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au defpotlfme, en troublant inceffamment leur
raifon , qu’ils étourdiffoient encore par les chansons
bacchiques, dont ces lieux rctenriffoient.
Il crut donc pouvoir tolérer ces dernières fo-
ciétés, qui n’étoient comparables en rien aux
premières, où la boiffon du Caffë en fortifiant
1 entendement, & la mémoire ne faifoit qu’augmenter
pour ion maître le danger de ces rafi-
femblemens de raifonneurs. Depuis cette fup-
preffion des caffés à Conftantinople, perfonne
n’a entrepris de les y rétablir. Mais ce réglement
n’y a pas diminué l’ulage du caffë, & en a
peut - être étendu la confomma'tion. On rencontre
dans toutes les rues & dans tous les marchés,
des gens qui portent du caffë tout préparé dans
de grandes cafferières fufpendues au-deffus d’un
réchaud allumé, & qui le difiribuent dans des
tafies à tous les paffans. Ceux-ci font , dans l’habitude
de s’afleoir pour le prendre, à la première
boutique qui fe préfente, dont, le maître regar-
deroit comme incivil de n’en pas accorder la.
permiffton. On en prépare dans toutes les mai-
fons. II n’y a pas de famille, aifée ou pauvre,
Turque , Grecque,Àrméniéne,. Juive , &c. où.
l’on n’en prenne au moins deux fois par jour
régulièrement; fans compter celui qu’on prend,
outre cela à route heure indifférement ; vu qu’il
cfi d’ufage d’en préfenrer à tous ceux qui viennent,
& qu’il feroit également impoli de ne le
pas offrir, ou de le refufer. E t, quoique le caffé
y fort à auffi bon marché que j’ai dit, il y a peu
de maifons où l’on ne dépenle en caffé pour
le moins autant qu’à Paris en vin. Au furplus,
ce réglement ne s’étend pas plus loin que la
Capitale : & le nombre des maifons de caffé
-n’a ceffé d’augmenter & de s’étendre, ainfi que
l’ufage de cette boiffon, tant dans tout le refie de
l’Empire Turc, que dans laPerfé, TA rménie, l’Egypte
, l’Arabie , la Barbarie, & en un mot dans
toute l’étendue du Mahomëtifme: de telle forte,
qu’il y a pins d j cent cinquante ans, que le
caffé eft regardé dans tons ces pays , comme tellement
de première néceffité, que c’efi une des
chofcs à l’égard defquelies l’homme , lorfqu’il
fe marie, eft obligé de donner des affurances à fa
femme qu’elle n’en manquera pas; que le manque
de caffé, à l’égard de la femme, eft unedescaufes
légitimes de divorce ; & que, dans-tous ces pays, on
•s’intéreffe autan t à l’abondance, &au prix du caffé,
qu’à l’abondance & au prix du bled. Enfin ce n’eft
pas feulement dans toutes, les Villes grandes &
petites, que les maifons de caffé fe font multipliées
innomb'rablement ; il n’efi pas dans toutes
ces vaftes contrées, de village ou de hameau ,
fi petit foir—i l , où il n’y en ait; il n’eft pas de
-routes, même les moins fréquentées, où Ton
ne rencontre à chaque pas des maifons de
caffé.
On conçoit que ce qui a le plus contribué à
faire répandre fufage général du caffé, parmi
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tous ces Peuples, c’eft le précepte de letir îejy
gion , qui, comme j’ai déjà d it, leur défend
très-févèrement de boire du vin ni d’aucun*
autre liqueur fermentée. Le caffé leur tient lien
de vin; & tant dans tous' les villages, que m
les routes, les maifons de caffé tiennent lieu de]
cabarets. Les peuples chrétiens n’avoient pa|
d’auffi puiflants motifs que les Mahométans, pour
adopter l’ufage du caffé: niais, lorfcju’ils eurent
éprouvé les bienfaits de cette boiffon, ils fend-
rent bien-tôt que toutes, leurs liqueurs fermen-l
tées ne pouvoient la remplacer.
Introduction & progrès de l ’ufage du caffé, parmi
les Peuples Chrétiens. .
Il paroît que c’efi feulement vers la fin du
feizième fiècle, qu’on a entendu'parler pour la
première fois du caffë dans l’ Europe Chrétienne.
