égard pour nous, il irait cette nuit même tuer Matangui. II
ajouta qu’il avait l’intention de visiter Port-Jackson; mais
qu’actuellement son mallieur était trop grand et trop durable
pour qu’il pût faire ce voyage. Il n’avait d’autre espoir de
consolation qu’en voyageant de pays en pays, dans sa propre
patrie et parmi ses amis. Il voulait avoir notre avis, pour savoir
s’il devait aller sur-le-cbamp tuer Matangui, ou non.
Nous dîmes que nous ne voulions en rien nous immiscer dans
les coutumes de son pays ; mais qu’en Angleterre les grands
personnages ne faisaient rien à la bâte, et prenaient toujours
le temps de la réflexion; qu’en conséquence nous pensions
que le mieux pour lui serait de ne pas se livrer trop vite à la
vengeance de l’outrage qu’il venait d’essuyer.
Moudi-Waï ne put recouvrer sa présence d’esprit durant
tout notre séjour à Tepapa, et il resta sombre et abattu. Matangui
et lui étaient proches parens, autrement il n’y eût pas
eu entre eux autant d’indulgence, et un appel aux armes eût
bientôt terminé leurs diflércnds ; mais les liens de famille les
empêchaient de se livrer à la fougue de leurs sentimens et à
leur penchant pour la guerre. Comme nous l’avons déjà dit,
depuis mon arrivée, Sbongui avait fait périr cinq bommes
pour sacrilège : sans doute, si cela eût été en son pouvoir,
poussé par une superstition semblable, Moudi-Waï eût agi
de la même manière, tant pour sa propre satisfaction que
comme réparation à l’outrage commi.s envers les esprits de ses
ancêtres.
Patou-One était le parent et l’ami des deux parties. Il était
affligé de leur querelle, mais il disait qu’ils avaient tous deux
tort. Matangui avait eu tort en tuant les cocbons de Moudi-
W a i, et Moudi-Waï en tuant ceux de Matangui. Il ajouta
que si Matangui avait tué ses cocbons, il ne s’en serait point
vengé par de semblables représailles; mais qu’il eût cessé d’avoir
jamais aucun rapport avec lu i, et qu’il l’eût considéré
comme ayant commis une action indigne d’un cbef. Mais il
nous faisait observer que son frère, présent à cet entretien, eût
agi comme avait fait Moudi-Waï. Comment termineront-ils
leur querelle? C’est ce que nous ne saurions dire. Du reste,
nous leur sûmes gré d’étoulfer leur ressentiment mutuel tandis
que nous nous trouvâmes avec eux. C’était en effet une
déférence que nous n’eussions pas attendue de ces bommes
dans une position semblable.
Nous passâmes notre temps dans cc village d’une manière
fort agréable. Nous fûmes fort bien traités, ainsi que nos
compagnons, et principalement le prêtre des vents et des
vagues.
Départ de Tepapa.
40 octobre 1819. Ce matin, nous nous sommes préparés à
quitter définitivement le Shouki-Anga. Nous laissâmes plusieurs
chefs et villages que nous ne pûmes visiter, faute de
temps, bien qu’ils eussent fait des préparatifs pour nous recevoir.
Il fallut alors nous séparer de Moudi-Waï et de Mou-Ina,
le principal chef de la rivière, qui ne nous avait pas quittés
depuis le moment où nous l’avions vu. Mou-Ina assista à
notre départ ; il chargea le prêtre de nous accompagner jusqu’à
Rangui-Hou, pour s’assurer si VActive était arrivé et
s’il y avait quelque apparence qu’il pût visiter la rivière, afin
de tenir du bois de construction tout prêt pour charger. Il
eût été impossible à aucune nation civilisée de nous montrer
plus d’attentions que nous n’en éprouvâmes de la part de ces
païens, eu égard à leurs moyens et à leurs connaissances.
Quand nous quittâmes le village de Patou-One, nous étions
escortés par plus de cinquante individus , dont la plupart
étaient attirés par l’espoir de recevoir une bacbe ou une pioche,
ou quelque autre petit outil tranchant. Ils avaient à marcber,
par terre ou par eau, l’espace de cent à cent cinquante
milles, quelquefois au travers des bois, par les chemins les
plus détestables qu’on puisse imaginer, et il fallait en outre