Tete-Nouï est un homme plein de connaissances. Il semblait
n’avoir négligé aucune occasion de s’instruire, et désirait fort
que quelques Européens vinssent habiter chez lui. Il espérait
que nous prendrions cette demande en considération, et que,
par la suite, nous lui enverrions un missionnnaire.
Matangui, quoique très-affable envers nous, semblait absorbé
dans ses réflexions, et son esprit était inquiet, par suite
de ce qui était arrivé entre lui et Moudi-Vlaï.
Avant de nous coucher, nous lûmes un morceau de l’E criture,
nous chantâmes un hymne, et nons nous recommandâmes
à la protection de celui qui fut le gardien d’Israël.
3o septembre 1819. Ce matin, de bonne beure, un chef est
venu pour informerMatangui combien Moudi-Waï était irrité
contre lui et son peuple, et pour savoir quelle conduite ils
allaient tenir. Nous avons appris alors que Moudi-Waï avait
reçu un coup de lance au bras, mais que sa blessure était
légère.
Peu après que ce messager eut apporté cette nouvelle, plusieurs
chefs arrivèrent pour la même affaire. L ’un d’eux commença
à faire un discours, tandis que tous les autres chefs se
tenaient assis par terre dans un profond silence. Il parla avec
beaucoup de chaleur. Son maintien était belliqueux et gracieux;
son arme, qu’il agitait dans ses mains, donnait une certaine
emphase à ses gestes et à ses discours. Il exhorta Matangui
à agir avec courage et fermeté, et à venger ses droits
et ceux de sa tribu. Il faisait observer qu’il était l’ami des
deux partis; et que, puisqu’il y avait une personne blessée
de chaque côté, il désirait que la querelle pût se terminer à l’amiable,
autant du moins que cela était possible, sans blesser
les droits de personne.
Quand ce cbef eut fini, une autre personne de considération,
appartenant au village, se leva; et, prenant une longue lance,
elle exposa toutes les circonstances de la querelle présente.
Cc naturel parlait avec chaleur , frappant des pieds à chaque
période, et,brandissant sa lance, en môme temps qu’une indignatlon
visible animait tous ses traits. Ses manières et son
costume me rappelaient ce que j’avais lu des cbefs des anciens
Bretons; et je pense que les cbefs de la Nouvelle-Zélande ont
beaucoup du caractère de nos ancêtres.
Aussitôt que ce cbef eut fini son discours, tous les naturels
, ayant jeté leurs nattes, passèrent autour de leurs reins
leurs ceintures de guerre, prirent leurs mousquets, leurs lances
et leurs patous-patous, el coururent vers la demeure de
Moudi-Waï, en nous laissant dans le village avec le vieux
Ware-Madou et son gendre.
Au bout de trois heures environ , la troupe armée revint ;
alors nous apprîmes que leur soudain départ avait été occasioné
par la nouvelle que Moudl-Waï avait tué leurs cocbons.
Matangui et ses gens étaient allés s’assurer de la vérité de ce
rapport. Ils paraissaient tous irrités de la conduite de Moudi-
Waï , et menaçaient de le châtier.
Dans la soirée, Ware-Madou dépouilla sa natte, saisit sa
lance, et adressa la parole à sa tribu et aux chefs. Il fit un
v if appel à leurs coeurs, contre l’injustice et l’ingratitude
de M ou d i-W a ï à leur égard; rappela plusieurs outrages
que lui et sa tribu avaient, depuis long-temps, éprouvés
de la part de Moudi-Waï; cita des preuves de sa mauvaise
conduite dans le temps que les ossemens de son père avaient
été transportés du Oadou-Pâ aux caveaux de famille ; mentionna
les preuves d’amitié qu’il avait témoignées à Moudi-
W aï à diverses époques, et dit qu’il avait deux fois sauvé sa
tribu d’une ruine totale. Dans la circonstance actuelle, Moudi-
W aï avait tué trois cochons ; l’un d’eux , qui avait deux ans,
était très-gros et très-gras. Chaque fois que Ware-Madou fan
sait mention du gros cochon, le souvenir de sa perte semblait
ranimerses nerfs affaiblisparl’âge, Ilseconait sa barbe blanche,
frappait du pied avec rage, et dans sa fureur agitait sa lance.
Il exhorta sa tribu à s’armer de confiance et de courage , déclara
qu’il les conduirait le lendemain matin contre l’ennemi,
et que plutôt que de céder il se ferait tuer et manger. Ses guer