
IV D I S C O U R S
Reâor, d’or à un lion de gueules , armé & lampaffé d'argent, ajjis fur Une chaire de.
pourpre , tenant avec f i s pattes une hallebarde d’argent, dont le manche efi d’azur ?
Et leur ennemi Diomède , Roi d'Etoile , £ argent à un paon rouant d’azur, aillé d'or ,
accompagné de trois molettes de gueules ?
Le Blafon des héros de l’hiftoire ancienne n’eft pas moins détaillé. Alexandre le Grand J
portoït d'or à un lion de gueules , armé & lampajfé d'azur.
Les armes ^d'Alcibiade font, d'un Blafon moins chimérique & d’une allégorie plus
ingénieufe; c’eft Un Cupidon embraffant la foudre de Jupiter.
Les royaumes & les républiques de l’antiquité avoient auffi leur Blafon, e'eft-à-dire
qu’ils portaient dans leurs enfeignes une marque diftinâive, comme les particuliers e»
portaient dans leurs armes ; & fi ç’eft-Ià ce qu’on entend par le Blafon antique, foie
des nations , foit des individus , c’efl une chôfe qui peut aifément fe fuppofer , qui eft
même connue jufqu’à un certain point par des devifes & des emblèmes que l’hiftoire nous
a confervés ; mais il eft ridicule de s’engager à détailler jusqu’aux moindres pièces de
ce Blafon dans le jargon moderne qui appartient à cette fcience.
_Ce jargon eft une autre objeétion qu’on fait contre le Blafon. Ce n’eft, dit-on, qu’une
fcience de mots, qui rejette les noms communs que tout le monde entendroit, pouf
en adopter d’étrangers & de barbares dont l’intelligehce eft réfervée aux feuk initiés ,
qui a même une fyntaxe à part , laquelle n’appartient à aucune langue connue. Si je
dis que les armes de France ont un fond bleu d’où fortent trois fleurs de lys jaunes ,
deux en haut, une en bas, tout le monde m’entend , & j’ai donné une idée exaâre
des armes de France ; mais je n’ai pas parlé le' langage du Blafon. Si je dis au contraire:
Les rois de France portent d’azpir à trois fleurs de lys e t or, deux en chef , une
en pointe , je parleJa langue du Blafon, mais je ne fuis plus entendu que de ceux à
qui cette langue eft ^ familière. Il y a plus, Suppofons un homme qui ait fait une étude
profonde des armoiries , qui fâche diftinguer celles de toutes les maifons de l’europe &
les faire diftinguer aux autres en fe fervant du langage commun ; fuppofons au contraire
un homme qui ne fâche aucunement diftinguer les armoiries , ni les appliquer aux maï-
fons qu’elles défîgnent, mais qui fâche nommer en langage de Blafon chaque pièce des
djverfes armoiries qu’on lui préfentera, il eft clair que toutes les idées héraldiques feront
■ d’un cô té , tous les mots de l’autre, & que celui qui faura reconnoître les différentes
maifons à leurs armes, fera l’ignorant en blafon , faute de favoir blafonner, c’eû-à-dire
faute d’avoir fu retenir une nomenclature bizarre.
En général la multiplicité des lignes nuit à l’acquifition dès connoiflâncès ; on fur-
charge la mémoire 'de nomenclatures infinies, & on préfente à peine une idée à l’ef-
prit. Les noms grecs font d’un grand ufage dans lés fciences , parce qu’ils contiennent
prefque toujours en un feul mot une définition complette de la chôfe ; mais de quelque
langue que viennent les mots de gueutss , d’azur, de fable, de ftnople , ils ne lignifient
toujours que rouge, bleu, noir & verd. C’eft bien la peine de changer de noms pour
celfer d’être entendu. Au lieu de créer aipli par l'abus des mots & la multiplication
des lignes, des branches ftériles d’une même fcience , il faudrait plutôt rapprocher, &
pour ainfi dire identifier par un même ligne tout ce que les différentes fciences peuvent
avoir de commun. Si , par exemple, l’ortographe avoit confervé les étymologies dans
toutes les langues, quelle facilité n’auroit-on pas à faifir la’ chaîne & la filiation de ces
langues, à en démêler les reffemblances & les différences, à diftinguer les langues-mères
& celles qui en font dérivées, à luivre la route par laquelle certains" mots,' dans chaque
langue, font .arrivés de leur lignification primitive à la lignification fouvent très éloignée
qu’ils ont prife, à comparer dans ces variations la marche des différentes langues , à en
obferver les rapports avec le génie & le caraétère des peuples.
