bois que nous trouvâmes dans nos vaisseaux, et nous remâ-
tâmos enfin le Castries.
>• Il nous fallait sept cents barriques d’eau et soixante-dix
cordes de bois à feu pour les deux bàlimens ; il ne nous restait
qu’une seule cbaloupc pour ces travaux : nous lesacbevâmes
peu à peu dans l’espace d’un mois.
» J’envoyais tous les jours la chaloupe sur l’île pour faire alternativement
un voyage à l’eau, et l’autre au bois. Je faisais
escorter les travailleurs par un délacbemcnt qui revenait tons
les soirs coucher à bord du vaisseau.
» Un jour que la chaloupe était restée à terre plus tard que
de coutume, les sauvages y passèrent en nombre de la grande
terre sur l’île, par liu coté où ils ne pouvaient être aperçus.
La sentinelle, qui était placée sur une hauteur, vit venir à elle
un homme portant un chapeau et habillé en matelot, mais qui
marchait comme un homme qui se glisse et ne veut pas être
aperçu. La sentinelle lui cria d’arrêter : c’était un sauvage qui,
ne comprenant rien à ses cris, continua de s’avancer. La sentinelle
reconnut le déguisement, lui tira un coup de fusil et le
tua. Aussitôt on vit paraître une multitude de sauvages; le détachement
s’avança, leur donna la chasse, et en tua plusieurs
qu’on trouva vêtus des hahillemens des ollicicrs et des matelots
qu’ils avaient tués précédemment; les autres se rembarquèrent
dans leurs pirogues, et depuis cette tentative inutile les sauvages
ne parurent plus.
» Depuis le jour où M. Marion avait disparu, nous voyions
des vaisseaux les mouvemcns continuels des sauvages qui s’é-
laient retirés sur les montagnes : nous distinguions clairement
leurs sentinelles placées sur les parties les plus élevées de ces
montagnes, d’où elles avertissaient toute la troupe du moindre
de nos mouvemcns. Ils avaient toujours les yeux tournés sur
nous, et nous entendions parfaitement les cris de ces sentinelles
qui se répondaient les unes aux autres avec des voix d’une
force surprenante. Pendant la nuit, ils fai.saient des signaux
avec des feux.
» Lorsque les sauvages passaient eu troupes à la portée de
rarlillcrie de nos vaisseaux, nous leur envoyions de temps eu
temps quelques coups de canon, surtout pendant la nuit,
pour leur faire connaître que nous étions sur nos gardes ; mais
comme ils étaient hors de la portée de nos canons, ils n’en
éprouvaient jamais l’effet, et il était à craindre qu’ils ne s’enhardissent
à mépriser notre artillerie.
» Une de leurs pirogues, dans laquelle il y avait huit ou dix
hommes, passa un jour à portée du vaisseau le Castries, qui
d’un coup de canon coupa la pirogue en deux, et tua quelques
sauvages ; les autres gagnèrent la terre à la nage.
» Cependant nous n’avions pas de certitude sur le sort de
M. Marion, des deux officiers qui l’avaient accompagné le 12
de juin à terre, et de quatorze matelots qu’il avait emmenés avec
lui dans son canot, tant pour conduire ce bateau que pour
donner un coup de filet. Nous savions seulement, par le rapport
du matelot échappé le jour suivant du massacre des cha-
loupiers, que les onze hommes tués dans cette horrible trahi.son
avaient eu le ventre ouvert après leur mort, et que leurs corps
avaient été partagés par quartiers et distribués entre tous les
sauvages complices du massacre. Le matelot qui avait eu le
bonheur d’échapper avait vu, au travers des broussailles où il
s’était caché , cette scène d’horreur.
» Pour nous éclaircir sur le sort de M. Marion et sur celui
des compagnons de son malheur, j’expédiai la chaloupe avec
des officiers de confiance et un fort détachement, au village de
Takouri, que les sauvages nous avaient dit avoir tué M. Marion,
où nous savions qu’il avait été à la pêche, accompagné
de ce même Takouri, et où nous avions vu son canot, ainsi
que la chaloupe, échoués, portés à terre , et entoures de sauvages
armés. Je donnai ordre aux officiers de faire les perquisitions
les plus exactes, d’abord à l’endroit où l’on avait vu les
jours précédons nos bateaux échoués; puis de monter dans le
village, de le forcer s’il était défendu , d’en exterminer les hahitans,
de fouiller scrupuleusement toute.? leurs maisons pu-
TOME n r . 4