A la vérité, les Philologues fe font imaginé!
qu’il en eft fait mention dans la Bible, & que]
c’efi la boiffon du caffé qu’Abigaïl auroit apporté
à David.Sam. I. X X V . v. 18. On a encore]
dit, que c’eft le, caffé, nommé ban comme j’ai dit
par les Arabes , bon & ban, par les. Egyptiens,
qui eft mentionné fous le nom-de bunckos dans
Avicenne, qui écrivoit vers d’an 900. Mais ces
deux; opinions font au moins fort douteufesJ
& fi les paffages cités pour les. prouver défignent
le caffé , .ils font au moins très - défeéhtcux &|
très-obfcurs. Le premier Auteur où les peuples!
chrétiens aient vu une mention .certaine du
caffë, eft Rauwolf. qui voyageoit .dans le Levant,
en 1573 , & qui en parle fous le nom de
ckauke, dans La relation de fon voyage, rnife au
jour en 1582 : &..le premier qui leur ait donné
une defeription de cette boiffon , c eft Profper
Alpin en 1591 , dans fon Traité des Plantes d’E*
gypte : il dit que les Turcs ; les Egytiens &
les Arabes préparent une boiffon , qui eft très-j
commune clans leurs pays , avec la décoéfion
du bon , ou ban. ; qu’ils la boivent au lieu de vin;&
qu’ils la vendent & la donnent à boire dans des mai-
fons publiques, de la même manière que le vinfè
vend en Europe dans les cabarets;, qu’ils nomment
cette boiffon , caova ; que l’arbre qui produit
le bon a le port du Fufain; enfin que cette
boiffon a d’excellentes propriétés^ fortifie l’efto-j
mac , aide la digeftion , détruit Ies< obffruèlionsl
des vifeères , pouffe les régies, &c. Cet Auteur al
donné en même-tems une figure du Caffeyerj
Arabique , niais très-mauvaife, &qui efifort loin!
d’en donner une idée paflabie. Jacob Cotovicus fait;
auffi mention du caffé dans fes voyages de JH
rufalem, en 1598 , il dit que c ’eft" un breuvage
fort ufité en ce teins, parmi les Turcs»
les Arabes-, que ces derniers le nomment cahuçA
& que d’autres l’appellent bunnu. Le Chancelier
Bacon en a fait aufli mention en 1624 • ,
Turcs ont, dit-il, une boiffon nommée M l
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rails préparent dans Peau chaude, avec une
Lie noire comme de la fuie de cheminée, d’une
«leur âcre & aromatique, & rnife en poudre:
Ils la boivent chaudement. Il y a apparence ,
fue le premier qui ait fait voir du caffé dans
'Europe chrétienne eft Pietro délia Valle. Ce
fayageur écrivoit, de Cbnfiantinopîe , en 1615 :
Juand je ferai fu r ie point de m’en retourner,
remporterai avec moi & je ferai connoître
l’Italie cè fimple qui lui eft peut-être inconnu
lifqü’à :préférât. Ainfi, il y a lieu de croire que
es Italiens "'font les‘premiers entre les peuples.
Chrétiens, chez qui cette fâmeufe boiffon fe foit
introduite. Elle eft paffée1 en fuite à Paris, avant
m164 3. On a des preuves, dit Au blet, que
durant! le: règne de Louis X I I I , il le vendoit
Vous le petit Châtelet à Paris, de la décoélion
le caffé fous le nom de cahové ' ou cahovet. Il
eft très-probable que ce débit n’a pas été considérable1;
& n’a pas duré long-rems. La'Roque
nous apprend , qiveri 1644, Ton père introdui-
(it cette boiffon a Marfeille, & qu’il y apporta, lors
[luretour - de Ton voyage au Levant, rion-feule-
ment du' caffé ,'mais encore; une colleéLion
pour lors très-eufieufe de taffes de porcelaines,
de tous les autres petits meubles, uftenfiles , &
inges de mouffeline brodés d’or , d’argent ou
de loie qui fervent à l’uFage de cette boiffon
m Turquie. Cè premier 'iifage - du caffé à Mar-
Hcilie ne s’étendit pas au-delà d’un certain nombre
d’amis , qui, comme le Pèfe dé la Roque ,
avoiênt pris les manières du Levant. Suivait
tGallanci, : lë caffé Tut une fécondé . fois rintro-
puit à Paris en 1657 , par Thévênot le Voya-
feeur, qui au retoür de fon voyage au Levant, en
rapporta beaucoup pour fon propre ufage ;,
P en régaloit fouvent fes amis. Selon le même
|a Roque , vers l’an 1660 , plufieurs marchands
