
682 B O U
prince eft trop' Connue pour que nous nous y arrêtions
ici.
La haine & la vengeance l’avoient égaré dans la
carrière de la gloire ; il réjetta les faveurs folides
que la fortune & l’amoür liai offroient dans fa
patrie * pour pourfuivre des chimères dans des pays
étrangers, Elclave de fes pallions & de fes efpé-
. rances | il rampa le moins baflement qu’il put dans
la cour la plus orgueilleufe, qui croyoit lui faire
grâce en permettant qu’il la fît triompher. Ses rivaux
qu’il effaçoit, traversèrent toutes fes entre-
prifes j ils feignoient de le méprifer comme rebelle,
pour fe venger d’être contraints de l’admirer & de
le craindre comme un homme fupérieur. L’Efpagrie,
qu’il fervit trop bien, le négligea ; l’Italie qu’il op-
primoit, le détefta ; la France qu’il trahit, fut plus
indulgente, elle le plaignit. On s’y fouvenoit toujours
qu’on avoit autrefois vaincu fous lui & par
lui, on rejettoit toute la haine de fa s révolte fur la
ducheffe d’Angoulême qui l’y avoit forcé. C’étoit
elle feule qu’on accufoit d’avoir enlevé à la patrie
& donné aux ennemis tant de valeur & de talens.
On jugeoit qu’un héros n’avoit pas dû être opprimé
pour n’avoir pu aimer une'femme. Il s’en faut bien
que la mémoire du connétable de Bourbon ne foit
odieufe en France comme celle de Robert d’Artois
, avec lecruel fon fort eut d’ailleurs tant de conformité
; c’en que Robert d’Artois avoit été fauf-
faire avant d’être rebelle ; des crimes volontaires
l’avoient conduit à ce crime forcé ; on n’avoit vu
au contraire dans Bourbon, avant qu’un afcendant
malheureux l’entraînât au crime, que de la grandeur
& de la générofité; il ne lui avoit manqué pour
être toujours grand que de favoir fouflrir des injures,
& ne s’en pas .venger.
Lorfqu’il avoit tiré fes troupes du Milan ès &
qu’il les avoit fait défiler vers Pavie, il leur avoit
annoncé qu’il les altoit mener dans un lieu ou elles
- s’enrichiroient à jamais. Le ton dont il faifoit cette
promeffe , l’air de myflère & de confiance à la
fois quon voyoit fur fon vifage, piquoit & ré- 1
veilloif -les elprits ; on ne parloit plus que des
victoires de Marignan St de Pavie ; ôn efpéroit tout
du héros qui avoit fixé la fortune dans ces deux
batailles, on ne pouvoit que vaincre fous lui ; tout
retentifloit de la gloire ; les foldats dans leurs
chanfons l’élevoient au-defiiis de tous les conqué-
rans. Nous vous fuivrons par-tout, crioient-ils avec
un enthoufiafme effréné, dujfie^-vous nous mener à
tous les diables ! Ces tranfports, ce dévouement
aveugle étoient pour Bourbon le dédommagement
le plus flatteur de fes difgraces ; fes longs ennuis
cédoient au plaifir fi touchant de fe voir adoré par
tant de" braves hommes, & d’être plus roi dans
fon camp que Charles - Quint & François I ne
l’étoient dans léurs cours. Ce prince fi fier & fi
froid avec les courtifans, favoit gagner les coeurs
des foldats par l’affabilité, comme il favoit exciter
leur admiration par fa valeur ; il affeétoit avec eux
ce ton d’égalité qu’il connoiffoit fi propre à les
b o u
féduire î mes enfans, leur difoit-il 9 je fuis un pauvri
cf v^lier, je n’ai pas un fol non plus que vous
f aifons fortune enfethble. Il leur avoit diftribué fa
vaiffelle, fes meubles, fes bijoux , fes habits, &
ne s’étoit réfervé qu’une cafaque de toile d’argent,
, qu’il portoit fur fes armes ; fon armée étôit devenue
‘ fa famille, fa patrie , fa fortune. Bourbon ne favoit
plus lui-meme jufqu’ou ce pèrfonnage d’avantiirier
illuflre alloit l’entraîner ; il poüvoit être duc de
Milan, il pouvoit fe faire roi de Naples, il pouvoit
bouleverfer l’Italie , & y fonder une monarchie
nouvelle , une jufte vengeance l’animôit contre fon
Pays j^ou la ducheffe d’Angoulême régnoit encore
fous 1 autorité de François I. Il étoit mécontent de
1 empereur, qui ne lui avoit point tenu parole fur
fon mariage avec la reine de Portugal, & qui ne
vouloit l’employer que comme un infiniment fer-
vile de fa grandeur ; il avoit à fe faire un fort également
indépendant & de fes ennemis & de fes
protecteurs. Son armée étoit plus à lui qu’à l’empereur
, mais les intérêts de l’empereiir dévoient
fervir de prétexte à toutes fes démarches, & de
principal fondement à fobéiffance de fes troupes,
ju'qu’à ce que les conjonctures lui permiffent de
leyer le mafque & de s’approprier le-fruit de fes
travaux; c’eft du moins tout ce qu’on peut entrevoir
de fes projets, à travers le voile impénétrable
dont ils font rêftés couverts.
