
par cet exemple, les autres juges. Les catholiques
îbutenoient, avec beaucoup plus cle vraifemblance,
que leurs accnfateurs avoient commis ce crime
pour le leur imputer, & les conjectures fur ce point
durent fe tourner en certitude , lorfqu’on vit des
fàuffaires affurer impudemment que le meurtre
avoit été commis à l’hôtel de Sommerfet, oiide-
meuroit la reine, & par les domeftiques mêmes
de la reine. L’inlolence de la calomnie ne pouvoit
guères aller plus loin. Le roi en fut épouvanté ;
il eut affez de fermeté pour défendre la femme,
& fon frère. Ce qui touchoit au trône fut fauvé ;
mais tous ceux qûi n’avoient pour appui que leur
innocence, furent facrifiés. Il falloir des viétimes
au fanatifme & à la crédulité ; on verfa des flots
de faiîg innocent, on fit même tomber des têtes
illuftres ; le vicomte de Stafford, de la maifon
Howard , homme fimple & vertueux, d’ailleurs
vieillard infirme, fut décapité, parce qu’un fauf-
faire de la lie du peuple, déclara lui avoir vuire-
mettre ime commifïion de la part du P. Oliv'a,
qui le créoit tréforier d’une prétendue armée papale
, qu’on devoït lever pour faire la conquête des
trois royaumes ; les gens fages frémiffoient & fe
taifoient ; le parlement défendit de nier la réalité
de la confpiration papifle , ce qui prouve qu’il n’y
croyoit pas.
Les noms des trois fcélérats obfcurs, fur la foi
defquels toutes ces violences furent exercées , font
devenus célèbres par ce grand crime.
Le premier, nommé Titus Oates, fils d’un tiffe-
rand, devenu miniftre anabaptifte, avoit pris les
ordres dans l’églife Anglicane, pour avoir un bénéfice.
Accufé de parjure, il n’échappa qu’avec
peine aux rigueurs de la juftice. Aumônier de
vaiffeau, il fut chaffé pour des défordres infâmes,
il fe fit catholique , & entra comme écolier à l’âge
de trente ans, ( pour imiter Saint - Ignace ) au !
collège des Jéfuites de Saint-Omer, dans l’intention,
comme il l’avoua lui-même, d’épier leurs
fècrets. Son efpionàge ayant été foupçonné ou
prouvé, le provincial l’avoit chafle à coups de
bâton. Cet impoffeur fut confondu fur tous les
points dans l’affaire de la confpiration. Lesaecufés
prouvèrent Y A l i b i , non-feulement pour ce qui les
regardoit, mais encore pour ce qui regardoit Oates,
qui le plus fouvent ne connoiffoit ni les lieux où
il difoit s’être trouvé , ni les perfonnes avec lef-
qnelîes il prétendoit avoir traité ; il avoit eu, di-
foit-il, de fréquentes conférences avec le confeffeur
de Louis X IV , & il ne favoit pas feulement le
nom du P. de la Chaife ; il avoit été très-fouvent,
difoit-il encore, au collège des jéfuites à Paris,
& il fut convaincu d’ignorer où ce collège étoit
fitué. Il avoit négocié dans les Pays-Bas avec Dom
Juan d’Autriche ; c’étoit, difoit-il, un grand homme
maigre , & le R oi, qui connoiffoit beaucoup Dom
Juan , favoit qu’il étoit précifément le contraire ;
enfin Oates affuroit avoir eu des liaifons intimes
avec Coleman, qu’il açcufoit d’avoir conduit tome .
l’intrigue ; on plaça Coleman devant lu i, il ne le
reconnut point. Mais l’évidence avoit perdu fon
empire fur les efprits ; le bandeau du fanatifme
couvroit tous les yeux , la nation entière étoit de-*
venue populace ; les juges indiquaient aux témoins
ce • qu’ils dévoient dire , & difputoient contr’eux
fur leurs dépolirions , quand elles tendoient à la
décharge des accufés. Les étudians du collège de
Saint-Omer atteftèrent que pendant tout le temps
qu Oates prétendoit avoir paffé à Londres, il n’avoit
point quitté Saint-Omer. Un des dépofans
ajouta : « C ’eff une vérité que je ne puis révoquer
» en doute fans démentir le témoignage de tous
” mes fens. » Vous autres papilles ,| lui répondit
avec un mépris amer le chef de juftice , on vous
” inftruit dès l’enfance à n’en pas croire' vos
» fens ».
On vient de voir quel homme étoit Oates.'
