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pour un modique fret, du caffé dés Compagnies,
qui le verfent dars les vaiffeaux qu’elles, expédient
de Malabar & de Coromandel pour ^Europe.
Je ne parle pas du changement qu’a dû
apporter ce trafic, à l’égard des François, la
liberté du commerce rendue à ces derniers depuis
la Révolution.
Nonobftant ce commerce du cafFé à Mokha,
les Européens n’ont pas cependant eeflé entièrement
de tirer du cafFé du Caire & d’Alexandrie.
Car il efi à remarquer que celui qui
leur vient par cette voie, & qu’on nomme foutent
cafFé de Turquie, a toujours été meilleur
que celui qu’ils vont chercher à Mokha, &
qu’on nomme tantôt cafFé Moka, à caufe du
lieu où on le prend, tantôt cafFé des Indes, à
caufe qu’ il efi apporté en Europe par les vaiffeaux
qui reviennent des Indes. Le grain de
celui-là efi plus petit, plus verdâtre, plus parfumé
& généralement plus eflimé que le grain
de celui-ci qui efi plus jaunâtre. Voici, félon
Bradley, la.raifon de cette différence : les'marchands
Turcs vont en Yémen avant le tems de
la. meilleure récolte de chaque année. Ils fe
tranfportent dans les cantons qui produifent le
meilleur - caffé. Il y achètent le cafFé fur pied
en faifant prix pour la récolte de jardins entiers
ou d’une certaine quantité d’arbres, à-peu-
près, dit Bradley, comme font les Marchands
de fruits en Angleterre pour les cerifes de Kent •
©u à.peu-près comme font les Marchands de
fruits des environs de Paris pour les cerifes de
la vallée de Montmorency. Ils ont grand foin
de ne recueillir ce caffé que lors de fa parfaite
maturité. Ils le font préparer eux-mêmes avec
foitî. Enfin ils le font tranfporter, en leur pré-
fence, fur des chameaux, aux différens ports de
l’Yémen, de-là au port Dsjidda, de-là à Suèz,
de-là fur des chameaux à Kahira, puis.de-là en
defeendant le Nil, jufqu’à Alexandrie, d’où on
l ’embarque pour l’Afie ou pour l’Europe. Il n’efi
pas étonnant qu’en s’y prenant de cette manière,
ces marchands réuffiffent à avoir le plus excellent
caffé que l’Arabie produife. Le caffé , qui
fe vend à Mokha , n’efi que celui qui a été
rebuté par les marchands Turcs. Il efi compofé
de celui récolté dans les cantons les moins favorables
y ou de celui récolté fur de jeunes
Caffeyers, q u i, comme j’ai dit, efi toujours
plus gros & n’cft jamais aùffi bon que celui des
vieux, ou de celui récolté en Automne ou en
Hiver, qui n’eft jamais auffi parfaitement mûr
que celui récolté au Printems & en Eté. Enfin
il efi récolté, préparé, confervé & tranfporté
avec moins de foin. 11 n’eft pas toujours aifé
aux Européens de fe procurer de ce eaffé de
Turquie, car étant regardé en Egypte & dans
#ous les pays Mahométans, comme une denrée
de première néceffité*, il efi, fuivant M. Niébuhr,
ééfndu à Kahira d’en exporter en Europe. Ce
c Af
n’efi qu’en faifant aux Agens du Gouvernement I
& aux Officiers des douanes des préfens plus 0ll|
mpins confidérables, fuivant leurs caraéleres on
leurs fantaifies, qu’on réuffit à faire fortir (]e I
l’Egypte environ cinq mille fardes ou un niiul
lion & demi pefant de caffé d’Arabie, qui, félonI
le même Auteur, s’importent annuellement àf
Venife , à Livourne, à Marfeille, & dans les
autres ports de l’Europe.
Suivant le même Auteur, les habitans de la ]
Haute-Egypte tiroient autrefois' de Suèz & M
Kahira tout le caffé Arabique qu’ils co.nfom-1
moiçnt, & ils le payoient cher. Mais IbrahimI
Kichia ayant mis à Suèz un très-gros impôt fir I
le caffé, ils cherchèrent à fe le procurer pari
une autre voie, & en trouvèrent une, qui, en 1
même-tems quelle les délivre de cet impôt,eftl
beaucoup plus courte & plus naturelle que.celle I
de Suèz.*, ils le font maintenant venir par Koffir,!
