; il fût trop puni
d’avoir été trop exalté : à l’engouement général
fuccéda un déchaînement , qui eft peut - être un
nouveau titre de gloire. La mode fe tourna pour
un temps contre le Siège de Calais ; la critique
remplaça l’éloge , & fouvent dans les mêmes bouches
& fur les mêmes objets : ce fut l’effet de la
hauteur indifcrète avec laquelle quelques perfonnes
à la cour avoient paru vouloir forcer les fuffrages.
A ce defpotifme d’autorité , on oppofa un defpo-
tifme d’opinion ; il ne fut plus permis de louer Se
Siège de Calais, parce qu’il n’avoit pas été aflez
permis de le critiquer. Alors, par une révolution
fingulière, fe vérifia ce qu’avoit dit un homme de
lettres à un homme de la cour, qui dans le temps
du grand fuccès du Siège de Calais , s’étonnoit qu’dn
ofât fe permettre quelques objeélions contre cette
pièce : Nous la défendrons un jour contre vous-
mêmes.
Le temps amena enfin le moment d’être jufte.
Quand tous ces orages furent calmés , on redonna
le Siège de Calais, Bc fon fuccès fi.it confirmé par
des fuffrages réfléchis ; on eut alors la jufte meuire
des applaudiffemens dus à cet ouvrage : on jugea
( & ce jugement eft refté ) que le Siège de Calais ,
indépendamment même de l’intérêt patriotique ,
renferme des beautés dramatiques de plus d’un
genre ; que cet intérêt patriotique eft un avantage
ineftimable, qui fait de cette pièce un ouvrage à
part ; qu’elle peut, dans les temps malheureux ,
montrer & fournir de grandes reffources. Sous ee
point de vu e , le Siège de Calais eft un ouvrage
confacré , dont le fuccès confiant importe au bon-,
heur public , & dont il faut refpe&er la gloire*
Injuriofo ne pede proruas
Stantem columnam.
Depuis le Siège de Calais , M. de Bellohe con-'
facra par goût & par reconnoiffance, aux fujets
françois, il ambitionna l’honneur d’être exclufive-
ment le poète national ; il peignit les du Guefclin,
les Bayard , les Nemours. Il compofa d’abord
Gdfloh & Bayard, & Gabrielle de Vefgy. Ces
pièces parurent imprimées à la fin de 1769, &
au commencement de 1770. Elles étoient reçues
depuis long-temps à la comédie, mais leur tour
pour être jouées n’étoit point encore arrivé. L’auteur
du Siège de Calais, négligé depuis cinq ans ,
plus honoré d’ailleurs qu’enrichi par les bienfaits
du roi dans le temps même jdes plus grands fuccès
du Siège de Calais, étoit réduit à ne pouvoir
plus attendre l’occafion d’un fuccès nouveau.
M. de Belloi joignoit à l’art du théâtre une aflez
grande connoiflance de notre hiftoire, un talent
rare pour la difcuflion , & cette logique fûre &
favante,- qui n’eft pas le moindre mérite, même
de fes compofitions dramatiques ; il fit preuve fur;
tout de ces connoiffances & dé ces talens dans
trois grands Mémoires hifloriqucs imprimés en 1770.
Dans le premier de ces Mémoires, relatif à la tragédie
de Gabrielle de Vergy , l’auteur rend à la
patrie la maifon de Coucy , qu’on croyoit éteinte ;
il rend à cette maifon des rejettons dignes d’elle ;
il rend enfin à un illuftre infortuné ( Jacques de
Çoucy-Vervins, gendre du maréchal du Biéz )
l’honneur que la rage de fes envieux étoit parvenue
à lui enlever avec la vie.
Le fécond Mémoire concerne la dame de Fayel
& le châtelain de Coucy.
Le troifième, Euftache de Saint-Pierre.
Enfin la pièce de Gaflon & Bayard fut repré-
fentée le 24 avril 1771 ; elle eut un fuccès égal
à celui de Zelmire , & prefque égal à celui du
-Siège de Calais ; elle ouvrit à l’auteur les portes
de l’académie frànçoife, où il fut reçu le 9 janvier
1772. M. le maréchal de Duras faifit cette occafion
de fignaler fon zèle pour les lettres , & fon amitié
pour M. de Belloi, en lui procurant de nouvelles
grâces du roi.
En donnant la médaille dramatique à l’auteur de
Zelmire & du Siège de Calais, en comptant pour
deux fuccès l’effet dramatique & l’effet, politique
de cette feconde*pièce , on avoit rempli l’efprit
de la lo i, qui exigeoit trois fuccès : le triomphe
de Gaflon & Bayard confirmoit ce jugement, &
la lettre même de la loi étoit fuivie. La médaille
étoit conqùife de droit ; les concurrens qui n’avoient
pu l’obtenir,‘n’avoientplus même la reffource d’attribuer
la vi&oire de M. de Belloi à une forte de
difpenfe & de faveur. M. de Belloi les laiffoit bien
loin derrière lu i, & fon nom , dans l’opinion publique
, fut placé à la fuite des quatre grands noms
que la fcène tragique a immortalifés.
