la main suffisait pour détourner et changer la direction de toutes
les lances du monde. Néanmoins il loua beaucoup le womera
ou bâton à jeter, car il convenait que, par suite de son élasticité,
l’arme recevait un grand surcroît de vitesse. Il fut évidemment
affligé de voir le corps du vieillard percé par la lance, et sans
doute il ‘'eût tiré vengeance de cette action sur son auteur
s’il n’en eût été empêché par les instances des spectateurs. Les
naturels s’étalent formé des idées extravagantes sur le compte
de cet étranger ; ils redoutaient de s’en approcher, et l’évitaient
autant qu’il leur était possible; mais on ne saurait dire
si ce sentiment tenait à une sorte de déférence pour le rang
qu’ils lui supposaient, d’après les attentions qu’on lui témoignait,
ou bien s’il ne tenait qu’aux craintes superstitieuses
excitées par son apparition , bien que la dernière conjecture
soit la plus probable. Un de ses fils conversant familièrement
avec un groupe considérable de naturels touchant l’usage de
la lance, ceux-ci convenaient généralement de la justesse de
ses remarques. Il les pria de lui en prêter une, qui lui fut
aussitôt présentée ; mais dès qu’ils virent cette arme entre ses
mains, ils s’enfuirent tous, hommes, femmes et enfans, et
les protestations les plus amicales ne purent les déterminer
h revenir avant que l’étranger eût quitté la lance. On ne
peut supposer que les dispositions prononcées de Tepabi
pour la civilisation , pussent trouver un spectacle agréable
dans les manières d’une race dégradée qui depuis tant d’années
avait dédaigné les bienfaits de cette civilisation. On ne peut pas
non plus imaginer que l’implacable vengeance exercée sur un
malheureux pour un crime que les coutumes de sa nation
l’avaient conduit à commettre, pussent en aucune manière se
concilier avec les sentlmens de justice de ce cbef. »
Si l’on en croit les rapports des capitaines des baleiniers dans
la mer du Sud, les abondantes provisions de patates, l’assistance
pour se procurer l’eau et le bois, ainsi que l’accueil hospitalier
et la protection qu’ils ont constamment reçus de la
part de T ep ab i, toutes les fois qu’ils ont mouillé dans la baie
des Iles, donnent lieu de croire que lo résultat de sa visite sera
d’assurer la continuation de ses bons procédés vis-à-vis des baleiniers
de la mer du Sud, et de procurer de nouveaux avan-
tages pour l’avenir.
Le caractère de Tepahi fut ainsi décrit par un colon très-
respectable (jui l’avait souvent vu, et semble l’avoir observé
avec beaucoup de discernement,
« Tepabi, dit l’observateur, paraît être un homme d’un ju gement
supérieur; il aimait beaucoup à faire des questions, et
examinait avec attention les diverses manufactures établies
dans la colonie. Il admirait particulièrement l’art du cordier
et du tisserand , et il exprimait le regret profond qu’il avait de
ce que ces métiers ne fussent point connus dans son pays. Il
faisait des observations très-fines et très-justes sur les lois et la
police de la colonie, et paraissait désirer ardemment d’emmener
avec lui quelques artisans qui pussent introduire chez son
peuple les avantages de la civilisation. Avec une seule pomme
de terre qu’on lui laissa, il y a quelques années, on dit qu’il
a su remplir le pays de cette utile racine, dont il avait eu la
sagesse d’apprécier toute la valeur. Il en inspectait personnellement
la culture , en conservait pour semence, et recueillait
des méthodes pour la planter en grand dans son district. Il est
maintenant en état de fournir aux navires européens cet important
article de nourriture. »
Le chef et ses enfans restèrent quelque temps ici. Lors de
leur départ, afin de cultiver une connaissance dont le début
semblait tant promettre, le gouverneur fit équiper convenablement
un navire colonial, pour les renvoyer chez eux d’une
manière honorable, et les combla de présens. Cependant, durant
la traversée le chef tomba malade, et un jeune bomme de
l’équipage reçut l’ordre de lui donner des soins. Tepabi fut si
content de l’attention de ce jeune bomme, qu’ilsuppliainstam-
ment le capitaine du navire de le laisser avec lui. Le capitaine
ayant reçu du gouverneur l’ordre de se prêter à tous les désirs
du ebef, consentit volontiers à sa demande. Le jeune bomme
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