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Jiifque-là les fouverains de Pologne n’avoient
été que des ducs vaffaux de l’empire. Bolejlas af-
piroit à fe dégager de cette fervitude, la voie des
armes lui parôiffoit incertaine , & aufli funefle
aux vainqueurs qu’aux vaincus. Il prit un moyen
.plus sur oc peut-être plus glorieux. Il fit publier
avec pompe, dans toute l’Allemagne , les miracles
de faint Voice chus. On y accourut des bords
de la mer Baltique, de l’Océan. & de la Méditerranée.
Plus il y-eut de fpe&ateurs, plus il y eut
de prodiges. Cette célébrité eut tout l’effet que
Bolejlas en avoit efpéré. L’empereur Othon III',
qui venoit de vifiter à Rome les tombeaux des
apôtres, voulut aufli vifiter celui de l’évêque de
Prague ; il alla en Pologne. Bolejlas le reçut avec
une magnificence dont la nation eût pu murmurer,
fi le fuccès de fa prodigalité ne l’eût juftifiée. Les
fêtes fe fuçcédèrent fans interruption. L’or-, l’argent
& les meubles précieux qui y brilloiënt ,
éîoient diftribués le foir aux gens de l’empereur.
Le lendemain nouveaux apprêts, nouveaux pré-
fens. L’empereur en fut accablé. Sur la fin d’iin
repas, dans un de çes momens où les plus imp.ér
nétrables politiques éprouvent des effufions de
coeur, Qthon mit la couronne impériale fur la tête
de Bolejlas , lui permit d’arborer les armes de
l’empire , le nomma ro i, & l’affranchit, ainfi que
fes fucceffeurs, de tout devoir de fervitude envers
les empereurs. Ce fut l’an 1001 qu’une fête opéra
cette révolution qui aurpit coûté plufieurs fièclçs de
guerre.
Le roi marcha incontinent contre Bolejlas, duc
de Bohême , punit, par des ravages affreux, ceux
qu’il avoit faits en Pologne, fournit la Moravie,
défit en bataille rangée Jaroflas, duc des Ruthé-
jiiens , rendit à Stopale , frère du vaincu, là ville
de Kiovie , que celui-ci lui avoit enlevée distribua
à fes foldats tous les fruits de fa victoire.
Il retournoit en Pologne lorfqu’il fut attaqué par i
Jaroflas qui avoit raflemblé les débris de fon armée,
& l’avoit accrue par de nouvelles levées,
fine fécondé vi&oire les délivra de cet ennemi.
Les vaincus eux-mêmes lui donnèrent le furnom
de Crobri, c’çfl-à-dire, le redoutable' ou le courageux.
A fon retour il bâtit des églifes, & peupla
fes états de moines. Ces foins religieux ne le dér
toürnèrent pas des foins du gouvernement. Mais
ennuyé d’un trop long repos , il entra dans la Saxe
qu’il trouva déferte. Il réduifit les villes en cendre,
ravagea les champs, pénétra dans la Pruffe
fous prétexte dç venger la mort de faint Adal-
bert, pilla-, brûla, faccagea toute cette contrée ,
força les habitans à lui payer tribut & à recevoir
l’évangile, & fit élever une colonne fur la rive
de la Doffâ comme un monument de fes cpnr
quêtes.
Il rentroit en Pologne lorfqivil apprit que les
Ruthéniens paroiffoient déjà fur les frontières, ayqnt
Jaroflas à leur tête. Il y courut. Les deux armées
fp trouvèrent en préfepçe, le fleuve Bogns les
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féparoît ; les valets des deux armées y aîloient
abreuver leurs chevaux ; ils s’infultèrent de part &
d’autre. Des injures ils en vinrent aux coups ; les
foldats y coururent ; les deux armées prirent les
armes ; la bataille devint générale. Les Polonois
traversèrent le fleuve, mirent les Ruthéniens en
déroute , & Bolejlas demeura viftorieux l’an
1018.
Le reffe de fon règne fut paifible ; il forma
un confeil de douze fénateurs , avec iefquels il
jugea lés différens des particuliers ; il entretenoit
les parties à fes frais, payoit leurs avocats , &
rendoit fouvent par fes bienfaits à celle qu’il avoit
condamnée, ce qu’il lui avoit ôté par fon juge-?
