jamais les quitter. Il était âgé de vingt-quatre ans, joli garçon,
d’une taille moyenne, et il avait été bien tatoué. Mowry avait
été aussi proclamé cbef, et avait souvent accompagné les naturels
dans leurs combats. Il parlait leur idiome, et avait perdu
en partie l’usage de sa propre langue. Il me dit qu’il avait su
la prise de notre navire, et il me donna des détails sur la mort
de Smitb et de Watson, deux de mes infortunés compagnons; ’
à mon tour je lui racontai mon bistoire et les aventures qui
m’étaient arrivées.
» Le village de Tara-Nake est situé au bord de la mer; les
manières et les coutumes des babitans y sont les mêmes que
dans les autres parties de l’île. Nous y restâmes six semaines;
et pendant ce temps je guettai attentivement les navires qui
pourraient passer par le détroit; mais je n’eus jamais le bonbeur
d’en apercevoir un seul. Du reste, j’avais soin de cacber
mes intentions à Mowry, car il était trop attaché aux naturels
pour que je pusse me fier à lui.
“ En quittant Tara-Nake, nous fîmes route le long de la côte;
après un voyage de six semaines nous arrivâmes au cap Est,
où nous rencontrâmes un grand chef, nommé Pomare, et appartenant
à la baie des îles. Il nous dit qu’il résidait dans le
voisinage de M. Kendall le missionnaire. Il avait environ cinq
cents guerriers avec lui et plusieurs pirogues de guerre, dans
l’une desquelles je remarquai un coffre qui portait le nom
du capitaine Brin, du navire de la mer du Sud Asp. Ses gens
avaient aussi avec eux bon nombre de mousquets avec des
canons polis, quelques petits barils de poudre et une grande
quantité de patates et de nattes de lin. Ils avaient pillé et massacré
presque tous les peuples qui habitent entre le cap Est et
la rivière Tamise , et tout le pays tremblait au nom de Pomare.
Cc guerrier fameux nous montra les têtes de plusieurs des chefs
qu’il avait tués dans cette expédition, et il avait, disait-il,
l’intention de les rapporter avec lui à la baie des Iles, afin de
les vendre pour de la poudre à canon aux navires qui touchaient
en cet endroit. Ce chef et scs compagnons ayant pris
«
congé de nous et fait voile avec leurs pirogues, nous quittâmes
aussi le cap Est le jour suivant, et continuâmes notre route
pour revenir chez nous, marchant tout le jour, et la nuit
campant dans les bois, où nous dormions à l’entour de grands
feux et à l’abri des branches d’arbres. Ce fut ainsi que nous
arrivâmes au bout de quatre jours dans notre village, où je
fus reçu avec beaucoup d’allégresse par Esbou, l’aînée de mes
deux femmes. J’étais bien fatigué de mon voyage, ainsi que
mon autre femme Epeka qui m’avait accompagné.»
Pour préparer les têtes humaines, suivant Rutherford, on
vide d’abord entièrement la cervelle, et on arrache la langue
et les yeux, puis les narines et l’intérieur du crâne sont bourrés
de lin. A l’endroit où la tête a été séparée du corps, la
peau du cou est réunie comme l ’ouverture d’une bourse, en
laissant un espace assez grand pour y faire entrer la main. Puis
on l’enveloppe dans un paquet de feuilles vertes, et dans cet
état on l’expose au feu jusqu’à ce que l’humidité en soit bien
évaporée ; après quoi on rejette les feuilles et on laisse la tête
suspendue à la fumée , de manière à donner à la cbair une
consistance dure et coriace. Les cbevcux et les dents restent en
place, et le tatouage de la figure demeure tout aussi net que
dans l’état de vie. Ainsi préparées, ces têtes peuvent sc conserver
toujours si on les tient au sec. Il paraît, en effet, que
par cette exposition à un feu de bois ces têtes sont imprégnées
d’acide pyroligneux, et c’est ce qui les met désormais à l ’abri
de toute décomposition.
Durant un certain temps après son retour du détroit de
Cook, l’existence de Rutherford paraît n’avoir offert aucun
événement remarquable. « A la fin, dit-il, un jour il arriva
d’un village voisin un messager qui annonça que tous les chefs
à plusieurs milles à la ronde allaient sous trois jours se mettre
en route pour un endroit nommé Kaï-Para, près de la source
de la rivière Tamise, et distant de deux cents milles environ
de notre village. Ce messager apportait aussi une demande de
lapartdesautrescbefs pourEmaï, qui le priaient de se joindre à
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