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le plus ardent exécuteur de ce complot, fut pris
par le prince d’Orange. Ce prince montra autant
de modération & de générofité après la viéfoire,
qu’il avoit montré de prudence & d’habileté dans
l’expédition ; le peuple vouloit mettre en pièces
Fer vaques, le prince d’Orange le fit garder avec
foin pour le renvoyer à fon maître ; il fauva la vie
aux François enfermés dans la place , il fit fecou-
rir les bielles, & rappeller à la v ie , à force de
foins, quelques-uns des corps entaffés à la porte,
& qu’on croyoit morts ; tous les prifonniers furent
renvoyés au duc d'Anjou 8c traités avec beaucoup
d’égards. Ce duc s’étoit retiré plein de rage & de
confiifion dans un château voifin ; de là il écrivit
aux Etats des lettres allez équivoques, où,. tantôt
avouant, tantôt défavouant fon entreprife , pre--
nant le ton tantôt d’un maître irrité, tantôt d un
fuppliant, il finifibit par les affurer de fa protection
, & par les prier d’agréer encore fes fervices.
Le Etats décidèrent qu’on lui enverroit des députés
, & le prince d’Orange fit ajouter à cette ré-
folution, qu’on enverroit en même temps des
vivres dont le duc d’Anjou avoit un preffant be-
jfbin ; mais cette grâce n’étant que pour deux jours,
le duc d'Anjou parut vouloir fe retirer dans quelqu’une
des places qu’il avoit furprifes , avec l’intention
de s’y défendre : la difficulté étoit de s’y
rendre , Anvers lui ferma le palfage de l’Efcaut,
Malines inonda fes environs au moyen des éclufes ;
ce ne fut qu’à travers une plaine immenfe d’eaux,
& qu’à la faveur de mille détours, que le duc
d'Anjou pût parvenir jufqu’à Tenremonde. Enfin
les Etats firent, avec le duc, une efpèce d’accommodement,
au moyen duquel.il le retira dans le
Cambréfis. Sa mère, qui voyoit le fruit de fes
leçons & de fes exemples,. vint l’y chercher pour
le ramener à la cour ; elle le trouva dans un égarement
d’efprit caufé par la confufion ; il n’ofoit
lever les yeux de peur de rencontrer le mépris
ou la pitié, il ne pouvoir fouffrir la préfence même
de fa mère, il paffa fix mois dans une entière
folitude, uniquement livré à la mélancolie & aux
remords. Il y avoit fans doute quelque refibrt dans
une ame fi fenfible à la honte; ce jeune prince
pouvoir encore être ramené à la gloire & à la
vertu ; mais il lui auroit fallu d’autres guides que
Médicis, & d’autres exemples que ceux de la cour
de Henri III.
Cette cour joignoit les crimes aux vices, & l’a*-
trocité à la bafiëue ; c’eft fur-tout dans l’aventure
tragique du brave Bufîy-d’Amboife que cette complication
d’horreurs fe montre dans toute fon
étendue, & le duc $ Anjou n’eut que trop de
part à cette indignité.
Louis de Clermont d’Amboife de la branche de
B u fïy , s’étoit rendu redoutable à toute la nobleffe
de la cour par fon adreffe & fon bonheur dans les combats
finguliers ; il étoit attaché au duc d'Anjou , &
c’étoit lui qui fe chargeoit de quereller & de défier
tçus les ennemis de fon maître. Les favoris qu’il
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forçoît à beaucoup de circonfpe&ion fur tout Cé qui
concernoit ce prince, le haïflbient & n’ofoient le
perdre. Il leur en fournit l’occafion. Non moins
fameux par fes galanteries que par fa bravoure ,
il étoit alors amoureux de la femme du comte de
Montforeau, grand-veneur d'Anjou ; il ne cachoit
rien à fon maître,. pas même ces fecrets de 1 a-
mour que l’honneur & la reconnoiffance doivent
rendre inviolables ; il mandoit très-indiferétement
au duc à'Anjou : la bête du grand-veneur efl enfin
tombée dans mes filets. Le duc d’Anjou , par une
indiferétion bien plus forte encore , montra &
laiffa la lettre au r o i , qui par un procédé pour
lequel il n’y a point d’expreffion, la fit voir ail
comte de Montforeau, en lui permettant ou lui
commandant la vengeance. Le comte força fa
femme d’écrire à Bufïy pour lui donner un nouveau
rendez-vous: BuîTy vint, 8c trouva au
lieu de.la comteffe, des aiTaffinscuiraffés , contre
lefquels il fe défendit long-temps ; enfin fe voyant
près de fuccomber , il faute par une fenêtre,
& dans l’inftant même, un coup d’épée le ren--
verfe mort dans un foffé du château, où félon
d’autres, Bufïy ayant été arrêté par fort habit
aux pointes d’une grille de fer qui fe trouvoit
fous la fenêtre , les affaffins l’y poignardèrent
à loifir. Que de crimes en un feul ! Un amant
qui par vanité compromet avec fa vie , l’honneur
8c la vie de fa maîtreffe ; un prince
qui , par jeu & fans intérêt , expofe ainfi fon
ami & une femme ; un roi qui livre fi lâchement
ces viârimes à la vengeance d’un époux ou-'
tragé ; un mari, qui fe permet une fi exécrable
vengeance! Le plus coupable fans doute eft le roi.
