riers, et allié aux familles de la première condition dans ces
contrées.
(Pages g4 et suiv. ) Notre départ de la baie fut retardé de
plusieurs jours par des vents contraires, après que Maounga
et scs amis curent pris un congé en règle les uns des autres,
de sorte que leurs visites se trouvèrent plusieurs fois répétées
durant ce délai.
Un jour ou deux avant notre départ, je l’avais revêtu d’habits
européens; ils étaient grossiers et semblables à ceux que
portent les matelots ,à la mer. Cependant Ils lui plurent ainsi
qu’à toutes ses connaissances ; il paraissait affecter une sorte
du supériorité sur ses anciens compagnons, et ceux-ci le considéraient
d’un air qui montrait qu’ils le regardaient comme
hautement favorisé par la fortune. Maounga supporta lo dernier
adieu avec beaucoup de courage, mais à mesure que nous
nous éloignions de la terre, son ame était en proie aux
plus vifs regrets. Le soleil se coucha dans tout son éclat sur
son île natale, et son oeil resta constamment fixé sur elle jusqu’au
moment où les ténèbres lui en ravirent Taspect. Le souvenir
des scènes de son beureuse jeunes.se, qu’il abandonnait
pour traverser un élément qui offre peu de plaisir et de repos,
lui fit plus d’une fois venir la larme à Toeil. Pourtant Maounga
voulut être un homme; il récita son chant du soir et alla sc
coucber.
Durant plusieurs jours encore Maounga regardait avec inquiétude
du coté de Toucst, où sa terre natale avait disparu à
ses regards ; mais il retrouva bientôt son courage, et, non content
de s’amuser lui-même, il élait un sujet d’amusement poulies
autres.
Durant la terrible et longue traversée de la Nouvelle-
Zélande au cap Horn, Maounga conserva beaucoup de gaieté;
son chant du matin et du soir ne fut jamais oublié. Il s’amusait
avec les matelots, et exerçait souvent à leurs dépens son
talent pour les grimaces.
La vue éloignée du cap Horn lui causa beaucoup de satisfaction;
je crois en effet qu’il commençait à craindre de s’être
embarqué sur un monde d ’eau, dans le sens littéral de ces
mots.
Quand nous approchâmes de la terre, et qu’il reconnut qu’elle
était couverte de neige, il parut grandement désappointé, et
décida qu il avait fait une sottise en quittant nn fertile et
beau pays pour une terre qui semblait totalement stérile
Ces sauvages estiment la valeur de la terre par la quantité
de patates quelle produit, et comme il ne voyait dans ce
pays aucune trace de culture, Maounga fut très-satisfait de
la quitter, et nous continuâmes notre route vers Sainte-Hélène.
lusieurs des oiseaux de mer que nous vîmes dans la traversée
étaient nouveaux pour lui et attirèrent son attention ; les poissons
volans l’amusèrent beaucoup. Il nageait parfaitement
bien, ainsi qu’on peut l’imaginer ; comme il faisait très-
chaud et que le navire marchait lentement, il se plaisait souvent
à se baigner. Dans une de ces circonstances, un très-
grand requin faillit mettre un terme aux voyages du pauvre
Maounga : nous vîmes le danger qu’il courait, nous l’avertîmes,
et il n’échappa qu’à peine aux mâchoires du monstre
vorace. Le requin suivit le navire durant quelque temps;
Maounga le contemplait avec horreur, en prononçant souvent
les mots : « Kaïore* ika mate mate Maounga— mauvais
poisson, tuer Maounga. » A la fin, A sa grande satisfaction ,
nous touchâmes à Sainte-Hélène.
La beauté du climat, les édifiées de la v ille, et les nombreux
vaisseaux mouillés dans la rade rendaient cette scène intéressante
pour toutes les personnes du bord; mais Maounga
en fut complètement enchanté; il dansait, chantait, et s’écriait
à diverses reprises ; «Paï ana, maiVei — très-bon, très-
* M. Savage traduit toujours kài ore ou kiooda, comme il l’écrit, par
mauvais; nous ne connaissons cependant qu’un sens de simple négation à la
première de ces expressions, car pour celle de kiooda., elle n’existe pas
dans la langue, à noire connaissance. (Note de M. d’Urville.)
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