Gabrielle de Vergy étoit imprimée depuis longtemps
; M. de Belloi préféra de donner d’abord
(en 1772,) Pierre le cruel, pièce abfolument nouvelle.
-L’envie, fatiguée de tant de gloire, exerça
fon fiinefte oftracifme, la pièce «e fut point écoutée
; l’auteur voyant cette difpofition, lortit dès le
premier aéle, 6t auroit voulu que les aéleurs en
fiffent autant. Ceux d’entr’eux qui s’intéreffoient
le. plus fincèrement à fon fort 6c à fes fuccès, vinrent
le conjurer de permettre une fécondé représentation:
il fiat inflexible. Depuis ce temps, fa
famé qui avoit toujours été foible, déclina tous
les jours fenfiblement.
Il confentit cependant que fa pièce fût jouée fur
d’autres théâtres, & parut fe ranimer au bruit
des applaudiffemens qu’elle obtint ; mais étant allé
en 3772 à Rouen , pour y voir jouer Gabrielle de
Vergy , qu’on effayoit alors en province, au milieu
des fuccès & des triomphes, il fut frappé d’une
maladie qu’on crut mortelle , & qui le fut peut-
être par fes fuites.
Il languit encore pendant deux ans ; le travail lui
devint pénible, & pardégrésirapoflible : le monde
qu’il avoit beaucoup aimé, parce qu’U s’en étoit fait
aimer lui-même par la douceur, l’agrément 6c la
fûreté de fon commerce ; le monde , qui au défaut
de confolations, fournit du moins des difîipatkms ,
n’étbit plus pour lui d’aucun ufage ; les foins &
les mouvemens de la fociété étoient depuis longtemps
incompatibles avec les ménagemens que
fa fanté - exigeoit. Son cercle fe refferrade jour en
jour, & fe réduifit enfin à ce petit- nombre de
parens & d’amis, que la vue d’un ami fouffrant
attendrit 6c ne rebute jamais. Il en fut plus fenfi-
ble à leur attachement 8c à leurs attentions : \1
remarquoit ceux qui le négligeoient, 8c il ne s’en
plaignoit pas ; mais par leur éloignement fucceffif,
il calculoit avec fermeté les dégrés de fa décadence.
Il reçut dans fa dernière maladie une confolation
bien touchante , & bien propre à lui, faire regretter
la vie. M. le maréchal de Duras ayant inftruit
Louis XVI de fon état, ce prince, par un mouvement
de fon coeur qui éclata dès le_premier mot,
& qui prévint toute follicitation, fentit d’abord
tous les befoins que cet état pouvoit entraîner ,
tous les fecours qu’il pouvoit exiger , 8c s’emprefla
d’y pourvoir fur le champ, donnant par cet exemple
une preuve bien précieufe, non feulement de fa
bonté , mais encore de fon eftirne pour les talens
littéraires , quand ils font employés d’une manière
utile à la patrie.
M. de Belloi mourut le 5 mars 1775. Depuis fa
mort, fa tragédie de Gabrielle de Vergy a été donnée
à la comédie frànçoife avec le plus grand
fuccès; & enfin Pierre le Cruel, fi mal accueilli en
1772 , a été vengé pleinement de cette injuftice ,
8c il eft refté au théâtre.
Qn a donné en 1779 une édition complette dés
OEuvres de M. de Belloi, en fix volumes in-%%
à Paris , chez Moutard. Le fixième volume contient
tous ouvrages qui n’avoient pas vu le jour,
M. de Belloi avoit le talent d’élever l’ame, 8c
peut-être fur cet article aucun auteur n’a-t-il eu
plus de reffemblance avec Corneille ; il eft plein
de traits fyblimes, de fentimens généreux, d’inventions
héroïques ; il a fu de plus montrer une
fenfibilité douce dans le cinquième aéie de Titus ,
une fenfibilité profonde dans Gabrielle. Logicien
profond 8c dans l’enfemble 8c dans les détails de
fes pièces, favant en hiftoire & en littérature, fécond
8c adroit dans l’art d’employer ces connoiffances
8c de les adapter au genre dramatique, de
ces avantages même naiffoient quelques défauts ;
à force de tout expliquer & de rendre raifon de
tout, fa marche étoit quelquefois lente , froide 6c
dida&ique ; fes fils & fes rèfforts paroiffoient trop
à découvert; il n’eft pas toujours aflez v if , aflez
animé, affez pafllonné ; il lui arrive de difeuter, de
combiner, de faire une allufion, une expofition ,
lorfqu’il faudroit entraîner par l’éloquence 8c le
pathétique. Les défauts qu’on a reprochés à fa ver-
fification font réels ; mais on les a beaucoup exagérés^
ils ne font en effet ni aufli fréquents, niàuflâ