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lien fut reçu avec beaucoup de civilité-Lerfqu’on
l’eut introduit, O&avien entama la converfation:
il fe plaignit «Fabord , mais avec un ton de mo-
defiie , de l’a61e de pardon, qu’Antoine avoit fait
paffer en faveur des conjurés qu’il auroit pu châtier
aufli févérement, difoit-il, & d’une manière
auffi arbitraire qu’il en avoit châtié d’autres. Il lui
rappella enfuite , dans les termes les plus obligeais
, l’amitié dont Céfar l’avoit honoré , & les
grands fervices de ce dictateur , auquel il étoit
redevable de fa fortune. Il le conjura, parJamémoire
de fon ami, de leur commun bienfaiteur ,
•<de l’aider à venger la mort de Céfar, ou au moins
de ne lui oppofér aucun obftacle dans une entre-
prifè fi digne de louange. Tou t, dans ce difcoûrs,
flattoit Antoine, qui dans de nouvelles profcrip-
tions. voyoit de nouveaux biens à acquérir : mais
Torfqu’il lui demanda les tréfors qu’il avoit fait enlever
du palais de Céfar, fon zèle fe refroidit
tont-à-coup : « & comme cette fomme , ajouta
Oélavien , n’eft pas fuififante pour acquitter les
obligations du teftament de Céfar , .j’efpère qué
Vous ne*balancerez: pas à m’aider de vos.tréfors,
eu au moins que vous engagerez les quefleurs à
m’ouvrir ceux de la république , d’après les offres
que je fais de- rendre ce que je pourrai emprunter
pour un'fi noble defiein; quant aux meubles , je
vous en .fais de bon coeur le facrifàee ; c’eft un
gage de plus qui doit vous attacher au parti de
mon père : mais à. l’égard de l’argent,, j’en^r besoin._,
& j!èxige qu’on me le remette fans délai ».
Antoine ,. ci-autant- plus offenfé de la hardiefîe de
-ce jeune homme , qu’il ne doutoit pas que ce ne
fiât pour acheter la. faveur du peuple,, qu’il dëman-
doit cet argent , lui, ht un refus , qu’il accompagna
de paroles très-dures. Us fe féparèrent ennemis.
Oélavieh mit aufii-tÔt en vente toutes les mai-
fons & toutes les terres- qui lui revenoient de la
fùcceflien- du diélateur. Il fit publier en même
temps qu’il ne. confentok à l’aliénation décès grands
biens,. que pour empêcher Antoine de priver tant
• de familles des effets de la libéralité dè Céfar :
-mais le conful lui donna la mortification de s’op-
pofér à cette vente. en engageant quelques particuliers
à'réclamer les terres, comme» ayant fait
partie du patrimoine de leurs ancêtres, que le dictateur
avoit dépouillés pendant la guerre civile.
D ’un, autre côté , les quefleurs, excités par Antoine
, formèrent des prétentions fur une.- partie
de ces terres , comme ayant été confifquées au
profit du public. Ces procédés étoienc injuftes ;
mais Oâavien ,.au lieu dé s’adreffer au 'fénat qui
eût pu lever ees ©bftaeles, mk en vente fon>propre
patrimoine, ainff que lés-biens de fa: mère &
de fon beau-père qui firent ce généreux faerifiee ,
pour favorifer fes dèffeins. Du produit de ces
ventes ,. Augufie acquitta les legs que Céfar avoit .
feits au peuple , & cette feinte libéralité penfa
entraîner la ruine d’Antoine. La populace, dont
le coeur s’ouvre toujours à: l’intrigant, qui: fournit
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le plus d’afimens à fa- cupidité parloit de mettre'
en pièces Antoine. Une nouvelle difpute , élevée
à l’occafion de la chaire & de la couronne de
Céfar, qui, fuivant un décret du fenat, dévoient:
être placées dans tous les fpeéïacles ,- mit le comble
à leur méfintelligence. OélaVien; fait prendre
cette chaire & cette couronne , & les fait placer au;
milieu de l’amphitéâtre, malgré les déclamations-
d'Antoine , qui le menaçoit de le faire traîner en-
prifbn. Cette fermeté acheva de lui gagner la faveur
du peuple. Profitant de cet enthoufiafine, il?
monte à la tribune ; alors apofir ©pliant Antoine ,,
comme s’il eût été préfent : « Conful injufte,.
implacable , s’écria-t-il,. faut-il- que ta haine contre-
moi s’étende jufque furie grand Céfar? Tu foules:
avec mépris les cendres de ce héros, dont, ta f o r tune
eft l’ouvrage. Th prétendois venger fa mémoire
, & tu cherches à la flétrir ; tu te profternois-
autrefois à fes piedsj, tu lui offrois le diadème;,
aujourd'hui tu ,lui refufes jujquatix honneurs que-
le fénat lui a déférés.. Sacrifie-moi à ton coupable-
reffentiment ; mais au moins épargne les mânes-
dhin grand homme,. indignés de ton ingratitude;
Rends à tes concitoyens des biens qu’il: n’avoit
réfervés que pour eux ; j’abandonne le refie à:
ton infatiable cupidité je-me croirai affez riche fil
je puisv m’acquitter envers ces généreux défendeurs-
de la patrie ».