ment. Cependant il courboit fous le poids des années
, fon génie s’éteignoit par dégrés, il fit venir
Miceflas : » Mon fils, lui dit-il, je vais defeendre
” au tombeau , je vous laiffe un trône affermi par
» mes victoires, forvez Dieu, protégez la religion,
» honorez le fénat, aimez votre peuple , foyez
» moins fon maître que fon père ; fuyez la vot
?> lupté. Le prince qui s’y abandonne , fût-il fou*
” verain du monde entier, eft le plus vil des ef-
» claves «. Il mourut peu de temps après avoir
défigné Miceflas pour ion fucceffeur. La Pologne
le pleura pendant une année entière ; les fêtes publiques
furent proferites ; un deuil général régna
fur toute la Pologne. Jamais douleur ne fut fl profondément
fentie & fl bien méritée. Bolejlas avoit
coutume de dire , • qiùïl aimait mieux vivre d’un
morceau de pain grojjier., & voir jon peuple dans
Vabondance , que d’avoir une table fomptueufe , &
de laijferjes fujets dans l’indigenee. Mais on ne peut
diflimuler que s’il fut le bienfaiteur des Polonois, il
fut-le fléau de fes voifins. La Pruffe conquife fans
raifon, la Saxe ravagée, même fans prétexte, a£?
foibliffent l’idée fublime de fon caraftère que donne
la douceur de fon gouvernement,- ( M, de Sa c y. ) Boleslas I I , ( Hijl. de Pologne, ) roi de Pologne
, fuccéda en 1058, à Cafimir I. Ion père. Son
extrême jeuneffe n’allarma point les fages de la
nation. Ses talens avoient devancé fes années. Ses
grâces conquéroient tous les coeurs, & fa politique
fubjugeoit tGus les efprits. Né généreux & compa-
tiffant, il fuivit ce. penchant fublime. Zaflas, due
de Kiovie , perfécuté par fes fujets , dépouillé
par fes frères, trouva dans Bolejlas un ami. Bêla,
frere d’André, roi de Hongrie, chaffé par ce prince
qui avoit ufurpé la couronne au préjudice de fes
droits, fut reçu avec tous les égards dus à fon rang &
à fon malheur; Jaromir, prince de Bohême, qui avoit
eu le fort des deux premiers , fut reçu comme eux
à bras ouverts, Wratiflas, due de Bohême, s’avança
à la tête d’une armée, pour punir la Pologne d’avoir
donné line retraite à fon frère; mais il rencontra
Bolejlas .dans le moment où il croyoit ce prince plus
occupé à confoler Jaromir qu’à le venger. Bolejlas
fit envelopper les Bohémiens dans un bois, rejetta
avec hauteur les proportions de paix qu’on lui fit,
% àfloit exterminer g ra tifias , fi une rufe 4e guerre
fl?
ne l’avoit dérobé au fort qui le itienaçoit ; enfin on
négocia, la paix fut fignée, Wratifias époufa hwiaii-
tochna , foeur de |Bolejlas. Mais Jaromir, qui fe
croyoit plus en sûreté auprès de fon ami qu’auprès
de fon frère, demeura en Pologne.
Les Pruffiens voyant Bolejlas occupé du côté de
la Bohême, refufèrent de payer le tribut qu’ils lui
dévoient, bâtirent vers les frontières de la Pçlogne
une fortereffe capable de renfermer une armée,y fou-
tinrent un fiège contre Bolejlas qui fut contraint d’abandonner
fon entreprise : ces barbares qui n’avoient
d’autre but que le pillage , ne combattoient qu’en
fuyant, n’attaquoient que des convois, & ne connoif-
fbient de l’art de la guerre que les rufes & les fineffes;
enfin Bolejlas fut les furprendre fur les bords de
l’iOffa, & en fit un tel carnage, que les eaux de
cette rivière parurent, plufieurs heures, teintes de
fang.
Revenu vainqueur de cette expédition, Bolejlas
çn entreprit une autre pour fon ami Bêla ;, les fe-
çours que l’empereur avoit accordés au roi André,
les forces de ce prince, la multitude dès Eohémiens
qui s’enrôloient foùs fes drapeaux, la: difficulté de
vaincre un ennemi puiffant dans fes domaines, tous
çes- obilacles n’arrêtèrent point Bolejlas ; il conduifit
Bêla en Hongrie, & préfênta la bataille à. fon frère.
André fut vaincu., tomba entre les mains des
Hongrois qui l’avoient trahi, & fut affommé par
ces perfides.
, Bolejlas , après avoir donné une couronne à fori
ami, voulut en acquérir une nouvelle pour lui-
même; la Ruffie avoit été conquife par Bolejlas 1.