port de la côte d’Egypte, dans la mer Rouge,»
cent lieues au Sud de Sués, &. par ce moyen J
ils ont cette denrée beaucoup plus facilement & I
à beaucoup meilleur marché qu’auparavant. 1
Suivant le livre cité de M. Raynal, édition
1780, dont j’ai fait ul’age en plufieurs endroits I
de cet article, Caffeyer, le caffé qui fort chaque I
année d’Arabie, peut fe monter à douze ou treiztl
millions de livres pefanr. Les Européens en ache-1
tentun million & demi-,les Perfans trois millions»
demi*, la flotte de Suèz, fix millions & demi;T
l’Iijdoflan, les Maldives, & les Colonies Arabes]
de la côte d’Afrique, cinquante milliet s ; & lesl
Caravanes de terre, un million. Suivant Je mème-l
; livre, les caffès enlevés par lès Caravanes &pari
[ les Européens, font les mieux choifis, & ils!
coûtent en Yémen, feize à dix-fept fols la livre*
les Perfans qui fe contentent des caffés inférieurs*
ne payent la livre que douze à treize fols. Elfel
revient aux Egyptiens à quinze ou feize fols
parce que leurs cargaifons font compofées eifl
partie de bon & en partie de mauvais caffé. Enl
r'éduifant le prix moyen de tous ces eaffés af
quatorze fols la livre, leur-exportation doitfairéi
entrer chaqûe année dans l’Yémen, huit à neuf
millions de livres. Il efi curieux de- comparer «
tableau de î’exportation du caffé hors dé PYémeitl
avec celui donné un fiècle auparavant par Dufoul
dans fon Traité du caffé imprimé à Lyon $1
1685. La quantité du caffé, dit-il, que l’on ennr
barque chaque’année dans l’Yémen pour Geddfl
& qui efi tranfportêe de-là fur des vaiffeaux®
des' galères à Suèz, & de Suèz fur des chamean^
au Caire, efi d’au moins vingt-cinq mille ballfl
de trois cens livres chacune. Outre cela, » e
fort annuellement d’Arabie fur des chameau*
par la Caravane qui retourne de Médine a®
les pèlerins, quinze mille balles du même p01"*™
là ont quatre à cinq mille font deftinées p°
Damas & Halep. Ajoutez que les Arabes1
tranfportent une grande quantité à fô
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■ ,flnr Cette grande foire qui s’y tient lors du
EndBéiram. Le grand Béiram efi la grande fête
Hes Mahométans qu’ils célèbrent, chaque année,
abord après leur Ramadan ou carême, les deux
a trois premiers jours du dixième mois de leur
lannée compofée de douze mois lunaires. Toutes
IL différentes & nombreufes caravanes qui fe
Irouvent à cette foire, fe chargent de caffé à
leur retour, chacune pour fon pays.
On voit, par la comparaifon de ces deux Au-
leurs, que l’exportation du caffé d’Arabie n’efi
■ pas plus confidérable aujourd’hui qu’elle étoit il
■ y a un fiècle. Mais cela n’a rien de furprenant,
malgré la prodigieufe augmentation qu’a éprouvée
la confommation de cette denrée pendant l’e f-
pace de ce fiècle; car il y a un| fiècle on ne
Eultivoit le Caffeyer & on ne récoltoit le caffé
|én aucun autre endroit du monde que dans
l ’Yémen ; maintenant ces circonftançes font bien
■ changées. Il y a un fiècle , les Européens fen-
loient bien depuis long-tems quels avantages im-
inenfes ils obtiendroient s’ils pouvoient natura-
lifer ces arbres dans leurs Colonies; mais ils dé-
ïefpéroient d’y jamais réuffir. Ils avoient fi fou-
Kent tenté envain de faire germer le caffé du
Commerce, qu’ils étoient généralement perftiadés
mue les habitans de l’Yémen avoient'la précaution
de tremper dans l’eau bouillante ou de faire
ïécheT au feu tout le caffé qu’ils débitoient aux
Étrangers, dans la crainte que cette plante- ve-
mant à être élevée ailleurs que chez eux, ils né
merdiflent tout l ’or qu’ils en retiroient. Il étoit
méfendu dans l’Yémen, fous les peines les plus
■ révères, d’en exporter cette plante vivante : &
fihatpe Arabe étoit intéreffé perfonnellement à
»exécution rigoureufe de cette loi, il étoit difficile
d’efpérer de la tranfgrefièr avec fuccès &
impunité; d’autant plus que les plantations de
ICaffeyers, dans l’Yémen, font toutes éloignées
pu bord de la Mer. Voici ce que Jean-Ray
lécrivoir dans fon Hiftoire des plantes ( Hiftoria
lantarum •) en 1690, en partant du Caffeyer.