Ce difcoûrs artificieux mit le peuplé' en fureur
contre Antoine ;• fes gardes même cenfuroient fa-
condüite. Rome alloit devenir une arène fanglante,:
lorfque des vues politiques réunirent ces deux rivaux.
Le c.onfalat d’Antoine étoit prêt d’expirer^,
la crainte que fa grandeur ne s’éclipfât? avec fa-,
magifirature, l’engagea à fe réconcilier avec Oélàr
vien. Il ambitionnoit le gouvernement des Gaules-;:,
convaincu-que l’injure faite à. l’héritier de Céfar ^
n’étoit pas. un titre pour avoir les fuffrages du;
peuple, il fit les premières démarches;' Sa Oéla^
vien fenfible à cette déférence ,fconfentit à- l’aider-
de fon crédit. Ce fut fans doute, une faute de ce:
grand politique : il fembla oublier quec’étoit dans-
eétte contrée que Céfar avoit trouvé désarmés pour
affervir Rome-Cette réconciliât ion ne pouvoit être,
de longue durée entre ces deux ambitieux. Dès-
qu’Antoine eut pris poffefiion de fon gouverner
ment, il t-r.ave.rfa- toutes lés- inefnres cFOfiavien..
Le fénat qui voyoit en eux deux tyrans plus terribles
que celui qu’il avoit fait périr ,- foin en toit
cette défùnion dans l’efpoir dé- les détruire l’un,
par l’autre. Cette politique alloit. réuflir. ; mais les -
amis d’Antoine s’apperçurent du. piège qui leur
étoit tendu , &- le forcèrent de refter uni avec
Oélavien. Brutus vivoit encore,. & la liberté ne
pouvoit s’éteindre tant qu’il lui refieroit un. fouffle
dè vie-.« Votre fureté &. la. notre., difoient à.
Antoine fes amis, » exige la ruine des conjurés.
» Si leur parti l’emporte , nous ferons perféeutés, ,
» proferits comme fauteurs de la tyrannie. Redbu-
». tez - Brutus. fes parrifans. farouches , & fongez
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» que noùs ne pouvons nous maintenir que par
v notre union avec le jeune Oélavien ( Il entroit
pour lors dans fa. 19e. année.) « Aidez-le donc
» à exécuter fes généreux deffeins, en vengeant,
T> de concert avec lu i, la mort de Céfar. Que nous
» n’ayons pas à vous reprocher que le meilleur
j) ami du diélateur ait empêché fon fils de punir
•m fes afiafiins. » Antoine defiroit avec autant d’ardeur
que fes officiers .de détruire les conjurés ;
•niais il ne youloit pas qu’Oélavien en eût la
gloire. Il le connoifloit trop bien pour fe laiffer
abufer fur fes deffeins ; niais comme on infiftok
fur une entrevue , il y confentit , & fit une
efpêce de traité qui fut rompu prefqu’auflitôt
que conclu. Antoine fit mettre en prifon 4 plufieurs
fol.dats accufés d’avoir voulu T’afiafiiner
à l’inftigation d'Oélavien. Cette lâcheté a trouvé
dans Cicéron, un panégyrifte aveuglé par fa
.haine corfire Antoine. Les partifans de la république
crurent que c’était un incident adroitement
ménagé .-pour avoir l’un & l’autre un prétexte de
Taire des levées ; mais la fuite fit clairement con-
noître.que chacun d’eux afpiroit a perdre fon rival:,
,& à refter feul à la tête du parti contraire à celui
des: conjurés. Tous deux s’apprêtèrent à foutenir
leurs prétentions les armes à la main. Antoine
envoya ordre à fon foère de lui amener les légions
de Macédoine. Il comptoit fur l’amitié de Lépide
qui commandok quatre légions en Efpagne, & fur
celle de Plancus qui en commandoit trois dans les
Gaules. Augujle , pour conjurer l’orage , alla dans .
