
abfurde ramas de pièces indignes de voir le jour,
même parmi des barbares. Cependant vers la fin
du fixième fiècle, lorfque. les abus devinrent frap-
pans , & peut-être intolérables, les Irlandois disputèrent
à beaucoup de ce*s gens-là le droit qu’ils
prétendoîent avoir de fe faire nourrir pendant la ,
moitié de l’année. Les difputes à cet égard pro-
duifirent enfin une diftinétion entre les bardts auxquels
on refufa la nourriture, & ceux auxquels
on ne la refufa point : ceux-ci furent nommés
çlear -henchaine, terme qu’on ne petit rendre en
François, que par le mot de poètes de l'ancienne
taxe, ou chantres de l'ancien tribut. Par-là on corrigea
le mal, autant qu’on ponvoit le corriger
alors; il paroît au refie que les bardes qui poffé-
doient des terres, les retinrent malgré la réforme,
& qu’ils ne furent pas inquiétés à ce fujet. On
croît même que des familles , encore exifiantes
aujourd’hui, comme celle de Mac-irBaird , font
defcendues des anciens poffeffeurs de ces terres-là ;
car ce feroit fe former une idée très-fauffe des
bardes , de croire qu’ils vivoient dans le célibat :
ils ne form oient point une clafie féparée abfolu-
ment du refte de la nation. Il eft vrai qu’ils ne com-
battoient pas fouvent pour la patrie ; mais ils chan-
toient les combats, & préparaient la veille de
l’aâion un poëme , qu'on nommoit en celtique
brofnuha cath, ou inspiration militaire, & en tu-
jdefque begeiflerung %um kriege. Les bardes donnoient
eux-mêmes, avec des inftrujnens de mufique, le
ton de ce chant. Et voilà proprement ce que Tacite
(pde morïb. Qerman. ) appelle barditum. Il nous paroît.
étrange que des peuples aient commencé à
chanter au moment qu’ils étoient fur le point de
fe battre; mais on a retrouvé cet ufage chez tous
les barbares , & fur-tout chez les fauvages de l’A mérique
, où un jongleur foufle au vifage des
guerriers, en commençant par le cacique, la fur
mée d’une pipe allumée, en leur difant : je vous'
fou fie Tefprit de valeur; enfuite ils £e mettent à
chanter avec tant de force qu’ils s’étourdiffent, &
entrent en fureur, & c’eft le degré de cette ef-
pèce de fureur, qui décide du fort de la bataille.
O r , il en étoit exaèlement de même chez les Germains
: funt illis hotc quoque carmina, quorum re*
jatu , quem barditum vocant, accendunt animos, fu-
turdtque pugnçe fortunam ipfo cantu augurantur ,• terrent
enim , trepidantve , prout fonuit acies. Tant il
eft vrai qu’il faut, ou étourdir , ou contraindre
les hommes, pour les porter à s’entre-détruire, ce
qu’ils ne feraient point, s’ils confervoient ou le,pr
raifion , ou leur, liberté.
Lorfque l’aCiion étoit engagée , les bardes avoient
grand foin de fe retirer en un lieu de sûreté , d’où
ils pouvoient voir le comhat, & ils mettoient tout
ce qu’ils avoient v u , ten vers ; quand un guerrier
quittoit fon rang ou fon pofte, fgiis y être forcé,
fis le diffamoient par des iàtyres, dont jamais la
mémoire ne fe perdoit chez des peuples dont la
guerre faifoit prefque l’unique occupation. On
ttotiVe, à la vérité, dans Torfàeus ( Hifl. Reruni
Orcadenfium. ) , qu’Olaiis, furnommé affez improprement
le faint, étant fur le point de combattre, ,
fit pofter trois fealdes dans un endroit très-périlleux
, d’où leur vue pouvoit s’étendre fur les deux
armées; mais en rev ancheil leur donna un corps
de troupes, uniquement deftiné à les défendre,
en cas que l’ennemi eût voulu les enlever. Il eft
naturel que les fouverains & les généraux fe
foient intéreffés plus que perfonne à la confier-
vation des poètes qui fe trouvoient dans leurs
camps ; car ces poètes étoient fisuls en état de faire
paffer le nom des généraux & des fouverains à la
poftérité. On ne connoifloit pas encore alors les
hiftorjens, & lorfqu’on commença à écrire l’hif-
tpire en Suède, en Danemarck, dans la Germanie
, dans la Bretagne , dans la Gaulé , il fallut
bien recueillir les cliapfons des bardes, que tant