Bedloë , fécond témoin , Teignant de ne le pas
connoitre, eut foin de répéter fidèlement la même
dépofiüon, & d’y ajouter qu’il avoit vu tuer le
jugeGodfrey, à l’hôtel de Sommerfet, par les domeftiques
de la reine. Ce Bedloë , foldat , fils
d’un violon de village , étoit un avanturier , qui
faifoit métier de parcourir , fous de faux noms *
les divêrs états de l’Europe , emportant l’argent
de tout le monde. Pour completter la preuve légale
fur le fait particulier de l’affafiinat de Godfrey,
on féduifit un malheureux, nommé Prance, qui
ayant été chargé tout exprès par Bedloë , avoit
été jetté dans le cachot le plus infeél & le plus
mal fain, où l’on ptétend même qu’il fut plufieurs
fois appliqué' à la queftion ; enfin, il avoua, pour
fauver fa v ie , qu’il avoit eu part au meurtre de
ce juge, & que le meurtre s’étoit fait par ordre
de-la reine.
Le troifième témoin, nomnïé Dangerfield, étoit
un fauffaire & un faux monnoyeqr, pilorié quatre
fois, fouetté , banni, marqué d’un-fer chaud à
la main, à qui la juftice enfin n’avoit fait grâce
que de la vie. Celui - ci prétendoit' avoir' trouvé
prefque miraculeufement dans un tonneau de farine
des papiers myftérieüx qui çontenoient tout
le plan de la conjuration, tel qu’il avoit été ex-
pofé par les autres témoins* Nous ne nommons
que les principaux. Tous les autres étoient delà
même efpèce.
Ce fut fur la foi de pareilles gens & de pareils
faits, qu’on envoya au fupplice tous ceux que le
gouvernement crut avoir intérêt d’opprimer , tous
proteftèrent de leur innocence jufqu’au dernier
foupir , & le fanatifme imputa cette confiance
au fanatifme. Oates, Bedloë , Dangerfield furent
comblés de bienfaits & de récompenfes.
« Je me fouviens, dit M. Arnauld , d’avoir lu
» dans une gazette burlefque, que le roi d’Ethiopie
» avoit fait pendre fon cordonnier, parceqü’il avoit
» découvert qu’il l’avoit voulu faire périr, par une
» mine qu’il avoit faite dans le talon de fon fou-
» lier », Vo ilà, félon M. Arnaud, l’image de la
tonfpiratîon papifle , & le dégré de vraifemblance
qu’elle préfente. Il ajoute que cette calomnie fut
tournée en ridicule dans Une comédie , où fur la
foi de deux témoins,on faifoit le procès à un homme
pour avoir volé & emporté fous fon manteau un
navire armé de quarante pièces de canon. Apolog.
pour les catholiques, première-part. , p. 285 • & 31 2 , 3.
M. Arnauld applique au peuple Anglois ce que
le Prophète Ifàïe, chap 8 , verf. 12, dit du peuple
Juif. Non dicatis : conjuratio : omnia enim quai lo-
quitur populus ijle , conjuratio. efl. On difoit qu’il
n’y avoit point alors de meilleur métier en Angleterre
que celui de témoin du roi, & de découvreur
de confpirations'.
•Si M. Arnauld avoit toujours difputé fur de
pareils fiijets, fi, fur des matières importantes dans
tous les temps comme celle-ci, il eût joint ainfi à
la force du raifonnement , au charme de l’éloquence,
le pouvoir du ridicule , il auroit été plus
utile aux hommes, & fes écrits polémiques feroient
plus généralement lus.
: Antoine Arnauld mourut à Bruxelles en 1694.
Un autre Antoine A r n a u l d , fils aîné de M.
Arnauld d’Andilly , & - abbé de Chaumes, n’eft
connu que pârcequ’il a laiffé des Mémoires, imprimés
en 1756 en 3 vol. in - 12. Mais fon frère,
Simon Arnauld, marquis de Pomponne, employé
avec fuccès dans un grand nombre d’ambafl'ades,
& chargé depuis du miniftère des affaires étrangères
, eft un de ceux qui ont répandu le plus
d’éclat fur ie nom d'Arnauld* Madame de Sévigné
le fait aimer & regretter dans la plupart de fes
Lettres ,* c’eft peut-être après M. de Turenne,
l’homme de ce fiècle quelle peint le plus favorablement.
C ’eft à lui qu’elle adreffe ces lettres fi
animées & fi pleines d’intérêt fur. le procès de M.