C ’efl le duc d’Anjou qui termine la nombreufe
lifte des amans d’Elifabeth, reine d’Angleterre, '
auffi fameux, auffi trompés que les amans de
Pénélope ; c’eft celui de tous qui a été le plus
autorifé à fe flatter d’obtenir fa main. L’amitié
qu’il avoit montrée pour l’amiral de Coligny,
les liaifbns qu’il avoit eues avec les réformés
de France , la haine que lui portoient Henri
HI & les Guifes , étoient pour lui des titrés de
recommandation auprès de la reine d’Angleterre
& Catherine de Médicis elle - même prit foin de
faire valoir ces titres. Le duc d'Anjou paffà en
Angleterre & parut plaire à la reine, malgré
l’énorme difproportion d’âge , ou peut être à
caufe de cette difproportion ; le mariage fut ré-
folu au grand mécontentement des Anglois & fur-
tout des Puritains ; les articles furent dreffés, &
ces articles , par l’attention même avèc laquelle
on y avoit pourvu aux principaux inconvéniens
de ce mariage, fembloient garantir la fincérité
de la reine ; aucun emploi ne pourroit être donné
aux étrangers ; il n’y auroit dans toutes les places
du royaume que des garnifons Angloifes , & que
des gouverneurs Anglois; la reine ne pourroit
fortir du royaume fans le confentement de la
nobleffe ; les joyaux de la couronne ne pourvoient
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non plus être tranfportés hors du royaume ; fi
Henri III mouroit fans enfans mâles, & que le
duc d'Anjou eût deux fils de fon mariage avec
Elifabeth ( qui avoit alors quarante huit ans
paffés ) l’aîné auroit la couronne de France, le
fécond celle d’Angleterre ; s’il n’y avoit qu’un
fils , il réuniroit les deux couronnes ; mais il
paffieroit quatre mois de l’année en Angleterre.
La reine choifit le jour même de l’aniverfaire
de fon couronnement pour donner au duc d’Anjou
un anneau , gage de fa foi. Ce jour fut un jour
de deuil pour la nation ; un morne filence régnoit
jufques dans le palais de la reine, fes femmes
panèrent la nuit à pleurer, la reine même parut fe
repentir d’avoir été trop vite & trop loin ; prête à
faire le facrifice de fa liberté , il fembla qu’elle en
fentoit mieux le prix ; elle propofa des délais qui
eurent l’air de refus, 8c allégua des prétextes qui
eurent l’air de défaites ; enfin n’ayant rien à répondre
aux préfixantes follicitations de la France,
8c paroiffant rougir elle-même de fes incertitudes ,
elle prend la plume pour figner les articles ; fes
miniftres étoient autour d’elle, aucun d’eux n’ap-
prouvoit ce mariage, & c’étoit par les ordres
exprès de la reine qu’ils avoient dreffé le contrat ;
elle laiffe tomber fur eux un regard, jette la plume
fans avoir figné, & s’écrie : on ne fait donc pas
que ce mariage me fera mourir. Le duc d Anjou
étant venu la voir : » j’ai fait, lui dit-elle, de
w férieufes réflexions fur ce qui nous concerne ;
î> ce mariage ne feroit lii votre bonheur ni le
» mien. Vous neconnoiffezpas le peuple Anglois;
» jamais un prince catholique 8c François ne doit
» compter fur fon obéiffance , j’aurois la douleur
» d’être perpétuellement placée entre mon mari &
» mon peuple «. Le prince s’emporta, brifa l’anneau
, voulut partir. La reine, qui ne l’avoit
jamais tant aimé, le retint encore pendant trois
mois, & ces trois mois fe paffèrent en fêtes. Elle
ne ceffa de lui donner des marques d’eftime, de
confiance & d’amitié. Lorfqu’il partit pour retourner
dans les Pays-Bas , elle le conduifit jufqu’à
Cantorbéri, lui fit des préfens confidérables, le fit
accompagner en Flandre par les feigneurs de fa
cour en qui elle avoit le plus de confiance ; elle
les chargea de le recommander de fa part aux
Etats, & comme elle ne pouvoir fe réfoudre à
ôter toute efpérance à un amant, elle lui fit promettre
de revenir au plutôt la vo ir , & lur fit entendre
qu’il trouverait peut - être fes irrésolutions
fixées. Le duc d Anjou , lorfque fa funefte expédition
d’Anvers ne lui laiffoit plus d’amis, lorfqu’il
étoit devenu pour tout le monde un objet de haine
& de mépris, retrouva Elifabeth; elle vint à fon
fecours , & lui procura l’accommodement le plus
avantageux qu’il pût efpérer des Etats - Généraux
après fa trahifon.