de perfonnes favoient par coeur ; aùfli Sturlefoon
les cite-t-il à chaque page, dans fa chronique, &
Saxon le grammairien, dans fon hiftoire. On peut
-être certain que chez tous les peuples du monde ,
on a tiré dp ces efpèces de poèmes, les cinq ou
fix premiers chapitres des annales ; ainfi il ne faut
pas extrêmement s’étonner de les voir r.émplis de
fables & de hélions.- Charlemagne , fi l’on en croit
Eginhard ( Vit. Car. cap. 2p.) fit former un re*
çueil de toutes les oeuvres des bardes Saxons ; mais
on ne fait pas ce que cette çolleélion peut être
devenue , à moins que ce ne • foit la même dans
laquelle Crantz paroît avoir puifé, En général,
Charlemagne mit trop d’ardeur «dans la manière
dont il s’y prit pour convertir lps Saxons ; il eft
trifte qu’il fe foit cru obligé de brifer leurs fta-
tues, oc de démolir leurs temples jufqu’aux fon-
demens; ce qui nous'a privés d’un grand nombre
de monumens, très-proprçs à éclaircir l’orù
gine des nations germaniques ; il n’y a que l’obftU
nation de ces peuples dans l’idolâtrie qui puiftë
excufer une deftruaion femblable, qu’on ne fau-
roit même pardonner à des barbares, comme les
Huns & les Turcs ? Au refte , les Saxons confie?*
vèrent, malgré tout pela, tant de goût pour les
comportions des barbes, qu’on ne put les leur
faire oublier qu’en mettant aufii la bible en vers
tudefques, 8ç alors ils commencèrent à montrer
quelque zèle pour la nouvelle do&rine, payèrent
lps dîmes, envoyèrent #leur argent à Rome pour
avoir des bulles & des 'indulgences, & furent en?
fin catholiques, jufqu’au moment où ils embrafi
sèrent le luthéranifme; ’ *
Nous n’avons parlé jufqu’à préfent que des fer?
vices que les hardes ont rendus, en incitant les
h.ommes à combattre pour la liberté, ou pour la patrie
, lorfque la liberté fut attaquée par des tyrans ;
mais ils n’ont pas été aufli abfolument inutiles en
temps de paix ; puifqu’il ƒ a bien dé l’apparence
que leurs chants ont contribué à adoucir un peu
les moeurs, & à diminuer un peu la barbarie.
£nfip, cc font eux qui ont ébauché l’homme fo-
B A R
■ clal ; mais les philofophes feuls l’ont formé : car
il faut favoir afligner des bornes aux prétentions
toujours outrées des poètes qui s’imaginent que
fans eux il n’y aurait pas de peuple policé fur
le globe.
Comme l’on a quelquefois confondu les bardes
avec les vaciès ou les eubages, il faut, en terminant
cet article, indiquer exactement en quoi ils
en différaient. Les vaciès , nommés en celtique
faid, faifoient, à la vérité, de temps en temps
des vers, mais ils fe mêloient aufli de prédire les
événemens d’une manière plus, pofitive que les
bardes, qui ne s’attribuoient que l’infpiration poétique
, ot les vaciès s’attribuoient l’infpiration prophétique.
Ainfi, chezTes Celtes, la qualité du vaciès
étoit plus relevée que celle du barde. Tout
cela a fait naître parmi les favans une queftion
aflez fingulière , touchant la véritable diftindion
du mot po'èta & du mot vates, chez les Romains.
Dans ce que dom Martin a écrit fur la religion
des Gaulois, on trouve que le poète a été continuellement
cenfé inférieur au vates : nous ne doutons
point que cela ne foit vrai en un certain
fens ; mais fous le fiècle d’Augufte, ces deux
termes devinrent fynonimes dans l’ufage ; on les
employoit indiftindement, & fuivant que leurs
quantités fe prêtoient à la mefure ou au métré
du vers.
Voici ce qu’il faut dire à ce fujet : la vaticination
caradérife le vates ; renthoufiafme çarac-
térife le poète. Les bardes de la Germanie, qui
célébrèrent tant la mémoire & les exploits d’Ar-
rninius ou de Hermen, n’avoient beloin que de
l’enthoufiafime*: ils n’avoient pas befoin de la vaticination
, puifque le fujet de leurs chants étoit
une fuite d’évènemens déjà accomplis depuis quelques
années, & dont toute la nation étoit auffi-
bien inftruite qu’eux-mêmes pouvoient l’être; &
malgré tout cela, Lucain les confond encore avec
les eubages.