la Campanie où il leva dix mille vétérans dont
Céfar avoit récompenfé la valeur, en leur don-
nam des terres dans cette partie de lTtaliè. Ces î
troupes ne lui paroiffant pas fuffifantes , il corrompit
, à prix d’argent, deux des légions d’Antoine,
& s’en attacha deux autres qui tenoient auparavant
pour le parti de la république. Ce fut alors
qu’il prit je chemin de Rome qui s’apprêtoit à voir
renaître les fcènes langlantes de Marins. & dè
Sylla s’étant: arrêté à deux lieues de la ville ,
il feignit de n’y vouloir entrer qu’avec l’agrément du
•peuple. Un tribun qu’il avoit mis dans fes intérêts,
lui applanit tous les obfiacles. , en prononçant une
harangue , dans laquelle il fit croire au peuple
qu’il n’avoit d’autre projet, en entrant dans Rome,
-que de défendre fes concitoyens contre les attentats
d’un, conful ambitieux. Plufiesrs fénateurs eurent
la foibleffe de le penfer , & Cicéron., toujours
guidé par fon averfion contre Antoine, travail-
loit de tout fon pouvoir à étendre le bandeau de
rillufion.. Brutus, qui portoit lui feul tout le fardeau
de la république, écrivit- plusieurs lettres
pour deffiller les yeux de cet orateur. Il finit par
lui reprocher que fa haine étoit contre le tyran,
& non contre la tyrannie. En effet, Cicéron avoit
perdu cette fierté- républicaine, & fémbloit -n’ambitionner
que le trifte avantage de fe choifir un
maître. L’Italie entière étoit dans la plus grande
•agitation on voyait déjà déployer l’étendart de j
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la giierre civile. Augufie ri.-avoit point encore de
titre ; & dès qu'il fut qu1 Antoine s’approchoit
à la tête d’une armée , fes foldats lui offrirent
celui dé propréteur, fans attendre les ordres du
fénat. Trop fage pour offenfer cette compagnie dans-
des conjonéltires aufli délicates , Angüße refufa ce
titre , & lorfque fes amis Tes plus intimes lui demandèrent
les raifens de ce refus : « Lé fénat,
•leur répondit-il, » s’eft déclaré pour moi, moins par
» affeélion que par la terreur qu’Ahtoine lui infpire*
» On ne prétend m’employer que pour fa ruine,
» afin de me faire périr moi-même par les mains
» des a-ffaffins de Céfar. Diflimulons- encore. Il y
• » auroit de l’imprudence à paroître percer les odieux
» myftères de cette fombre politique ,- ce que je;
f> feroisà coup sûr, fi jWois l’indifcrétiôn de pren-
.» dre le titre que l’armée veut mefaire accepter.- Ma
.-» déférence pour le fénat engagera les pères coilf-
» cripts à me l’offrir ». L’événement juftifia le-
difcoûrs d?Angüße , & alla bien au-delà de fes efo
pérances. Non-feulement les fénateurs lui aceor--
dèrent le titre de propréteur ; ils firent encore un?
•décret par lequel il lui étoit permis d’être conful, dix
ans avant l’âge fixé par les loix. On lui érigea dès-
lors une ftatiie, & il eut rang parmi les fénateurs.-
Cette politique a-voit un effet trop certain, trop*
prompt pour qu Angüße- voulût y renoncer. Cicéron
tout-puiffant dans le fénat, lui en; aflùroit tous
les membres: Oétavien fut encore fe concilier*
Fefprit des nouveaux confuls C. Vibiùs-Panfa &.
Au lus- Hirtius. Il les abufa au point qu’ils propo--
sèrent au fénat les deux quefiions f u-ivantes ; favoir*,.
quelles récompenfes méritoient les deux légions:
qui avoient abandonné Antoine, pour fe ranger
fous fes enféignes, & de: quels moyens il falloir
ufer pour forcer Antoine à fe défifter du proconfiilat
des Gaules ? Le fénat fit aufiitôt un décret qui
autorifoit les confuls à récompenferles légions à leur'
gré, & à prendre toutes les mefuresqui leur fenr-
bleroient nécefiaires pour dépofféder Antoine qui- r
fur de nouvelles déclamations de Cicéron , fut
déclaré ennemi de la patrie. Angüße reçut aufiitôt
des ordres de. fe joindre aux-confiais & d’agir de
concert avec eux contre l’ennemi commun* Il fut
revêtu d’une autorité égale à la leur, chofe inouie-
jufqu’alors ; & comme- fi ces honneurs enflent:
été au-défions de fes férviees, le fénat prononça:
un décret en vertu- duquel les- vétérans qui-:
étoient à fon fervice auraient- chacun plufieurs:
arpens de terre, dès que la guerre ferait terminée,,
avec une exemption de toute charge. C ’eft ainfi
que les chefs de la république couraient eux-mêmes»
au-devant du joug que leur préparait ce jeune ambitieux.
Antoine qui fe voyoit inférieur par le non>
bre de fes troupes , au-parti dè Brutus & de celui.
à'Angüße qui s’étoient réunis , tenta la voie de
la négociation.- Ce fut inutilement ; après plufieurs
combats dont les. fuecès furent variés, il fut vainc»
aux environs de Mutine , aujourd’hui Modène^
Forcé de-fuir devant le grand nombre 6c redoutaue