, Quelques hiftoriens ont écrit que fort deffein
qtoit de faire fa paix avec la France aux dépens
de 1 empereur, auquel il devoit enlever le royaume
de Naples. Mezerai parle d’une lettre de Bourbon au
roi, laquelle, dit-il, fe voit en bon lieu, & qui
contient ces mots : Naples vous donnera des preuvei
de ma repentance & juftifiera ma faute* Mais les traces
de ce projet font trop foibles & trop équivoques
pour être érigées en preuves.
Il déclara enfin à fes troupes que c’étoit à Rome
qu’il les menqit, il les remplit de fon ardeur, on
ne fongea plus qu’à le fuivre, à vaincre & à s’enrichir.
Quand il fut fous les murs de Rome, « voici,
leur dit-il, » l’objet de nos defirs, le terme de
» notre courfe, la fin de nos maux, la fource de
» notre fortune ».
Ayant reconnu la place, iî difpofatout pour un
aflaut, il.;court à une brèche qu’on n’avoit pas eu
le temps de relever, Appliquant le premier une
échelle à la muraille , il eft à l’inflant fuivi de
tous fes Allemands. Le premier coup d’arquebufe
parti des remparts, renverfa ce héros fi brillant, fi
dangereux, & termina fes agitations avec fa vie.
Le coup qui le frappa, lui laiffa ' cependant le
temps de mourir en héros comme' il avoit vécu.
Dès qu’il fe fentit bleffé mortellement, il dit à un
capitaine gafcon, nommé Jonas ou Gogna, de le
couvrir d’un manteau, & de cacher fa mort, de
peur qu’elle n’abatît le courage des foldats ; Jonas
exécuta cet ordre , & Bourbon expira-fur le champ
à l’âge de trente-huit ans, le dimanche 5 mai 1527.
Le Ferron dit qu’il refpiroit encore lorfque Rome
B O U
fut prife \ qu’il fut porté dans les murs de cette
place, & qu’il y expira.
Philibert, dernier prince d’Orange de la maifon
de Chalon, qui, à la mort du duc de Bourbon^
dont il fut témoin, fe trouva chargé de l’exécution
de fon entreprife, cacha aux foldats la mort de ce
général, jufqu’à ce que leur courage & leur conf-
tance les euffent conduits au haut des remparts à
travers tous, les obftacles ; alors pour les rendre
inacceflibles à la pitié comme ils l’a voient été à la
crainte, il annonça que Bourbon étoit mort, &
qu’il falloit le venger. La rage s’empara aufli-tôt de
tous les coeurs ; on ne. refpira plus que fureur &
que vengeance ; on n’entendoit que des voix féroces
de foldats qui s’animoient au carnage & qui
crioient horriblement : Carné , carné , fangré, fangré.
Bourbon , Bourbon. Le pillage dura deux mois fans
interruption. Rome avoit trouvé plus de traces
d’humanité dans ces brigands barbares qui l’avoient
faccagée autrefois fous les Alarics ï les Genferics ,
les Totilas.
' Les foldats de Bourbon, obligés dans la fuite de
quitter Rome , ne voulurent pas fe féparer de leur
général, ils emportèrent fon corps àGaëte, où eft
fon tombeau ; les. Impérialifles lui firent une épitaphe,
dans laquelle ils ne célébrèrent que ceux de
les exploits qui leur avoient été utiles.
A u B o imperio ,
Q a llo viSo
Superatâ I ta liâ ,
Pontifice obfejfo ,
Româ captâ ,
Borbonius hic jacet.