Le feul dèfagrément qu’eut le duc d Anjou pendant
fon féjour à Londres, fut de voir mener au
fupplice quelques prêtres qu’on avoit rendus fana-
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tiques en les perfécutant, & de ne pouvoir obtenir
leur grâce.
Au refte la conduite d’Elifabeth à l’égard du duc
d Anjou dans l’aft’aire du mariage, fut peut-être
plus fincère qu’on ne l’a cru ; il paroît que cette
princeffe étoit très-combattue, oc qu’une crainte
légitime triompha chez elle d’un penchant véritable.
Cette crainte n’étoit pas feulement de perdre
l’empire & la liberté. Qu’on fe rappelle les larmes
de fes femmes, lorfque l’anneau eut été donné ;
qu’on fe rappelle ce mot d’Elifabeth elle - même :
Ou ne f a i t donc pas que ce mariage me fera mourir !
8c l’on jugera peut-être que la nature ne lui avoit
en effet permis le mariage qu’aux dépens de fa vie.
C ’eft même l’opinion affez généralement établie.
» Cette princeffe , dit Mézerai, étoit formée de
» telle forte, qu’elle aimoit paffionnément, mais
» ne pouvoit être ,aimée jufqu’à être mère , fans
» un très-grand péril de la vie «.
Le duc d Anjou, à fon retour à la cour de
France après l’expédition d’Anvers, ayant été
| quelque temps négligé, parce qu’il étoit malheureux
, finit par être recherché de nouveau, parce
qu’il étoit l’héritier préfomptif; le duc de Guife
voulut l’attirer au parti de la ligue, & le duc
d Anjou écouta peut-être plus qu’il ne devoit, cet
ennemi de 1a maifon. Un jour on vit ce prince
tomber aux genoux du roi, fon frère ; on ne pouvoit
entendre leur entretien , mais on crut remarquer
que depuis ce temps la haine du roi pour le duc
de Guife avoit été en augmentant.On crut remarquer
auffi que depuis ce temps la fanté du duc d Anjou
avoit toujours été en dépériffant ; il paroît que fa
maladie étoit une phtifie ; la violence de la toux
lui ayant rompu une veine dans la poitrine, il
jetta beaucoup de fang, ce qui a fait trouver, quelque
rapport entre fa maladie & celle de Charles IX.
On ignore ce qu’il auroit été fur le trône, & fi le
malheur qu’il avoit éprouvé l’auroit aigri ou corrigé
; on a dit qu’il n’avoit été pleuré que de fes
créanciers, que fa mort ruinoit ; il laiffa pour trois
cents mille écus de dettes contractées pour fa mal-
heureufe expédition de Flandre ; on pouffa l’indécence
jufqu’à laiffer un fils de France mourir ban-'
queroutier ; le roi, qui avoit le goût des cérémonies
funèbres, aima mieux dépenfer deux cents
mille écus aux funérailles du duc d Anjou que de
payer aucune des dettes de ce prince. Le délire
de l’injuftice ne peut guéres aller plus loin.
Henri IV , qui avoit fi bien connu le duc d Anjou,
mais qui avoit été fon rival à beaucoup d’égards ,
difoit de lui : » Il a fi peu de courage, le coeur fi
» double & fi malin, le corps fi mal bâti, &c. ».
Le roi Jean difoit, que » fi la bonne foi étoit
» bannie du refte du monde, elle devroit fe re-
» trouver dans la bouche des rois». La reine
Marguerite, qui avoit aimé le duc d Anjou, fon
frère, avec une tendreffe qu’on avoit voulu ne
pas croire innocente, difoit cependant de lui: Si
toute la mauvaife foi étoit bannie de la terre, il la