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y fit transporter les malades, et y établit un corps-de-garde.
Les naturels nomment cette île Motou-Aro
»> A peine fûmes-nous mouillés, qu’il nous vint à bord une
quantité de pirogues, qui nous apportèrent du poisson ; ils nous
témoignèrent l’avoir pécbé exprès pour nous. Nous ne savions
quel langage parler à ces sauvages. J’imaginai par hasard de
prendre le Vocabulaire de l’île de T a ït i, que nous avait remis
l’intendant de l’Ile-de-France. Je lus quelques mots de ce Vocabulaire,
et je vis avec la plus grande surprise que les sauvages
m’entendaient parfaitement. Je reconnus bientôt que la
langue du pays oû nous étions était absolument la même que
celle de l’île de T a ït i, éloignée de plus de six cents lieues de la
Nouvelle-Zélande. A l’approche de la nuit, les pirogues se retirèrent
et nous laissèrent à bord huit ou dix sauvages qui passèrent
la nuit avec nous, comme si nous étions leurs camarades
et que nous fussions connus d’eux de tout temps.
» Le lendemain, le temps étant très-beau , il nous vint beaucoup
de pirogues remplies de sauvages qui nous amenaient
leurs enfans et leurs filles. Ils vinrent sans armes et avec la plus
grande confiance. En arrivant dans le vaisseau, ils commençaient
par crier Taro : c’est le nom qu’ils donnent au biscuit de
mer. On leur en donnait à tous de petits morceaux et avec une
certaine économie , car ils étaient grands mangeurs , et en si
grand nombre que , si on leur en eût donné suivant leur appétit,
ils eussent bientôt achevé nos provisions; ils nous apportaient
du poisson en très-grande quantité, et nous le donnaient
en troc de quelques verroteries et de morceaux de fer. Dans ces
premiers jours, ils se contentaient de vieux clous de deux à
trois pouces ; par la suite , ils devinrent plus difficiles , et demandaient,
en échange de leurs poissons, des clous de quatre
* Ou M. Crozet se trompe dans son journal touchant le nom de cette île,
ou elle a changé de nom depuis ce temps. Il est certain qu’elle se nomme
aujourd’hui Motou-Doua ou Motou-Roua, car les naturels confondent souvent
le son du d avec celui de 1’/*.
ou cinq pouces. Leur objet, en demandant ces clous, était d’en
faire de petits ciseaux pour travailler le bois. Dès qu’ils avaient
obtenu un petit morceau de fer, ils allaient aussitôt le porter
à quelque matelot, et rengageaient par signes à le leur .aigui-
.ser sur la meule ; ils avaient toujours soin de ménager quelques
poissons pour payer à ce matelot le service qu’il leur rendait.
Les d e u x vaisseaux étaientpleins de ces sauvages; ils avaientun
air fort doux et même caressant. Peu à peu ils connurent tous
les officiers des vaisseaux et les appelaient par leur nom. Nous
faisions entrer dans la chambre du con.seil les chefs seulement,
les femmes et les filles. Les chefs étaient distingués par des plumes
d’aigrettes ou d’autres oiseaux aquatiques, plantées dans
leurs cheveux au sommet de la tête.
» Les femmes mariées se reconnaissaient à une espèce de
tresse de jonc qui leur liait les cheveux au sommet de la tête.
Les filles n’avaient point cette marque distinctive; leurs cheveux
tombaient naturellement sur le cou , sans aucune tresse
pour les attacher. C’étaient les sauvages eux-mêmes qui nous
avaient fait connaître ces distinctions, en nous faisant entendre
par signes qu’il ne fallait pas toucher aux femmes mariées,
mais que nous pouvions en toute liberté nous adresser aux
filles. Il n’était pas possible en effet d’en trouver de plus faciles.
« Dès que nous eûmes connaissance de ces distinctions, on en
fit passer l’avis dans les deux vaisseaux , afin que chacun fût
circonspect à l’égard des femmes mariées , pour conserver la
bonne intelligence avec des sauvages qui nous paraissaient
si aimables, et ne pas les indisposer contre nous. La facilité
d’avoir des filles fit que nous n’eûmes jamais le moindre reproche
de la part des sauvages au sujet de leurs femmes, pendant
tout le temps que nous vécûmes avec ces peuples.
» Lorsque nous eûmes bien fait connaissance avec eux, ils
nous invitèrent à descendre à terre et à venir les visiter dans
leur village; nous nous rendîmes à leur invitation. Je m’embarquai
avec M. Marion dans notre chaloupe bieu armée,
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