C’efi-à-dire :
Après avoir aggrandi l’empire ,
/ Vaincu les François ,
Dompté l’Italie ,
Afliégé le pape ,
Pris Rome ,
Cy-gît Bourbon•
On trouve dans Brantôme la traduction d’une
autre efpèce d’épitaphe du même général faite en
italien :
[ D'aflèz, aflez a fait Charlemagne le preux,
Alexandre le Grand , de peu fit plus grand’chofe ;
Jdais de néant a fait plus que n’ont fait les deux ,
Charles „ duc de Bourb on, qui ci-defTous repofe.
A la mort du connétable de Bourbon, Charles de
Bourbon, duc de Vendôme, devint le chef de la
maifon de Bourbon. Sa branche, défignée par ce nom
de Vendôme, étoit iflùe de la branche de la Marche;
l’une l’autre defçendoit du connétable Jac-
B O U 68$
ques de Bourbon la Marche, tué à Brignais. Jean
de Bourbon, fon fils , époufa Catherine de Vendôme
, qui fut l’héritiere de fa maifon. Louis de
Bourbon, comte de Vendôme, leur fécond fils , fut
la tige de la branche de Vendôme. Jean, fon fils ,
eut d’Elifabeth ou Ifabelle de Beauvau deux fils,
dont l’aîné, François, fut le père de Charles, duç .
de Vendôme, & le cadet, Louis, prince de la
Roche-fur-Yon, époufa la foeur du fameux connétable
Charles III, tué à Rome , & fut la tige des
ducs de Montpenfier, branche aujourd’hui éteinte.
( Voye^ l’article Auvergne. ) Ce fut en faveur de
Charles que François I érigea le Vendômois en
duché-pairie par lettres du mois de février 15 14 ,
c’eft-à-dire, 1515 ; il lui donna aufli le, gouvernement
de Picardie, où le duc de Vendôme rendit les
plus grands fervices jufqu’au temps où les allarmes
caufées par la défection & la fuite du connétable 9
firent retenir Vendôme auprès du roi. Ces précautions
étoient bien fuperflues, Vendôme, fujet fidèle
& citoyen zélé, ne voyoit que les intérêts de l’état,
& ne fuivoit que fon devoir. On eut lieu de le
reconrioître dans une occafion bien importante. Aux
premières nouvelles du défaftre de Pavie & de la
captivité du roi, on avoit voulu engager le duc de
Vendôme à demander la régence en qualité de
premier prince du fang ; il n’étoit que le fécond ,
mais le duc d’Alençon, qui avoit fui à la bataille
de Pavie, n’étpit pas encore revenu d’Italie, & il
mourut peu de temps après fon retour. Cette mort
St la profcription du duc de Bourbon rendirent le
duc de Vendôme premier prince du fang; on l’affu-
roit que le parlement feroit pour lui ; on lui étaloit
les droits de fà naiffance, on offroit fans ceffe à fon
reffentiment l’outrage fait au nom de Bourbon dans
la perfonne du connétable, St les biens de cette
maifon poffédés à fes yeux par la ducheffe d’Angoulême
; on lui exagéroit ce qu’il devoit à fon nom
& aux intérêts de fa maifon ; le fage Vendôme crut
devoir encore plus à l’état, il répondit à ceux qui
lui propofoient de le troubler, que le fervice dix
roi & les ordres de la régente l’appelloient à Lyon,
qu’il alloit travailler avec elle à procurer la fureté
au royaume St la liberté au roi. Le duc de Vendôme
mourut à Amiens, le 25 mars 1537. Son fils aîné
fut le roi de Navarre, Antoine de Bourbon. ( Voyeç
Antoine.) Ses autres fils fe trouveront aufll à leurs
noms particuliers.
Le duc de Vendôme n’appelloit le foi François I
que monfieur, enlui parlant. C ’étoit autrefois une di£
tinétion commune à tous les feigneurs du fang3 François
I ne la conferva qu’au premier prince du fang.
Bourbon eft aufli le nom de deux poètes latins
modernes, tous deux nommés Nicolas, & dont
l’un étoit le petit-nçveu de l’autre. Le premier fut
rinflituteur de Jeanne d’Albret, mère de Henri IV.
Il eft connu par un poème de la Forge ( Ferraria )
qu’il avoit compofé à l’âge de quinze ans, & dont
Êrafme faifoit cas 9 St par huit livres d’épi grain-
Rrrr z