F Marfeille j qui- avo'ient fait un long féjour
pns- le Levant , • .qui y avoiem pris une i
grande habitude-du caffé; voulant continuer de
jjouir dès'avantages qu’ils en reffentoient, en ap>- 1
portèrent à' leur retour, &. en communiquèrent
raun grand' nombre de perfonnes, qui s’y accoutumèrent
comme eux : de forte que cet ufage
devint en peu* de temsTamilier à Marfeille , d’abord
chez des principaux marchands & gens de
per , dont quelqives-uns s’avifèrent d’en faire
p ir quelques balles d’Egypte, & enfuitepar-
11 les autres habitans. Bien-tÔt après, il paffa
r, & i l 'y fit promptement des progrès,
^ ““drables. Avant Tannée 1 <$69 , excepté
I l-‘venot & fes à-mis, & encore quelques personnes
qui revoient pu prendre du caffé , une
semaine d’années auparavant , fous le périt
^ àtelet, perfonne à Paris ne connoîffoit cette
|Oll‘0n > ni la graine avëc; laquèUe on la pré-
rf* aiureirient-)3r la 1 • q7n’ é-- rpa. r . -qU“u*e"l q* ues, o. ui-dire ., &
. ie^ relations de's Voyageurs , citées7'^ plus
ut-Mais cette * année-là, diftinguée dans fiotre
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Hiftoire par Tambaffade folemnelle de Soliman
Aga , qui fut envoyé à Louis XIV , par le Sultan
Mehèmet I V , doit paffer pour la véritable
époque de la première introduction de T ufage
commun du caffé à Paris. Car cet Ambaffadeur
& lés gens de fa fuite en apportèrent beauconp
8i en préfemèrent, fuivant la Coutume de leuf
pays, à tant de .perfonnes de la Cour & de la
V ille , qui rendoient vifite par curiofité au Mini
ftre Turc, que beaucoup d’habitans de cetré
Capitale y prirent goût & s’y accoutumèrent,
les uns à câufe du bien qu’ils s’appercevoient
en recevoir , les autres à caufe de l’éloge que
ces Turcs en faifoient, d’autres à caufe de la
nouveauté, &c. Cet Ambaffadeur qui étoit arrivé
au mois de Juillet 1669., n’eut audience publique
du Roi, que le 5 Décembre fuivant, &
ne partit pour s’en retourner , qu’au mois de
Mai 1670, Ainfi, fon féjour à Paris dura près
d’une année entière : ce qui fut un tems fuffi-
Tant pour mettre le caffé à la mode. Cette mode
n’a ceffé, d’avoir lieu & de s’étendre depuis le
départ de cet Ambaffadeur : de forte que peu
de tems après ,- les marchands de Marlèille &
de Lyon , prirent l’habitude de faire venir d’Egypte
, de Smirne & des autres Echelles du Lev
ant, des vaiffeaux chargés de caffé.
Il paroît par -[’Hiftoire chronologique du
Commerce!, faite par Anderfon , & par les
traités parricu-liéiis faits fur le,caffé , par Bradiez.,
& Ellis,. que la première maifon de ; caffé
qui fut; ouverte au public en Europe , le fut
à Londres, en l’an .1652'; à moins qu’on ne
regarde comme un caffé cet endroit quelconque,
fous le petit Châtelet à Paris,.où j’ai dit que Ton
vendit pendant quelque tems de la décoélion de
caffé, durant le règne de Louis XIII. Avant
cette -année 1552 , on n’avoit point vu de caffé
à Londres. A cette époque , un marchand nommé
Daniel Edwards, à fon retour de S'myrne à
Londres, rapporta beaucoup de caffë , & amena
avec’ïuinn certain Pafqua Rofée, Grec’ de Ragufe,
qui avoit coutume de lui préparer tous les
matins Ton caffé. Ce breuvage nouveau attira
un fi grand concours de monde dans la maifon
•d’Edwards que cela .lui faifoit perdre la plus
grande partie defon. tems : tellement qu’il trouva
expédient, pour fe délivrer de cet embarras, de
mettre Pafqua Roféè en fociété avec le ' cocher
de fon gendre , nomme Kitt ^ pour faire & veri-
dre publiquement cette liqueur. Ils établirent
leur maifon publique de caffé , en Tallëe Saint-
Michel dans le Cornhill à Londres. Ç eft ainfi
que le premier caffé fut ouvert dans cette Capitale,
précifément dans le même-tems que Ton
fermoir tous, lès caffés à Conftantinoplë. Peu
dé : tems après ; ces deux hftbciés rompirent leur
ToCiété, fe fépàrent, & Kitt établit un fécond
caffé fous une tente au cimetière Saint Michel,