f I '
tout fut terminé, elle me conduisit à la rivière pour que je
pusse me laver, car cette opération m’avait rendu complètement
aveugle, puis elle me ramena près d’un grand feu. Alors
les sauvages nous rendirent tous nos liabits, à l’exception de
nos cbemises que les femmes gardèrent pour elles-mêmes, et
nous observâmes qu’elles les portaient en plaçant le devant
derrière. De ce moment, nous fûmes non-seulement tatoués,
mais encore ce qu’ils appelaient taboués, ce qui signifie sacrés,
ou condamnés à ne toucher aucune sorte de provisions avec
nos mains. Cet état de choses dura trois jours; pendant ce temps
nous fûmes nourris, par les filles des chefs, des mêmes vivres
et aux mêmes corbeilles que les cbefs ci^-mêmes et que les
personnes qui nous avaient tatoués. Au bout de trois jours,
les enflures occasionées par l’opération s’étaient considérablement
apaisées, et je commençai à recouvrer la vue : mais
il se passa six semaines avant que je fusse tout-à-fait bien. Pendant
ma maladie je ne reçus aucune sorte de secours médical ;
mais les deux filles d’Emaï se montrèrent fort attentives pour
moi; elles s’asseyaient fréquemment à mes côtés, et m’adressaient
souvent la parole dans leur langage, auquel du reste je
ne comprenais pas encore grand’cbose. »
Rutherford déclare que dans la contrée où il se trouvait les
bommes étaient ordinairement tatoués sur la figure, sur les
hanches et sur le corps; quelques-uns l’claient jusqu’aux genoux.
Il n’était permis qu’aux plus grands cbefs de l’être sur le
front, le menton et la lèvre supérieure. Il ajoute que plus ils
sont tatoués, plus ils se croient honorés.
Rutherford demeura dans ce village environ six mois, ainsi
que les autres bommes qui avaient été faits prisonniers avee
lui et n’avaient point été mis à mort. Un seul, nommé Jobn
Watson, bientôt après leur arrivée sur ce point, avait été
emmené par un cbef nommé Nene. Une maison leur fut assignée
pour leur logement, et les naturels leur donnèrent aussi
une marmite qu’ils avaient prise sur le bâtiment pour faire
cuire leurs vivres ; cet ustensile leur devint fort utile. Il était
taboué, de sorte qu’aucun esclave ne pouvait manger de cc
qui avait été cuit dedans, et on l’avait taboué, à ce que nous
supposons, parce que Ton imagina que c’élait le moyen le plus
sûr poirr empêcher qu’on ne le volât. A la fm, les blancs se
mirent en route avec Emaï et un autre cbef pour continuer
leur voyage plus avant dans l’intérieur; Tun d’eux seulement,
dont le nom n’a pas été donné, resta avec Ràngadi. Étant arrivés
dans un autre village, dont le chef se nommait Parama,
un autre blanc, appelé Jobn Smitb, fut laissé chez lui. On doit
se rappeler que le nombre de ceux auxquels on avait conservé
la vie était de six, si bien que trois d’entre eux ayant cbacun
une destination, comme on a vu, il n’en resta plus qu’un
même nombre ensemble, y compris Rutherford. Quand ils
curent fait encore douze milles, ils s’arrêtèrent à un troisième
village et y restèrent deux jours. « Nous fûmes traités avec
beaucoup de bonté, dit Rutherford, par les naturels de ce
village. Le chef, dont le nom était W an a , nous fit cadeau
d’un gros cocbon que nous tuâmes suivant Tusage de notre
pays, au grand étonnement des Nouveaux-Zèlandais. J’observai
qu’un grand nombre d’enfans recueillaient le sang qui en
découlait dans le creux de leurs mains, et le buvaient avec la
plus grande avidité. Leur manière ordinaire de tuer un cocbon
est de le noyer, pour éviter de perdre son sang. Les naturels
se mirent à râcler lo poil en tenant Tanimal au-dessus du feu ,
et le vidèrent aussi, ne demandant que les entrailles pour
leur peine. Nous le fîmes cuire dans notre marmite que les esclaves
qui nous suivaient avaient apportée avec le reste du
bagage appartenant à notre troupe. Il ne fut permis à personne
de prendre de cc cocbon, à moins que nous-mêmes n’en disposassions
, et seulement en faveur des personnes qui appartenaient
à la famille d’un chef. En-quittant ce village, nous laissâmes
avec Wana un de nos camarades nommé Jefferson qui, en
se séparant de nous, me serra la main et s’écria les larmes aux
yeux : « Dieu vous bénisse tous les deux ! nous ne nous reverrons
jamais ! » Nous continuâmes notre voyage en compi%nie