Vos qùoqde , qui fortes animas belloque peremptas
Zaudibus in Jongum vates dimittitis cevum
Pluritna Jicuri fudiflis carmina 3 hardi.
( D .P . )
BARDE, f. f. ( Ht fi. mod. ) c’e ft, envieux langage
, l’armure des chevaux des anciens chevaliers
& foldats qui étoient équipés de tout point ; elle
étoit de fer !& de cuir., & couvrait le cou, le poitrail
, & les .épaules du cheval ; c’eft ce qu’on ap-
pelloit equi cataphratti. (G)
BARDE T, (Pierre ) avocat : on a de lui un
recueil d’arrêts que les avocats citent quelquefois.
Mort en 1685 , âgé de 94 ans.
BARDIN , (Pierre) ( Hiß. litt, mod.) Cet
auteur n’eft connu ni par fies ouvrages , le grand
chambellan de France ; Penfies morales fur l'ecclé-
fiafie ; le Lycée , ou de l'Honnête homme , ni par
l’honneur qu’il eut d’être un des premiers membres
dont l’académie françoife fut compofée; mais;
Hïfioire. Tom. ƒ, Deuxième paru
b a r 5 4 ?
il mérite de l’être par fa mort, qui fut celle d’un
ami courageux ; il fe noya , en fauvant M. d’Hu-
mièfe dont il avoit été gouverneur. Chapelain fit
fon épitaphe en vers, par ordre de l’académie ; mais
il ne devoit pas dire que les vertus , avec Bardin ,
firent toutes naufrage. C’étoit mal-à-propos jouer
fur le mot dans un fujet noble & trifte. M. l’abbé
de Cerify, qui fit l’épitaphe du même, en profe, dit
beaucoup mieux :
» Arrête, paffant, & pleure. Qui que tu fois;
» il t’eft mort un anii, fi tu l’es de la fcience &
v de la vertu
Bardin fe noya en 1637.
BARILLON {Hifl. mod. ) C ’eft le nom de deux
frères célèbres,, l’un (évêque de Luçon) par fa fain-
teté., l’autre ambaffadeur en Angleterre auprès de
Charles I I , par fon talent pour les affaires. C ’eft
à l ’ambaffadeur que la Fontaine adreffe fa fable y
intitulée. : le pouvoir des Fables. On voit par les-
dépêches de Barillon quelle étoit alors l’influence
de la France fur l’Angleterre , & ce qu’elle cou-
toit à la France ,* on y voit que tous les mi-
niftres de Charles I I étoient penfionnaires de
i Louis XIV ; on y voit comment Charles mar-
chandoit avec ce prince , tantôt une converfion à
laquelle il n’étoit point déterminé, & qu’il différait
toujours fous différens prétextes, tantôt une prorogation
ou une caffation du parlement , & comment
les miniftres de Louis XIV , tandis qu’ils
donnoient de l’argent à Charles II pour le rendre
indépendant de fa nation, fe ménageoient des intelligences
dans le parti populaire, pour tenir toujours
ce prince dans l’inquiétude & fon royaume dans
l’agitation. Jeux communs de la politique vulgaire.
Dans un de ces marchés entre Louis XIV &
Charles I I , on étoit convenu de deux millions que
Charles II devoit recevoir. Ses miniftres lui per-
fuadèrent de prétendre qu’il s’étoit trompé dans
l’évaluation de la fomme, & que par deux millions
il avoit entendu deux cens mille livres fterlings,
c’eft-à-dire beaucoup plus du double de la fomme
convenue. Le ftratagême étoit groflier, Charles en
eut honte.; & lorfque Barillon vint faire des remontrances
fur une fi étrange variation, Charles
l’interrompit dès le premier mot : n Au nom de
v Dieu, dit-il, ne m’en parlez pas ; j’en fuis fi con-
» fus, que je ne puis plus en entendre parler.
v Voyez M. le tréforier, & faites comme you.s
n l’entendrez avec lui, car pour moi , je fuis au
» défefpoir quand on m’en parle «. Barillon infifta ,
& repréfenta que c’étoit compromettre l’ambaffa-
deur Courtin , fon prédéceffeur, qui avoit conclu
ce marché, & auquel Louis XIV imputerait ce mal
entendu. » Il n’y a point de la faute de Courtin ,
répondit Charles , » c’eft moi feul qui ai tort
d’avoir ignoré le rapport de la mon noie de
» France à celle d’Angleterre «. En même temps
il conduifoit Barillon à la porte de fa chambre,
où il le quitta, en répétant : « Je fuis fi honteux
v que je ne vous en puis plus parler. Voyez, le tréfo