Pour y rentrer plus sûrement, Bolejlas II époufa
une princeffe Ruflè, nommée TVifrejlava : bientôt il
s’arracha des bras de fon époufe, pour tenter de
nouvelles entreprifes, Vifleflas., duc dePoloczk ,
s’enfuit à fon approche. Le roi de Pologne fut reçu
en triomphe flans Kiovie, & mit le üège devant
Prefmilie, placé qui pouvoit être regardée alors
comme le chef-d’oeuvre des fortifications; Une foule
de payfans ruffes s’y étoient retirés de toutes parts,
mais cette multitude mal aguerrie, montra peu de
fermeté dans la défenfe & peu d’ardeur dans les
forties. Bolèjlas livra, trois affauts à la fois, & fe
rendit maître de la-ville; la citadelle fut forcée ,
quelque temps après , d’ouvrir fes portes. Le roi,
flans le cours de fes fuccès , difparut pour aller l’e-
courir les fils de Bêla, à qui Salomon , fils d’André
, difputoit l’héritage de leur père. Mais en arrivant,
il trouva ce différent terminé par l’entre-
jnife de quelques prélats, revint- en Ruffie ,, marcha
contre W frewold qui avoit chaflé fon frère Zaflas
de Kiovie, l’attaqua près des murs de cette ville ,
& remporta une viâoiie également funefte aux deux
partis. Son armée en fot tellement aftoiblie, qu’il
fut- contraint de remettre le fiègè de Kiovie à l’an-
pée fui vante 1075.
Il attendit à peine le retour du printemps pour
^’entreprendre: Les travaux furent pouffésavec tant
p | vigueur, que la bréçhe fut bientôt praticable,
' Hijloire, To<ft. /. Deuxième part.
Un aflàut pouvoit rendre Bolejlas maître de la
place ; mais ayant appris que les affiégés, après
lavoir épuifé leurs vivres, aîloient bientôt manquer
même de ces vils alimens qui font frémir la nature
, il attendit que la famine Fui livrât cette conquête,
& ne voulut point hafarder le fang de fes
foldats : il ne l’avoit que trop prodigué depuis qu il
étoit fur le trône. La ville capitula, & le roi traita
les vaincus avec tant de douceur, qu’ils fe repentirent
eux-mêmes, de lui avoir réfifte. Jufques-là ,
Bolejlas avoit été doux, humain, généreux , brave,
ardent, infatigable; mais arrêté par les délices de
Kiovie, comme Annibal par celles de Capoue , il
perdit comme lui fes vertus & fa gloire. La volupté
flétrit fon courage par dégrés ; efclave de
vingt maîtrefîes , il oublia qu’il avoit des fujets.en
Pologne ; fes foldats s’abanflonnèrent aux mêmes
excès : en vain leurs femmes les rappelloient dans
leur patrie, elles fe vengèrent de leurs infidélités,
en époufant leurs efclaves. La plupart de ces époux
irrités retournèrent en Pologne pour réparer la
perte irréparable de l’honneur. Bolejlas abandonné
par fon armée, fut contraint de rentrer dans fes
états ; il fignala fon retour par des fupplices. Ceux
qui avoient lés premiers abandonné fes enfeignes ,
périrent fur l’échafaud. Leurs femmes qui les
avoient rappellés , eurent le même fort. Les enfans,
nés de leurs mariages avec leurs efclaves, furent
ou égorgés fans pitié , ou expofés avec plus de
barbarie encore. Bolejlas étoit' devenu féroce, ennemi
des hommes & de lui-même ; tout dégoûtant
du fang de fes fujets, il fe replongea dans les.vô-'
; luptés qui l’avoient abruti, & fit de fon palais une
! fécondé Kiovie. Saint Stanîflas, évêque de Craco-
vie, bfa s’élever contre ces délordres avec le cou- ---
ragé qu’infpire la vertu, & cette autorité que les
eccléfiafliques avoient alors dans l’europe. Bolejlas
indigné qu’un feul homme, fans armes, fans défenfe,
ofat lui reprocher fes crimes , quand toute
la Pologne trembloit fous lui, chargea des officiers
de le délivrer , par un affaffinat, de ce cenfeur
importun. Mais le cara&êre de doucenr & de ma-
jêfté répandus fur le front du préjat, glaça leur
courage ; le tyran ne voulut plus confier fa vengeance
à des mainsétrângères,il entra dans l’églife,
afyle facré de Stariiflas, lui porta le premier coup,
& abandonna fon cadavre à fes courtifans encouragés
par fon exemple.
Grégoire VII lança en 1079 un interdit fur la
Pologne, & ne diftingua point le peuple innocent
du maître coupable. Bolejlas fût déclaré déchu de la
cotironne , fon royaume abandonné au premier
conquérant, fes fujets dégagés du ferment de fidélité.
Ceux - c i , pour calmer la fureur du pontife,
fe foulevèrent contre leur prince. Odieux à fes fu*
jets, à lui-même, il s’enfuit à la cour de Wratiflas ,
qui n’avoit point oublié les fervices que ce prince
j ayoit rendus, à Bêla fon père. Les Polonois laifc
sèrent Bolejlas. tranquille dans fa retraite : les fou-
J flrçs de Rome le- pourfuivirent jufques dans cet
Nnnn