Fouquet. Il paroît que M. de Pomponne étoit fort
attaché à ce miniftre, ce qui ne nuifit point à fon
élévation. Entr’autres excellentes qualités, il montra
fur tout un défintéreffement que fa pauvreté
& une nombreufe famille dont il étoit chargé
rendoient très-méritoire. Dans le temps qu’il étoit
ambaffadeur à la Haye en 1662,, il lui naquit un fils,,
qui fut dans la fuite l’abbé de Pomponne. Les États-
Généraux lui offrirent de le tenir fur les Fonts
baptiftnaux. A cet honneur étoit attaché une pen-
fion viagère de deux mille écus pour l’enfant.
M. de Pomponne refufa, pour éviter dans fes
négociations , dit un auteur, l’embarras de la re-
confioiffaace. I f fut fait miniftre des affaires étrangères
en 1-671, à la mort de M. de Lionne ; il fut
clifgracié en 1679, après ^a Pa^x de Nimègue. Un
miniftre renvoyé étoit fous Louis XIV un grand
évènement i ce miniftre d’ailleurs étoit vertueux
& intéreffant. « En vérité , dit madame de Sévigné
, je ne m’accoutume point à la chûte de ce
» miniftre , je le croyois plus affuré que les autres,
v parcequ’il n’avoit point de faveur. On dit qu’il
» y avoit près de deux ans qu’il étoit gâté auprès
» du roi, qu’il étoit opiniâtre au confeil, qu’il alloit
d trop fouvent à Pomponne , que cela lui ôtoit
» l’exa&itiide, & qu’en dernier lieu ce Courier de
» Bavière , qui étoit arrivé le jeudi au fo ir , &
» dont il ne vint rendre compte que le famedi à
» cinq heures du foir, a été la derniere goûte qui
» a fait répandre le verre. Il fe défend de cette
» faute en difant qu’il falloit tout ce temps-là pour
» déchiffrer, & que fi le courier n’eût point paru,
» fa majefté n’eué point eu d’impatience ; mais il
» étoit'à M. Colbert, & il donna fes lettres ; de
» forte que les nouvelles étoient répandues, & le
» roi n’avôit point fes lettres ». Tout cela , dit
madame de Sévigné, en ftyle de Port - Royal ,
étoit marqué dans l’ordre de la Providence. O11
reprochoit encore à M. de Pomponne de n’avoir
pas fait comprendre dans le traité de Nimègue les
villages qui font entre Fribourg & Brifac ; en effet,
quand le roi fit dans là fuite fon entrée dans Straf-
bourg., & qu’il voulut aller vifiter Fribourg, il
fallut qu’il y allât dîner fans s’arrêter en chemin ,
parce que c’étoient des terres de l’Empire.
Voici la raifon que Louis XIV lui-même donne
& de la nomjnation & du renvoi de M. de Pomponne.
En 1671 , .dit-il, il mourut un fécrétaire
d’état. « Je fus quelque temps à penfer à qui je
» ferois avoir cette charge , & après avoir bien
» examiné, , je trouvai qu’un homme qui avoit
» long-temps fervi dans des amba {fades, étoit celui
» qui la rempliroit le mieux. Je lui fis mander de
» venir. Mon choix fut approuvé de tout le mon-
» de.... Mais l’emploi' que je lui ai donné fe trou-
voit trop grand & trop étendu pour lui.... Enfin
» il a fallu que je lui ordonne de fe retirer , parce
» que tout ce qui paffoit par lu i, perdoit de la
» grandeur & de la force qu’on doit avoir en
» exécutant les ordres d’un roi de France «.
On voit par-là que le nom d’A r n a u ld n’a pas
eu part, comme le croyoit madame de Sévigné ,
à la difgrace de M. de Pomponne. « Un homme
» me difoit l’autre jour, dit-elle, c’eft un crime
» que fa fignature ; & je dis o u i c’eft un crime
» pour eux de figner & de ne ligner pas ».
« Un certain homme, dit-elle encore, ( c’étoit
» M. de Louvois, ) avoit donné de grands coups
» depuis un an , eipérant tout réunir : mais on
» bat les buiffons, & les autres prennent les oi-
» féaux ; de forte que l’affliélion n’a pas été mé-
» diocre, & a troublé entièrement la joie intérieure
» de la fête ».
En effet, M. Colbert fit donner la place de M.
de Pomponne, au préfirient Colbert de Croiffy ,
fon frère, qui négocioit alors en Bavière le mariage
de M. le Dauphin avec 'la princeffe de Bavière,
& qui avoit envoyé le courier, fatal à M. de
Pomponne ; & Louvois qui haïffoit bien plus Colbert
que Pomponne, trouva qu’il avoit perdu à
cette affaire où il avoit efpéré gagner.
On ne reverra jamais, dit madame de Sévigné ,
un miniftre aufti aimable. Il eft vrai que Colbert
& Louvois n’étoient point aimables , mais ils