“ C’eft un arbre qui naît entre les Tropiques,
fi & feulement dans l’Arabie heureufe. Les Arç-
fi hes détruifent dans les femences qu’ils vendent
I® h faculté de germer. Ils en retirent d’im-
f i menfes richçffes; tellement qu’ils attirent à
r €Ux celles de tout l’Univers, en échange de
P ces feules femences par lesquelles cette partie
P de; l’Arabie efi vraiment très-heureufe. Il efi
P incroyable combien de milliers de boiffeaux
P ns en vendent aux Turcs, aux autres Orienta
& aux Européens. Il efi étonnant qu’un
P n grand tréfor foit le partage d’une feule Na-
_ ,on> & puiffe être contenu dans les bornes
■ trQites d’une feule province. Il efi furprenant
1 ?ne l’envie ou l’avarice n’aient pas déj<à de-
I» àrte ° ”o’temPs porté les Nations voifines, ou
R devaffer ce pays, o\i à lui enlever parfor.ee
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ou par adrefle, foit des plans vivâris de ces
» arbres, foit des femences propres à germer.
” Quel dragon affez vigilant, ces Arabes ont-ils»
” donc pu prépofer à la garde de leurs Gaffe-
” teries! Comment les récoltes d’urïe feule con^
” trée peuvent-elles donc fuffirc à la confom*
n rnation de tout l’univers? jy
Mais, pendant le tems que Ray écrivoit ainfi,
les Hollandois qui, comme j’ai dit, étoient les*
premiers d’entre les Européens à faire le commerce
directe du caffé à Mokha, portèrent en'
même-tems leurs vues plus loin. Leur activité
induftrieufe triompha de tous les obfiacles, &
ils réuffirent à conquérir cette fouree de prof-
périté. Voici çe que rapporte à ce fujet Je célèbre
Boërhaave dans fon Catalogue des plantes1
du jardin académique de Leide ; ( Indexplantarum
horti acad. Lugd. Bat. ) partie i . e page 217.
“ Nicolas Witfen, Bourguemefire d’Amfterdam ,
” & Gouverneur des ‘Indes Orientales, avoir
» fouvent par fes lettres, mandé à Van-Hoorn,
” premier Préfident de la Compagnie des Indes
” Orientales, réfident à Batavia, capitale de
I l’Ifie de Java, qu’il tâche de fe faire rapporter
” rie la ville de Mokha, de l’Arabie heureufe,
» des femences récentes de Caffeyer, & de les
| planter avec foin dans i’Ifle de Java. Ce que
n Van-Hoorn ayant fait, il obtint bien-rôt un
» grand nombre d’arbres, & en envoya un à l’ho-
” norable Gouverneur, lequel auffi--tôt, avec une
É grande générofité décora de cet incomparable
>v ornement, le jardin d’Amfterdam, dont il a
1 été autrefois le fondateur. Cef arbre y a
” fruélifié, & fes fruits ferinés prodqifent incef-
» famment de nouveaux plants. De forte que
n .c efi aux foins & à la libéralité du feul Wiflèrf
» que l’on doit le fpeéhacle de cet arbre rare
» en Europe, & que ceux qui en ont parlé
5) autrement font dans Perreur, comme cef
» homme relpeèlable me l’a fait favoir lui-
même par une lettre qu’il m’a écrite. Ainfi,
dit Linnæus, il n’eft pas invraifemblable quer
comme quelques-uns le croÿent, le Caffeyer
ait été planté à Java dè*l’an 1690. Auffi-tôt que
les Hollandois tinrent cette plante, ils s’adonnèrent
avec une telle ardeur à la multiplier dans' leurs
poffeffions d’entre les Tropiques, qu’au bout
d un périt nombre d’années,- ils en poffédoient
dimmenfes plantations aux deux extrémités du
globe, dans les Ifies de Java & - de Ceylan, à
Surinam & aux- Berbïces, & ils furent les premiers
Européens qui fe montrèrent fur .chacun
des deux Océans avec des vaiffeaux chargés de
caffé de leur crû. La Hollande n’a pas été auffi
avare de cet arbre que de ceux à épiceries. Elfe
na pas été plutôt en po fié filon de cette magnifique
conquête, qu’efie l’a libéralement partagée
avec des autres peuples de l’Europe, qui font
ainfi redevables de tous les avantages que leurs
Colonies en- ont retiré depuis