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chefs de distinction, étaient allés vers le sud, pour une expédition
guerrière. Maintenant ils étaient de retour. Dans cette
expédition, Mou-Ina et son frère avaient eu leurs fils tués.
A mon arrivée, je fus d’abord conduit à deux des principales
femmes qui étaient dans une profonde désolation. L ’une
était la belle-fille de Mou-Ina, dont l’époux avait été tué et
mangé à Tara-Nake, dans un engagement contre le peuple
de ce district, et l’autre était la soeur de son défunt mari. Elles
étaient ensemble sous un toit à l’écart, poussant de profondes
lamentations et pleurant amèrement. L ’une avait une coiffe
de deuil faite d’une toile rouge, avec une frange autour
en poil de chien blanc, de trois pouces de long, qui pendait
sur son visage et le cachait en grande partie. Cette
coiffe était en outre bordée d’un ruban fait avec une étoffe de
l’Inde. Sa belle-soeur était costumée de la même manière,
seulement sa coiffe était en étoffe de Taïti. Elles semblaient
livrées .à la plus profonde douleur. Se désolant, comme dit
saint Paul, ainsi que des gens sans espoir, elles me firent
signe de m’asseoir près d’elles, ce que je fis. Aussitôt qu’elles
furent en état de me parler, elles me racontèrent la fatale
cause de leur désolation.
Tandis que nous conversions ensemble, un bomme en vigie
au sommet du pâ s’écria qu’une grande pirogue étrangère
remplie de monde s’approchait du rivage. Mou-Ina, avec la
conque suspendue .à son bras, donna aussitôt le signal de
l’alarme ; alors ses guerriers coururent aux armes dans toutes
les directions, et ceux qui étaient avec moi se ceignirent les
reins, prêts à combattre ou à prendre la fuite, suivant que les
circonstances en décideraient. Tous restèrent dans cette agitation
jusqu’au moment où la pirogue fut assez près pour
reconnaître ceux qui la montaient et d’où ils venaient. Quand
ils eurent rais pied à terre, on trouva que c’étaient des alliés,
qui étaient venus de deux journées de distance pour consoler
ceux qui avaient perdu leurs amis dans la dernière expédition,
et pleurer avec eux. Les femmes reprirent leur habillement de
deuil, et se rassirent au môme endroit où j’avais été conduit à
mon arrivée. Leurs amis, qui étaient venus pour les visiter,
s’assemblèrent en cercle, et commencèrent leurs pleurs et leurs
lamentations. Ils poussèrent de grands cris une bonne partie
de l’après-midi, et semblaient aussi accablés de douleur que
ceux qui étaient réellement en deuil.
Pâ de Moiangui.
Dans le passage que fît M. Marsden de Wangari à la
baie des Iles, il trouva un pâ très-romantique qu’il décrit
Le soir à la brune , nous atteignîmes le pâ on réside Moïan-
gu i, ce cbef qui accompagna M. Savage en Angleterre, il y a
douze ans environ. Le nom du pâ est Pâ-Ika-Nake. Il est assis
sur la cime d’un piton conique très-élevé, et entouré d’eau
à très-peu de cbose près, au moment de la marée baute. II
paraît inaccessible de tous côtés, <à l’exception d’un seul passage
étroit.
Aussitôt que les naturels virent la pirogue au pied du pâ,
ils se jetèrent au pa.ssagc avec leurs lances à la main, comme
s’ils allaient combattre un ennemi. Nous leur dîmes qui nous
étions; alors ils nous firent signe d’aller de l’autre côté du
pâ où nous pourrions mettre pied à terre, et nous invitèrent .à
passer la nuit avec eux. Cette invitation fut acceptée de grand
coeur, car nous souffrions du froid, de la faim et de la fatigue.
Dès que nous eûmes débarqué, on nous conduisit au passage
; je n’aurais pu le gravir sans secours, tant il était étroit
et escarpé. Quand j’eus atteint le sommet, je vis une foule
d’hommes, de femmes et d’enfans, assis autour de leurs foyers
et faisant rôtir des chevrettes, des crabes et do la racine de
fougère : il faisait alors tout-à-fait noir. Au pied du p â , le
rugissement de la mer dont les vagues roulent avec fracas
dans de profondes cavernes; les précipices élevés qui nous
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