Les favans ont cherché une langue lavante & univerfelte , à la faveur de laquelle ils
puffent s’entendre & communiquer entre eux de toutes les parties du monde : le moyen
de parvenir à ce but, ou d’en approcher, ou au moins d’y tendre , ferait de lîmplifier
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beaucoup, d’unir tout ce qui pourrait être uni, de confondre tout ce qui ferait commun
de rendre les lignes ,aufli rares qu’on le pourrait, fans les rendre équivoques..
Des rapports ou fenîibles & manifeftes, ou finement apperçus, ont fouvent fait donner
un même nom à des objets entièrement difparates ; les mêmes dénominations ont
fouvent été tranfportées du phylique au moral & du moral au phylîque , ou appliquées
à des objets du même genre , mais très-différens les uns des autres ; on a , par exemple ,
appellé «ef de lit la partie fupérieure qui couvre le l i t , comme ce que nous appelions
le ciel nous paraît couvrir la terre. Jufques-là tout va bien. Cette méthode de deligner
une chofe par les rapports avec une autre, tend à Amplifier la fcience des lignes : mais
pourquoi affoiblir enfuite l’idée de ce rapport par des diftindions inutiles, & qui font
même en contradiction avec le premier deffein, qui était d’exprimer ce rapport ? Pourquoi
des ciels de lit au plurier, tandis que le plurier naturel de ciel eft citux ? Craignoit-
on l’éqûivôque ? Comment ferait-elle plus à craindre au plurier qu au lingulier ?
La contradiâion eft encore plus forte , quand'on applique ce plurier irrégulier ciels
aux repréfentations que les peintres font du ciel; car c’eft affurément bien le ciel, ce
font les deux, foit ouverts -, foit fermés qu ils veulent repréfenter. #
Pourquoi encore le travail qu’un miniftre fait avec le roi exig.era-t-il le plurier îrre-
gui 1er t ray ails ? La raifon qui fait donner le nom de travail au compte qu’ün miniftre
rend au roi des affaires de -fon département, n’eft-elle pas que ce compte eft cenfé être
le résultat d’un travail important, & cette raifon n’eft-elle pas,la même au plurier qu’au
finguli'er ? ;■ c
Il en eft de même du mot oezï de boeuf & du plurier cals de boeuf _
Mais il en eft autrement du mot -. lit de juftice ; on a eu beau faire, il a fallu qu’au plurier
il fît lits de juftice.» On a tenu deux ou trais LITS d e JUSTICE pour celte affaire.
Pourquoi toute cette bigarure ? C’eft qu’on ne fuit pas affez conftarnment un même
importance, & peut^é-.- N- * j
celui de donner , indépendamment des idées , une langue particulière^ a apprendre,
n’eft point propre' du Blafon, il n’y. a point de' fcience ou d’art où il n’ait lieu jufqu’à
un certain point. Tout art, toute fcience a & doit avoir fes mots techniques : les inf-
trumens , les outils , la manoeuvre , les procédés divers de chaque art, foit libéral, foit
mécanique, ne peuvent trouver leurs noms dans la langue commune. Mais que doivent
être ces mots techniques , & quand doivent-ils être employés ? Voilà _ce qu’il importe
d’examiner. Quand ils font les lignes néceffaires & uniques des idées qu’ils repréfentent,
mot technique & dès-lors à charge , puifqu’il faut -commencer par en apprendre la
'lignification? Par exemple, & fans aller plus loin , qu’étoit-il befoin dans la marine des mots
flribord& bâbord ? N’avoit-on pas dans la langue commune les mots de droite & de gauche,
de coté droit & de côté gauche du vaiffeau , qui étaient fans embarras & fans équivoque ?
Je fais que cette réflexion appliquée ainfi à deux mots devenus d’un ufage familier ,
quoique lesignoransles entendiffent à pèine au commencement de la dernière guerre,peut
paroître petite; mais.donnons-lui toute fon étendue , envifageons dans fa totalité l’inconvénient
dont nous parlons , on verra qu’on perd à apprendre cette partie fuperflue
de Ta langue de, certaines fciences , un temps1 qu on aurait mu employer à faire des
progrès dans laTcience même, & que cette lifte de lignes lur-abondans tient dans la
tête- la ' place d’idées & de connoiffances réelles ; c’eft un abus qui n’eft pas fans ridicule
, & pour s’en convaincre , il ne'faut que Voir ce qu’on penfe de cet étalage de
mots techniques-, quand il n’eft pas autorifé, & en quelque forte néççfiîté par l’ufage. ,
C ’eft un ridicule qui n’a point échappé , à Molière.,