octtc station d’honneur, car elle était considérée ainsi, j’eus
l’avantage de voir toute la force des combattans des deux partis.
Directement en face de l’endroit où nous étions assis, sc
trouvait un vaste enclos séparé de nous par le Waï-Kadi; c’est
là qu’était campé Hinou avec scs gens. Cette troupe, qui montait
au moins à deux cents bommes, se composait de diverses
tribus commandées par leurs cbefs respectifs. Ces bommes, assis
par terre et dispersés en groupes, écoulaient avec attention
un vieux guerrier qui s’étaitlevé pour adresser la parole à W iwia
et à ses compagnons. Dans ce vieillard, qui semblait être
un véritable champion de tribu, je contemplai un exemple
curieux de l’éloquence populaire du pays. Sa fougue martiale
et ses gestes me firent conjecturer qu’il opinait encore pour la
guerre, et les auditeurs ne laissèrent pas que d’être influencés
par sa harangue. Tout en marchant, ou plutôt en courant çà
et là le long de la palissade qui bordait le côté opposé de la
rivière, il proférait ses paroles avec une violente indignation;
et nous pouvions les entendre distinctement, la distance qui
séparait les deux partis n’étant pas de plus de cent verges.
Parfois il secouait la tête comme pour appuyer son raisonnement
; il brandissait sa lance comme s’il eût voulu exterminer
d’un seul coup Wiwia et toute sa troupe ; en un mot, le vétéran
semblait entraîné par son ardeur pour le combat. Le plus
pi-ofond silence régna, et quand il eut fini sa fougueuse allocution
, deux des guerriers de notre côté se levèrent pour lui
répliquer.
Les personnes désignées pour cet objet par l’assentiment général
furent Toupe et Temarangai, qui répondirent au vieillard
avec un accent et des manières aussi douces et aussi conciliantes
que les siennes étaient violentes et emportées. Du
reste, ils parurent plaider leur cause avec une fermeté grave
et décidée, et le parti opposé ne cessa de les écouter avec l’attention
convenable. Leurs discours ne furent point prononcés
en même temps; mais Toupe, se levant le premier, fit sa réponse
qui ne dura que quelques minutes. Quand il sc fut rassis,
Temarangai le remplaça et parla un peu plus long-temps;
mais il employa un ton aussi gracieux, aussi persuasif que son
compagnon, et il semblait appuyer ses raisons avec quelque
chaleur. Je fus frappé du sang-froid et du bon ordre qui furent
observés des deux côtés, tandis que ces harangues furent ])ro-
noncées. Temarangai ayant fini, je m’attendais à ce qu’il n’y
aurait plus de discours, mais que les deux partis allaient s’élancer
l’un sur l’autre et employer le patou-patou au lieu de
la langue. Du reste, ce n’est pas ce qui arriva ; car ils parurent
décidés à terminer leur querelle par cc dernier instrument,
résolution qui me causa un véritable plaisir ; j ’aimais
beaucoup mieux trouver en eux des dispositions aussi conciliantes,
que de satisfaire ma curiosité par le spectacle d’un
combat. Un autre guerrier du parti d’Hinou répliqua aux
discours de Toupe et de Temarangai ; sc levant du milieu du
groupe qui l’environnait, il s’avança vers l’endroit où le
vétéran avait parlé, et commença sa harangue, modèle d’éloquence
naturelle. Dans la manière de cet bomme régnait
un ton d’aisance et de dignité qui le distinguait sur-lc-
cbamp des autres orateurs. Il parla durant un temps considérable;
je ne pouvais m’empêcber d’admirer la gracieuse
élégance de son maintien et la convenance parfaite de scs
gestes. Tenant d’une main son patou-patou, il marcbait de
çà et de là le long de la rivière d’un pas ferme et plein de
dignité; une natte unie, attachée sur son épaule droite,
lui descendait jusqu’aux pieds avec une sorte d’abandon plein
de noblesse et rappelait assez bien la toge romaine à l’imagination
de l’observateur, tandis que sa stature majestueuse et la
parfaite symétrie de ses formes complétaient l’illusion. Son discours,
quoique prononcé avec énergie, ne semblait nullement
inspiré par un esprit de violence ou d’hostilité; et bien que le
sens m’cn restât inconnu, attendu le peu que je savais de leur
langue, cependant, à la manière dont il était proféré , je ne
doutai point qu’il ne fût d’une nature conciliante.
A cet orateur, qui certes méritait bien co litre puisqu’il en
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