de Holy-Hcad. Le navire fut retenu plusieurs jours par des
vents contraires, e t, pendant ce temps, Maounga regretta
mon absence d’une manière très-toucbante.
A Tarrivce du bâtiment dans la Tamise, j’allai h la rencontre
de Maounga, qui fut très-content de me voir. Le
grand nombre des navires et Taspect de Londres excitèrent
cbez lui plus d’étonnement qu’il n’en avait jamais éprouvé;
mais ces objets firent aussi naître une réflexion qui lui causa
quelque cbagrin. Il me dit qu’à la Nouvelle-Zélande il était
un bomme de quelque importance; mais il voyait que, dans
un pays comme celui-ci, il ne jouirait plus d’aucune sorte de
considération. Pourtant, comme rien n’était capable d’affliger
Maounga pendant long-temps, il me suivit au rivage avec
gaieté.
L ’immensité de cette métropole a frappé les bommes les plus
éclairés : il ne paraîtra donc pas extraordinaire qu’un pauvre
naturel des Antipodes ait été à son aspect dans le plus grand
étonnement. Nous débarquâmes dans la partie orientale de la
v ille , et il nous fallut marcber quelque temps à pied avant de
pouvoir nous procurer une voiture : il eut donc, pendant cette
promenade, sujet d’admirer tout ce qui s’offrait à ses regards.
Les immenses magasins des taillandiers fixèrent particulièrement
son attention. Quand nous passions devant les boutiques
où ces marchandises étaient étalées, il me faisait toujours cette
observation : « P a ï ana outa, nouï nouï told— Bon pays, beaucoup
de haches.» Les objets d’une utilité réelle tenaient constamment
à ses yeux le premier rang. Les boutiques qui déployaient
des objets de toilette et de luxe le faisaient rire ,
tandis que celles qui oflraienl des vêtemens de première utilité
semblaient lui donner une satisfaction véritable. Dans la partie
de la ville que nous eûmes à traverser sc trouvaient plusieurs
magasins de cette dernière espèce; toutes les fois qu’il en
voyait un, il me faisait observer :« Uni'«na, nouï nouï kakahou
— C’est bon, beaucoup d’habits. »
Les marins lui avaient appris le salut familier de : « How do
PIÈCES JUSTIFICATIVES. 789
you do, my ¿og .’’— Comment vous portez-vous, mon garçon? »
Maounga trouva l’occasion de l’employer pendant sa promenade
; car la singularité de sa tournure excitait la curiosité des
passans ; souvent ils s’arrêtaient pour le considérer. Maounga
avait un bon caractère, et toutes les fois qu’il voyait quelqu’un
s’arrêter devant lui, il allait à lu i, et lui tendait la main en
.ijoutant ; How do you do, my boy? Son aspect effrayait beaucoup
ces curieux, et ils s’enfuyaient sans vouloir répondre à
son honnêteté.
La voiture lui causa beaucoup de satisfaction. Quand les
chevaux se mirent en marcbe, le mouvement sembla lui causer
d abord quelque effroi, mais avec moi il reprit bientôt courage.
II regardait de chaque côté , puis devant; puis il parut
pensif. Je lui demandai comment il trouvait notre allure
actuelle ; il repondit : « Pai ana, ware nouï nouï aìre— Très-
bien , la maison marcbe très-fort. »
Comme nous traversions un grand nombre de rues sur notre
route vers mon logement situé à Tcxtrémlté occidentale de bi
v ille , rien n’échappait à ses observations. Les clochers, les
boutiques , les passans, les chevaux et les voitures, tout excitait
de sa part quelque remarque singulière. A propos de k
hauteur des clochers , il disait : « Pa ï ana ware, tawititawiti
pokoura— Bonne maison, aussi loin que les nuages.» Lorsqu’il
observait dans un passant quelque effet de vieillesse,
blessure ou maladie, il ne manquait pas de dire ; «Kaï ore
tangata, ou Kaï orewahine — Mauvais homme, ou mauvaise
femme. » Son oeil chercbait constamment les objets en fer, les
habits ou les vivres. Touchant certaines rues, il observait
Nouï nouï tangata , nouï nouï ware, iti iti ika, iti i l ipotatou
Beaucoup d’bommes, beaucoup de maisons, mais très-
peu de patates.
Je ne pus jamais amener Maounga à prononcer le mot England
(Angleterre); en conséquence je lui laissai faire usage,
en sa place, de celui d’Europe, qu’il prononça sans dilTieultè.
Quelquelois, sur la route , il faisait la comparaison de ce pays