tenter. Je donnai en même temps à l’officier des signaux de
nuit, avec promesse de lui envoyer promptement du secours
au cas qu’il fût attaqué.
» Les malades furent heureusement ramenés sur les vaisseaux
vers les onze heures de la nuit, sans aucun accident. Les sauvages
rôdèrent toute cette nuit aux environs du poste; mais
voyant que nos gens faisaient bonne garde, ils n’osèrent rien
entreprendre, ayant essayé à les surprendre.
» Le lendemain , i j juin , j’envoyai sur l’île un second détachement
avec deux officiers. Nous n’avions point encore notre
provision d’eau ni de bois pour continuer notre voyage.
Après ce que nous venions d’éprouver de la part des sauvages,
il y aurait eu beaucoup de difficulté à faire cet approvisionnement
sur la grande terre. L ’île Motou-Aro, placée au milieu
du port, à portée de nos vaisseaux, nous offrait du bois à discrétion
, et un ruisseau d’eau douce assez commode pour remplir
nos pièces; mais il y avait sur cette île un village de trois
cents sauvages qui pouvaient nous inquiéter. Je donnai ordre
à l’officicr qui commandait ce poste de réunir tout son monde
et d’attaquer le village de vive force, en cas que les naturels
parussent disposés à nous inquiéter, de le brûler et de nettoyer
entièrement l’île pour assurer notre aiguade.
» Après midi, les sauvages se présentèrent en armes assez
près du poste et firent des démonstrations de menaces, comme
défiant nos gens au combat. On se mit aussitôt en disposition
de les recevoir; on marcha à eux sans tirer, la baïonnette au
bout du fusil; ils s’enfuirent dans leur village; arrivés à la
porte, ils y tinrent ferme et jetèrent des cris affreux.
» Le chef Malou, maître du village, qui était un de ceux
avec lesquels nous avions vécu plus familièrement, était accompagné
de cinq autres chefs de différens villages, ou guerriers
principaux ; ils s’agitaient prodigieusement, excitaient de
la voix, et par le mouvement de leurs armes, les jeunes guerriers
à avancer sur nous, mais ils n’osèrent.
» Nos gens en ordre de combat .s’arrêtèrent à la portée du
pistolet de la porte du village ; là ils commencèrent la fusillade,
tuèrent les six chefs; aussitôt tous les guerriers prirent la fuite
au travers du village pour gagner leurs pirogues. Le détachement
les poursuivit la baïonnette dans les reins, en tua cinquante,
culbuta une partie du reste dans la mer et mit le feu
au village. Par ce moyen , nous restâmes maîtres de l’île ; nous
n’eûmes qu’un seul homme de blessé par un javelot, assez gravement,
à la partie supérieure du nez , au coin de l’oeil.
» Après cette expédition, nous rembarquâmes notre forge,
nos fers, nos pièces à eau, et je fis retirer entièrement le poste.
Je renvoyai ensuite couper les fougères qui étaient sur l’île ,
dans lesquelles les sauvages auraient pu se cacher pour nous
surprendre; car ces fougères étaient hautes de six pieds et fort
épaisses. Je donnai ordre d’enterrer les sauvages tués dans le
combat, avec l’attention de leur laisser à tous une main hors de
terre, pour fïiire voir aux sauvages que nous n’étions pas gens à
manger comme eux nos ennemis. J’avais recommandé à nos
officiers de faire leurs efforts pour nous amener quelques sauvages
vivans, et de tâcher de prendre des jeunes gens des deux
sexes ou des enfans; j’avais même promis aux soldats et aux
matelots cinquante piastres pour chaque sauvage qu’ils pourraient
amener vivant. Mais ces insulaires avaient eu soin de
mettre en sûreté , avant le combat, leurs femmes et leurs
enfans qu’ils avaient fait passer sur la grande terre. Nos soldats
tentèrent d’arrêter et de lier des blessés qui ne pouvaient fuir;
mais ces malheureux étaient enragés et mordaient comme des
bêtes féroces ; d’autres rompaient comme des fils les cordes avec
lesquelles on les avait liés; il n’y eut pas moyen d’en avoir un
seul.
Cependant, le vaisseau le Castries n’avait encore ni mât de
beaupré, ni mât de misaine. Il n’était plus question d’aller
chercher notre belle mâture de bois de cèdre que nous avions
trouvée sur la grande terre, et qui nous avait coûté des travaux
infinis pour la tirer de la forêt oû nous l’avions abattue. Nous
fîmes des mâts par un assemblage de plusieurs petites pièces de