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ter entre eux. Mais dès que Ngarara me vit dans la hune occupé
à dénouer les fusils, il tira sur un des nôtres qui était
à trois pas de lui et qui s’amusait à jouer avec un sabre; la
balle passa au travers de sa tête , que Ngarara lui coupa aussitôt
avec son mere, sorte de petite massue qui sc termine par un
caillou aiguisé. Tous les siens sautèrent alors sur le pont, et
les deux pauvres matelots qui nous restaient furent massacrés.
Les insulaires tirèrent ensuite sur moi sans m’atteindre; mais
au moment où j’armais mon fusil, Ngarara m’envoya dans le
bras droit une balle qui brisa l’os. Quand ils me virent tomber
dans la hune, ils commencèrent leur danse de guerre en
faisant d’horribles burlemens , puis ils se mirent à piller le navire.
Quoique je fusse pre.sque accablé par la douleur , je remarquai
que, dans la cbaleur du pillage , ces misérables n’avaient
aucun égard pour l’autorité de leur cbef; et, comme ils
ne voulaient point lâcher prise, quelques-uns furent tués sur la
place. Leur diligenceàreraplirleurscanotsfutextrême. Ngarara
ordonna à un des siens de venir me prendre ; cet homme, ne
pouvant y parvenir à lui seul, appela à son aide, et je fus
traîné dans un des canots. Le soleil était couché; ces sauvages
firent force de rames pour entrer dans la baie avant la nuit,
ce qui alors est extrêmement dangereux. Nous y arrivâmes
sans accident, quoique nous eussions à passer sur un brisant.
Quelques-uns des canots trop chargés, principalement ceux
qui l’étaient de nos armes et de nos munitions, chavirèrent ;
les insulaires parvinrent à se sauver, mais ils perdirent et leur
butin et leurs canots.
J’ignorais le sort du capitaine et celui de l’équipage ; je
croyais même qu’ils avaient tous été taillés en pièces, et je me
voyais la-seule victime qui eût survécu. Destiné à souffrir de
la part de ces cannibales les plus horribles tortures avant
qu’ils assouvissent sur moi leur passion pour la cbair humaine,
j ’aurais dû regarder avec indifférence la perte de leurs canots;
mais malgré l’agonie de corps et d’esprit dans laquelle j ’étais,
je vis avec ravissement cet acte de ju.stice. Quand nous fûmes
arrivés à rétablissement , les femmes nous entourèrent en
chantant, en dansant, en faisant toutes les démonstrations
d’une joie extravagante, et en louant leurs héroïques maîtres
de l’action courageuse que, dans leur opinion , ils venaient
de faire. Lorsque les indigènes curent débarqué leur .butin, ils
allumèrent de grands feux autour desquels ils se réunirent. La
lueur des flammes faisait voir de plus en plus leurs horribles
contorsions. Ils paraissaient discuter avec violence : j’entendais
assez leur langage pour comprendre que j’étais l’objet qui
les occupait si vivement. Mon sort me parut inévitable; la plupart
des sauvages demandaient ma mort : Ton en ordonna autrement.
Je dus mon salut au chef qui m’avait servi de guide
et qui intercéda pour moi, promettant que, si ma rançon n’arrivait
pas à une époque fixée , ce serait lui-même qui me tuerait;
mais qu’un fusil valait bien mieux que ma personne. Ce
raisonnement décida les insulaires à différer ma mort.
Alors il me conduisit dans sa butte. Tous les événemens de
cette pénible journée se retraçant tour à tour à ma pensée,
j’offris à Dieu des actions de grâces pour ma délivrance miraculeuse,
et j’implorai sa miséricorde.
Je passai les deux premières nuits.sans fermer l’oeil; tout cc
que j’avais éprouvé, el la douleur que me causait mon bras,
ne m’en laissaient pas la possibilité. Mes plaintes importunèrent
mon hôte, au point qu’il me mit hors de sa hutte ; je
me traînai sou§ j^ine espèce de hangar qui était tout auprès.
Pendant ces deux jours personne n’avait songé à me soulager;
enfin je trouvai un morceau de cuir, que je plaçai comme une
éclisse autour de mon bras; puis, déchirant mon bas pour me
servir de bandage, mon hôte le serra contre ma blessure, et
j’allai plusieurs fois la laver à la rivière, où l’un de mes gardiens
m’accompagnait. La balle avait traversé l’os, et il restait
encore du plomb que je ne pouvais extirper. Le second jour
de ma captivité, me trouvant du côté du pâ qui fait face à la
baie , la vue d’une goëlctte attira mon attention. Lorsqu’elle
fut proche de notre misérable navire, dont presque tous