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troi.s grandes pirogues contenant ensemble soixante-dix à
quatre-vingts naturels, qui faisaient voile pour le navire. Cela
causa une vive alarme à l’équipage qui, du reste, se disposa
à recevoir cbaudement les sauvages, dans le cas où leurs intentions
deviendraient hostiles. Quand la plus grande pirogue
vint .à approcher, un des naturels qui la montaient se tenait
debout, et par signes, comme par quelques mots de mauvais
anglais, il exprimait que son désir était d’être reçu à bord.
Ce naturel était Toupe-Koupa. Sa requête fut rejetée par le
capitaine Reynolds qui craignait quelque trahison ; mais lorsqu’il
eut remarqué qu’il n’y avait point d’armes dans la pirogue
, il la laissa accoster le navire. Alors le sauvage déterminé,
quoique le capitaine s’obstinât encore à ne pas le recevoir,
s’élança du milieu de ses compatriotes, et fut en un instant sur
le pont. La première cbose qu’il fit, après être monté à bord,
fut d’ordonner aux pirogues de se retirer à une certaine distance.
Son but était de montrer que ses intentions étaient entièrement
pacifiques. Puis, par des signes non équivoques, il demanda
au capitaine des armes à feu. Cette demande ayant été refusée,
il annonça sur-le-champ le projet qu’il avait formé de se rendre,
en dépit de toute résistance, en Angleterre. «Je vais en
Europe, dit-il, pour voir le roi Georges. » Embarrassé de cette
résolution, le capitaine, après avoir tenté en vain de lui persuader
de rentrer dans sa pirogue, ordonna à la fm à trois de
ses plus robustes matelots de le jeter par-dessus le bord. Il savait
que tous les Nouvcaux-Zélandais nagent fort bien, et les
pirogues étaient encore à une petite distance. Mais Toupe devina
son intention sur-le-cbamp se jetant tout de son long
sur le pont, il s’accrocha à deux barres de fer avec tant de
force, que , pour Ten détacber, il eût fallu employer une violence
qui répugnait à l’humanité du capitaine Reynolds.
Quand cette lutte eut cessé, le chef, car on ne pouvait plus
douter que tel ne fût son rang, se sentant fermement établi à
bord, annonça à ses gens dans les pirogues qu’il était en route
pour l’Europe, et leur ordonna de retourner à terre. Ceux-ci
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obéirent à Tinstant. Durant quelquesjours, le capitaine Reynolds
fit diverses tentatives pour le débarquer sur différens
points de la côte voisine , mais les vents Tcmpêchèrent d’effectuer
cette résolution. Pour cette raison , voyant qu’il ne pouvait
faire autrement, 11 renonça à Te.spoir de se débarrasser
de son hôte importun , et se décida à rendre son existence à
bord du navire la plus douce possible. Peu à peu les manières
du Nouveau-Zélandais lui concilièrent le respect et
Tattachemeut des matelots , et ils étaient ensemble sur le
pied le plus amical avant que le navire arrivât à Lima. A
Monte-Video, il survint un incident qui rendit indissolubles
les liens de Tamitié entre. Toupe et le capitaine Reynolds.
Celui-ci tomba â la mer, et eût péri sans l’intrépidité de
Toupe. Ce naturel s’élança à la mer après lu i, et l’ayant saisi
au moment où il coulait, il le soutint d’une main sur Teau,
tandis qu’il nageait de l’autre , jusqu’à ce qu’on eut pu les découvrir
du bord. Après cette aventure, Tattacbement de Toupe
et du capitaine Reynolds devint si fort, que le docteur Traill
raconte qu’à Liverpool le premier semblait tout inquiet quand
le capitaine restait absent une heure ou deux de plus que de
coutume ; et dans la crainte de voir son ami et protecteur s’éloigner
de lu i , il avait retiré le bagage du capitaine dans sa
propre chambre. D’un autre côté, la conduite du capitaine
Reynolds envers l’étranger, de l’entretien duquel il se trouvait
ainsi chargé, était marquée par des soins et une bienveillance
qui lui faisaient le plus grand honneur. Bien qu’il fut
sans emploi et que scs ressources fussent très-modiques, il les
partageait avec son ami, et il avait constamment résisté avec
fermeté aux propositions réitérées qu’on lui avait faites de
montrer Toupe pour de l’argent. Dans le temps de sa maladie
particulièrement, Toupe reçut les soins les plus attentifs du
capitaine et de sa femme. Sans la présence presque continuelle
du capitaine, le pauvre chef serait resté presque sans
appui, même après son arrivée en ce pays; car bien qu’il pût
comprendre quelque.? mots d’anglais, quand on lui parlait, il