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PIECES .TUSTIFICATIVES
n’avons vu mentionné nulle part, koradi étant celui qu’on
emploie habituellement. Pourtant on ne put douter queToupe
ne lit allusion au phormium tenax, à la manière dont il reconnut
sur-lé-cbamp un échantillon de cette plante qu’il vit
dans une serre. Ravi de joie à cet aspect, comme s’il eût rencontré
un vieil ami, il s’écria tout-à-coup : Ariki-kaï! ariki-
k a ï ’. et il rit de bon coeur de voir cette plante cultivée avec
soin dans un pot, remarquant qu’elle deviendrait bien plus
robuste si on la laissait en pleine terre; qu’elle était très-commune
dans son pays, et ne méritait pas du tout le soin que
nous en prenions en Angleterre. Il semblait croire que cet
échantillon ne signifiait pas grand’ebose, ajoutant qu’il en enverrait
de beaucoup plus beaux de la Nouvelle-Zélande.
Quand le docteur Traill et Toupe se promenaient en voiture
ensemble, ils étaient ordinairement entourés d’une foule
de spectateurs, partout où ils s’arrêtaient dans les rues ; le cbef
était enchanté de la curiosité que montrait le peuple, il tirait
son cbapeau aux curieux, et touchait les mains de plusieurs
d’entre eux. Un jour, une jeune fille qui vendait des oranges
lui ayant présenté son panier pour l’inviter à en acheter quelques
unes , il s’imagina qu’elle lui faisait un cadeau du tout,
et il sc mit à vider la corbeille dans la voiture. Il fut impossible
de lui faire entendre raison; c’est pourquoi on lui permit
de vider le panier, et l’on paya la femme à son insu. Aussi, à
son retour cbez lu i , il raconta <au capitaine Reynolds, avec un
air très-satisfait, quelle admiration il avait excitée, et combien
le peuple avait été honnête à son égard en lui faisant des présens.
Mais parmi les divers objets qu’on lui offrait, il attachait
toujours nn bien plus grand prix à ceux qu’il jugeait réellement
utiles, qu’à ceux qu’il considérait comme purement
de luxe. Immédiatement après les armes à feu, les instrumens
de fer et les outils d’agriculture étaient les grands objets
de son ambition. Les scies, les bacbes et les ciseaux avaient
beaucoup de valeur à scs y eu x , ainsi que les couteaux et les
fourchettes dont il voulait, disait-il, à son retour, intro-
P IE C E S JUSTIFICATIVES. 775
duirc l’usage parmi scs compatriotes. Le docteur Traill lui fit
présent dun couteau de voyage ordinaire à cuiller et à fourchette
; la réunion de ces trois pièces en une seule fut un grand
sujet d’admii ation pour lui, etlc ravissement quclui fit éprouver
ce présent fut réellement inexprimable. Il ne fut surpassé que
par l’extase dans laquelle il fut plongé, quand un autre de ses
amis le gratifia de quelquc.s vieux fusils et d’un mousqueton
de cuivre ; cette fois il poussa des cris et sauta de joie.
On peut citer le fait suivant comme une preuve curieuse de
la difficulté qu’il y a de se procurer des renseignemens exacts
toucbant plusieurs des coutumes et des opinions en v igueur
chez un peuple dont la condition sociale est très-différente
de la nôtre. Pendant tout le temps que Toupe s’était
trouvé avec le capitaine Reynolds, depuis leur première rencontre
à la Nouvelle-Zélande, jusqu’à leur arrivée en Angleterre
, le dernier n’avait jamais pu découvrir si son ami avait
quelque notion d’un être ou intelligence supérieure , bonne
ou mauvaise. Il se passa même un temps considérable avant
que le docteur Traill pût s’assurer de la vérité à cet égard. A
la fin , un jour comme ils passaient près d’une église, Toup'c
demanda à qui était cette grande maison, et on lui dit qu’elle
avait été bâtie par les Anglais pour prier le grand Esprit du
ciel qui envole la pluie , le vent et le tonnerre. Cette explication
ayant été traduite par le capitaine Reynolds, à l’aide de
signes qui imitaient l’acte de la prière, sembla être comprise.
Toupe interrogé s’il n’y avait point aussi un grand Esprit dans
son pays natal, répondit ; « Oh ! oui, plusieurs, les uns bons,
d’autres très-méchans, envoyant les tempêtes et la maladie. »
Il faisait connaître en même temps, par des signes très-expressifs,
que scs compatriotes avaient coutume de leur adresser à
tous des prières. On le conduisit ensuite à l’église, et il sembla
comprendre le but général des cérémonies religieuses, qu’il
observa avec une grande attention. On fit quelques efforts
pour lui imprimer la doctrine qu’il n’y avait qu’un seul Dieu,
mais le succès de ces tentatives demeura douteux.